La publicité : un art du XXe siècle
Écrits de Louis Chéronnet

Écrit par Émilie Hammen.

Paru en livre de poche en octobre 2015, La Publicité, art du XXe siècle, recueil de textes du critique d’art Louis Chéronnet, vient enrichir la collection Les Billets de La Bibliothèque. Un format et une mise en page économique, qui rend ce recueil réjouissant accessible à tous mais qui sacrifie un peu une contextualisation en images dans l’histoire des arts décoratifs. Une culture iconographique que l’on apprécierait de considérer en parallèle de la lecture. Qu’importe, tout le plaisir est pour nous ici d’en restituer certains aspects.

Un esthète curieux, un amateur éclairé, pouvait dès 1924 faire le constat des possibilités artistiques de la réclame : il aura, au Salon d’Automne, contemplé les devantures des magasins signés René Herbst ou Gabriel Guevrekian ; se sera étonné devant ces dispositifs qui empruntent aux arts scéniques leurs plus hypnotiques rouages. Lumière, mouvement, couleurs servent la scénographie du commerce.

Vitrine de la boutique simultanée de Sonia Delaunay, conçue en collaboration avec le couturier Jacques Heim, sur le pont Alexandre III lors de l’exposition des arts décoratifs de 1925.

Il aura aussi constaté que l’affiche, omniprésente dans les rues de la capitale depuis plusieurs décennies déjà, constitue sous les pinceaux inspirés de Cassandre ou de Carlu, un espace d’expérimentation graphique à la portée de tous. Ce nouvel art de la rue, s’il sert avant tout les chantres du consumérisme se considère alors aussi sous des jours plus heureux. Mieux – conçus par des artistes, il en constitue même par un jeu de miroir une source d’inspiration féconde. Robert Delaunay n’intègre-t-il pas dans sa série de panneaux intitulés L’Équipe de Cardiff (1912-1913) ce motif moderne avec les grandes lettres d’une réclame pour ASTRA ?

S. Delaunay, Nous irons jusqu’au soleil, Paris, Robert Laffont, 1978.

Son épouse Sonia témoigne quant à elle de leur émerveillement commun devant les enseignes lumineuses des boutiques des boulevards parisiens qui ne sont pas étrangères aux lois de l’Orphisme que le couple forge de concert.

Robert Delaunay, L’équipe de Cardiff, 1922-23. © National Galleries of Scotland

C’est précisément dans ce contexte que le critique Louis Chéronnet consacre dans deux revues – L’Art Vivant, où il opère en tant que chroniqueur régulier, et Art et Décoration, dont il assurera la rédaction-en-chef – des belles pages et beaucoup d’attention à ce qui peut alors être perçu comme un « Art du XXe siècle ». Les Éditions La Bibliothèque ont entrepris de rassembler ce corpus épars, composé d’observations érudites et de critiques passionnées, sous la direction d’Eric Dussert.

⦿ Louis Chéronnet, critique d’art et publiophile

L. Chéronnet, « Bibliophilie et publicité », La publicité, art du XXe siècle, Paris, Les Billets de la Bibliothèque, p. 92.

J’eusse aimé qu’on fasse appel à la typographie pure. Un beau texte bien mis en page avec des caractères heureusement choisis, vaut par sa construction architecturale autant qu’un dessin.

On découvre ainsi l’auteur comme un fervent serviteur de la typographie – de la page à la façade. Mais aussi hérault d’une valorisation artistique de la photographie – on l’avait d’ailleurs déjà lu dans la revue d’avant-garde Art et Métiers Graphiques défendant le projet d’un musée pour la discipline, dès 1933.

C’est ainsi à cette nouvelle esthétique, « la nôtre, fille de la machine » que Chéronnet s’intéresse. Mais s’il est attentif, voir admiratif de ses éclatantes déclinaisons, il conçoit avec clairvoyance la manière dont une pensée purement mercantile transforme aussi notre manière de voir le monde. Sa description des paysages traversés par les réseaux ferrés assimilés en capital dont la mise en valeur « pourrait donner d’appréciable revenus » est saisissante et produit une analyse singulière du territoire et de ce qu’on y projette.

Ibid., p. 56

« Pratiquement, ce ne sont pas les paysages (…) que l’on exploite, mais bien plutôt les goûts poétiques, archéologique, sportifs ou de repos des voyageurs probables. A chaque tempérament, il faut proposer un état d’âme qui doit lui convenir, offrir la réalisation possible d’un goût, d’où l’orientation actuelle de la publicité dans un sens non plus uniquement topographique mais aussi psychologique. »

O. J. Gérin, "Figure 30" in La Publicité suggestive, théorie et technique (1910), Dunod, Paris, 1927. © Gallica

Sur ce point, il poursuit en somme, ce que dès 1890, sous l’influence de la psychologie nouvelle et de son usage de l’hypnose, Octave-Jacques Gérin avait pressenti. Dans la lignée d’un Charcot ou d’un Bernheim, ce théoricien français de la réclame – l’un des pionniers – assimilait déjà les leçons de ces derniers à l’usage du commerce. « Rappelez-vous que la publicité, c’est la vente par la pensée seulement. » avançait ainsi l’auteur de La Publicité Suggestive. « En réalité, le but du moyen consiste essentiellement à profiter de la réceptivité momentanée créée par le medium (…). De cette façon, vous arriverez à réaliser le but unique de la publicité, c’est-à-dire à mettre un raisonnement tout fait au cerveau de l’acheteur dans votre intérêt. »

Malgré ces réserves, cette clairvoyance pour un système qui conçoit sa proie comme un sujet quasi-clinique, Chéronnet voit aussi et surtout dans la publicité une voix de son époque. Elle incarne un discours largement teinté d’idéalisme moderniste : cet art aussi mercantile soit-il porte aussi les projets de son temps. Il est partout et pour tous. Total, il s’incarne dans une variété de medium, pour tous, il s’adresse aux piétons de Paris comme aux lecteurs de la presse nationale. En cela on lui octroierait presque une ambition pédagogique : sensibiliser les foules aux développements de l’art moderne. René Herbst suggérait avec optimisme :

René Herbst, Nouvelles devantures et agencements de magasins, présenté par René Herbst, 4e série, Paris, Éditions Charles Moreau, s.d.

La rue n’est plus seulement un centre d’attraction publicitaire, mais un véritable musée, où le passant vient compléter son éducation.

⦿ L’art publicitaire : mode, commerce et avant-garde

Une forme de création singulière se dessine donc bien entre art et commerce tout au long de ces années 1920, jouant allégrement des rouages de l’un comme de l’autre. C’est alors sans surprise que Chéronnet manifeste son admiration pour un autre trublion de ces croisements féconds. Dans l’article qu’il intitule « Bibliophilie et publicité », il prononce sans doute l’une des phrases les plus pertinentes du recueil pour qui connaît son sujet : « Qui écrira l’Audacieuse vie de Paul Poiret » ? Le grand couturier parisien qui participa grandement à la restructuration d’une silhouette moderne, abstraite du corset dès les années 1910, n’est alors déjà plus tout à fait au sommet de sa gloire – économique du moins. On sent pourtant chez Chéronnet une vraie connaissance des activités du créateur : « Après la mode, les parfums, la décoration, les spectacles, le voilà épris de publicité. » Si l’on se concentre dans ce cas sur un ouvrage particulier, Pan, cet « annuaire du luxe » paru en 1928 que Poiret fait illustrer par les pinceaux les plus en vogue de la période, force est de constater que le couturier avait depuis plusieurs années déjà à cœur de produire un art promotionnel qui repoussait les limites du genre.

Portrait de Paul Poiret par B. Liptnizki, paru dans Pan, annuaire du luxe à Paris, an 1928, 1927. © Diktats bookstore

George Lepape et Paul Iribe se sont chacun attelés à la création d’albums illustrés pour présenter les collections de Poiret quand ce dernier jouait aussi du pouvoir fascinatoire de la scène (il dessine les costumes de la pièce Le Minaret en 1913 que l’on retrouve peu ou prou dans ses propres collections et portés par sa femme le soir de la première) ou de l’extase célébratoire de la fête qu’il convoque avec assiduité au cours de ses soirées orientales telle celle des « 1002e nuits » (où chaque invité était tenu de se costumer au goût du maître).

Poiret et Chéronnet partageaient donc cette même conviction : le discours publicitaire pouvait aussi être le lieu d’une véritable audace artistique, plus que l’emballage distrayant d’une marchandise à écouler.

Illustration de Gus Bofa pour la maison Vionnet, paru dans Pan, annuaire du luxe à Paris, an 1928, 1927. © Diktats bookstore


⊙ Louis Chéronnet, La Publicité, art du XXe siècle, Édition d’Éric Dussert, Les Billets de la Bibliothèque, 2015.




Texte : Creative Commons.

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