Granny City

Écrit par Thomas Richou.

Que peut vous inspirer la Floride ? Le soleil et la plage à n’en pas douter… Tony Montana pour les cinéphiles… peut-être la chirurgie esthétique et un serial killer samaritain pour les sériephiles… des fraudes pendant les élections présidentielles… ou le lancement des navettes spatiales de la NASA… mais la Floride évoque aussi à plus d’un titre le troisième âge, ou comme les appellent les Américains les « vieux actifs » (Young Old).

La Floride est aujourd’hui l’État américain qui accueille le plus de retraités. Les 65 ans et plus représentent plus de 17 % de la population. Le soleil reste une bonne vertu pour les âmes en fin de vie. Même si les États-Unis sont un peu le paradigme du melting pot, il n’en reste pas moins qu’ils sont extrêmement sectorisés, pour ne pas dire ségrégués. Preuve en est le succès des gated communities, où l’on côtoie généralement des voisins liés par un même idéal, qu’il soit social, ethnique ou passionnel.

La Floride voit croître une nouvelle typologie résidentielle, le senior neighborhood (littéralement « la communauté de personnes âgées »), d’où son surnom de « God’s Waiting Room ».


© Farner Barlley and Associates

Du camping de vieux au Manhattan de retraités

« Les vieux, un bon business ». Telle a dû être la pensée de M. Schwartz lorsqu’il revint de Sun City en Arizona après une visite familiale de courtoisie. Il y découvre une ville où la moyenne d’âge est d’environ 75 ans, autogérée par ses habitants, sans écoles ni enfants. Le paradis de la naphtaline et du tweed.

Sun City

De retour dans sa rayonnante Floride, il décide, avec l’aide de son fils Gary Morse, de transformer son parc de mobile homes en super quartier pour septuagénaires. L’une des forces de Sun City a été l’intégration d’équipements et d’activités propres à l’âge de la communauté. À défaut de créer un ghetto pour retraités dépendant de la ville, Sun City s’est constituée comme une entité indépendante, véritable enclave autosuffisante.

En intégrant les préceptes du désert arizonien dans un état propice au regroupement d’anciens, The Villages deviennent l’exemple urbain cathartique de cette explosion des Active Adult Communities.

Actuellement, la communauté regroupe une cinquantaine de villages disséminés sur une surface équivalente à deux fois celle de Manhattan, pour un total d’environ 81 000 habitants (avec une capacité maximale de 105 000 personnes d’ici 2017). Le plus grand site de vieux au mètre carré au monde [1].

Come visit The Villages

La théorie du polo

© DirectHomes.com

L’idée est de créer des villages pour une communauté urbaine homogène fondée sur le même étalon : la maison individuelle. Du fait de l’âge avancé des habitants, les typologies d’habitat ne dépassent pas le plain-pied.

The Villages ne ressemblent à rien d’autre qu’une typique banlieue américaine où l’ensemble se fond dans un urbanisme rampant. De même que le style vestimentaire de nos bons occupants. Pourtant une chose frappera l’œil du spécialiste de vues satellite et de curiosités urbaines : le nombre de greens au kilomètre carré.


© Peanut Butter Fingers

La communauté est fondée sur le bien-être de ses habitants grâce aux activités proposées. À l’image d’un campus universitaire avec ses clubs d’échecs, ses équipes de sport, The Villages vont proposer foule de choses à faire pour nos têtes grises. L’activité numéro un est le golf. Véritable style de vie, il conditionne aussi bien l’architecture individuelle, par l’adjonction d’une mini-porte de garage à côté de celle de la voiture, que l’espace routier, où des voies sont prévues pour les golfettes. Dans un tel contexte, pas étonnant que le polo soit de rigueur.

Des « centres-villes » viennent centraliser l’offre de loisirs au sein des villages. Le but est de ne pas laisser nos adultes hyperactifs s’ennuyer. La culture américaine a produit une population dépendante au travail, culpabilisant de prendre des vacances, tout en sachant que celles-ci sont nécessaires à une bonne hygiène de vie. Dans un but commercial, The Villages promeuvent l’idée de vacances régénératrices tout en déculpabilisant le retraité par les habitudes, l’organisation et la structure du travail en loisirs [2]. « An active new way of life », comme le préconisait déjà Del Webb, le promoteur fondateur de Sun City.

Un Disneyland pour grands-parents

La création d’une communauté telle que celle-ci s’est faite ex nihilo.

D’un terrain sans histoire particulière émerge une société homogène. Afin de solidifier le ciment social au sein d’un environnement neutre, The Villages vont faire de l’urbain comme Walt Disney faisait de l’entertainment. Un soupçon de sucre et de fausse réalité pour créer une histoire. The Villages ne sont finalement qu’un immense parc à thème, un Disneyland à vioques. On infantilise nos aînés comme on peut le faire avec nos têtes blondes, de 7 à 77 ans.

Mark, architecte en chef, dessine The Villages comme le parc d’Universal Studios à Orlando, en y racontant des histoires. Ici The Villages ont également des noms enchanteurs, Brownwood, Spanish Springs, Sumter Landing… Les plaques commémoratives disposées çà et là ne racontent que des histoires fictives, comme ce bateau à moitié coulé (visible sur la gauche de la vidéo à 2’07) n’est là que pour apporter un semblant de réalité et d’historicité.

The Villages Part 1 – Promo vidéo

Après un « monde enfantin surgelé » [3], le monde des ganaches sous cloches. Dans The Villages, à l’instar de Disneyland, « se dessine le profil objectif de l’Amérique, jusque dans la morphologie des individus et de la foule » [4]. Mais, si « Disneyland est là pour cacher que c’est le pays qui est réel, toute l’Amérique réelle qui est Disneyland (un peu comme les prisons sont là pour cacher que c’est le social tout entier, dans son omniprésence banale qui est carcérale) » [5], The Villages comme à chaque fois nous montrent des vieux qui veulent rester des actifs. Serait-ce le signe d’une société qui ne voudrait pas vieillir ?


© Ty Giesemann

De notre côté de l’Atlantique, la comparaison offre un contraste extrêmement frappant : les personnes âgées vont en maisons de retraites, ou en EHPAD (Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). La réalité est celle d’un lieu médicalisé. Pas de cheerleaders aux cheveux gris dans les halls ou de petite maison avec son jardin. Les programmes d’EHPAD sont clairement ceux d’hôpitaux en modèle réduit et l’ensemble du personnel est assujetti à la blouse blanche. L’EHPAD est l’antichambre de la mise en terre. Alors que les communautés d’Adult Actives proposent aux personnes de venir s’installer à partir de 55 ans, il est plus rare d’être en maison de retraite à cet âge-là. La moyenne d’âge en EHPAD est de 84 ans et 9 mois alors qu’elle est de 75 ans dans The Villages (comme à Sun City) ; les moins de 75 ans ne représentent que 14 % de la population des EHPAD. Si aux États-Unis les personnes ont tendance à déménager facilement, pour une raison ou une autre, les Français préfèrent rester le plus longtemps chez eux, jusqu’à la nécessité d’être en maison de repos. Question de culture.

D’autres formes d’habitat réapparaissent en parallèle des EHPAD, tels les béguinages. Historiquement, il s’agissait de communautés de religieuses disséminées en Flandre. C’est aujourd’hui un ensemble de logements regroupés autour d’une cour commune. Appartenant au parc HLM, les logements (de petites maisons) sont infiniment plus abordables qu’en maison de retraite et offrent plus d’intimité. Le principe se développe particulièrement dans le Nord de la France.

On reste cependant à mille lieux des équivalents américains. Pourtant cette cure de jouvence dont s’abreuvent les habitants dans The Villages ne paraît finalement pas si puérile. Chacun a le droit à sa dose de fun. Si nos grands-parents veulent retrouver cet esprit de jeunesse et si Ernestine Chassebœuf veut se remettre aux majorettes, qu’à cela ne tienne. Mais de là à ce qu’ils organisent des concours de Mamie T-shirt mouillé…

[1Dean Simpson, « The Villages of Florida », in Volume #27 : Aging, Archis, Amsterdam, 2011, p.126.

[2Ibid., p.127.

[3Jean Baudrillard, Simulacres et Simulation, Galilée, Paris, 1981, p. 25.

[4Ibid.

[5Ibid., p. 25-26.

Texte creative commons.

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