En février 1963, les membres du comité de rédaction de la revue anglaise Design saluaient le travail éditorial mené outre Manche par leurs confrères français de la revue Esthétique Industrielle : un magazine, remarquaient-ils, qui « évite l’ostentation dont sont victimes les autres revues de design ». Ils osèrent néanmoins se demander si « sa présentation sèche et ses articles sérieux apport[ai]ent la stimulation nécessaire à l’industrie française et au monde de la création »...
Ce bimensuel, que l’on peut considérer comme la première revue de design française, fut publié à partir de 1951 à l’initiative et sous la direction de Jacques Viénot. Son dernier numéro parut en 1965. D’une grande qualité formelle et de contenu, Esthétique Industrielle reste pourtant aujourd’hui très difficile à trouver - même dans les meilleures bibliothèques - et n’a quasiment aucune existence sur le web.
En février 2015, les membres du comité de rédaction de la revue en ligne Strabic étaient invités à nouveau à encadrer un workshop à l’École Supérieure d’Art des Pyrénées, site de Pau. Par chance, un généreux donateur venait justement de leur offrir une partie de sa bibliothèque dont un lot d’une vingtaine de numéros d’Esthétique Industrielle parus entre 1960 et 1965 : moment clé pour le design en France. Ce don n’avait comme emballage cadeau qu’un voeu pieux : « Faites-en bon usage ! ».
C’est ainsi que nous nous sommes demandés ce que des étudiants en design graphique du XXIe siècle, à l’ère des Dezeen et autres Designboom, pouvaient bien penser de « la présentation sèche et des articles sérieux » d’une telle revue. Cette saison spéciale rend compte de ce workshop d’une semaine : Comment transmettre une revue papier historique sur l’espace web ? Comment y valoriser un tel matériau, précieux et rare ? Archiver sans achever, transcrire sans retranscrire ? Comment donner envie de « revenir aux sources », relire une période historique sur laquelle prendre appui aujourd’hui ?
Enfin, comment parler d’une revue dans une autre revue ?
Agréable fut notre surprise : d’abord manipulés sans pincettes, comme de vulgaires feuilles de chou, et même sacrément malmenés, ces exemplaires d’Esthétique Industrielle ont progressivement su dévoiler leur richesse auprès de ces jeunes yeux et se faire apprécier, respecter. À la fin de la semaine, un groupe d’étudiantes allaient même entreprendre des démarches pour qu’un rayon entier d’Esthétique Industrielle, se languissant dans une médiathèque de la ville, soit confié à la bibliothèque de l’école. C’est aujourd’hui chose faite, et nous nous en réjouissons.