Henri le hacker

Écrit et illustré par Camille Bosqué.

Rencontre avec un « maker » touche-à-tout, pas né de la dernière pluie.

Quand nous arrivons au FacLab de Gennevilliers ce vendredi après-midi, nous tombons sur Henri, en plein déballage de câbles, lentilles, moteurs et pièces détachées. Les placards du fond de la pièce principale sont grands ouverts. On vient de récupérer une sorte de scanner dentaire, en parfait état de fonctionnement et duquel pourront peut-être naître quelques petites machines de prototypage numérique. Henri Gringoz, un fidèle du FacLab, est évidemment sur le coup.
Il fait partie de ces personnes qu’on croise partout, aussi bien en grande discussion toute l’après-midi autour d’une imprimante 3D à l’atelier du FacLab que la nuit dans les locaux enfumés du hackerspace de la Blackboxe à Marx Dormoy. Devenu hacker autodidacte « par nécessité » au début des années 1980, il partage maintenant son temps entre bricolages en tous genres, cours d’informatique à des « seniors », ateliers de robotique dans une association… et autofabrication de machines pour un Fab Lab qui ouvrira bientôt dans le 11e arrondissement de Paris.

Avant d’être ici aujourd’hui au milieu de ces maquettes, prototypes et pièces de récupération, où étais-tu, qu’as-tu fait ?

Oh, j’ai fait plein de choses. Dans les années 1970, j’ai passé un CAP de ferronnier d’art et un bac pro en ferronnerie. J’ai bossé un certain temps là-dedans. Après j’ai fait l’ESAG de Paris, pour être illustrateur en publicité. Je me suis spécialisé en retouche photo, je bossais à l’aérographe, à l’époque. Il n’y avait pas encore d’ordinateurs ni Photoshop ! J’ai fait un peu de sérigraphie, aussi, en quadri, dans les années 1985-1990.

Mon premier ordinateur était un Amstrad, qui se branchait sur l’écran de la télévision. Une espèce de machin avec un clavier, un lecteur de cassettes, un boîtier… une antiquité !

Que faisais-tu avec ton ordinateur ?

Je faisais des jeux, de la programmation BASIC, du traitement de texte… C’était les années 1980. Après sont arrivés les PC. Mon premier ordinateur était un 486… un DX 2, avant les Pentium. Pentium, c’était Windows 95.
Je faisais aussi de l’illustration, mais je ne suis pas resté longtemps là-dedans. Après, j’ai eu un gros accident, je me suis retrouvé longtemps à l’hôpital… Et un peu au chômage à rien faire.
Bref, j’ai acheté un ordinateur avec Windows 3.1 (ça plantait tout le temps) et j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement à l’informatique, tout seul. Par nécessité, j’ai commencé à casser les codes, je faisais des petits programmes, j’apprenais à faire du C, parce que c’était le début des microcontrôleurs et de la programmation. Je me suis acheté des bouquins et j’ai fait ma formation moi-même ! Autodidacte !

Et ensuite, tu es tombé dans l’électronique…

J’étais passionné par les maquettes, les robots, je bricolais déjà. Mais en vrai, c’était mes premières années de galère et je récupérais les trucs dans la rue. Il y avait de plus en plus d’électronique à l’intérieur et c’est pour ça que je me suis mis à bidouiller. Je réparais, en fait ! Des télés, des choses pour moi, mais aussi des choses que je revendais pour me faire un peu d’argent. J’étais au RMI, j’étais pas contre gagner un peu de sous en plus.
Et puis tout ça s’est passé tant bien que mal, jusqu’au début des années 2000, où j’ai connu La Petite Rockette. C’était rue Saint-Maur à l’époque. Maintenant, c’est une association, une ressourcerie qui récupère les matériaux et qui recycle, qui revend, etc. Mais à l’époque, c’était un squat d’habitation, qui est ensuite devenu un squat d’artistes, puis un squat associatif. Après, ça a été reconnu par la mairie et ils ont voulu récupérer les locaux. Du coup, l’association a déménagé rue Oberkampf, où ils sont actuellement.

Comment t’es-tu retrouvé à donner des cours d’informatique là-bas ?

Ma patronne, Monique Epstein, s’occupe de l’association E-seniors e-juniors. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a pris sous son aile et m’a fait faire des formations en informatique. J’ai aussi fait une formation d’ingénieur réseau grâce à elle. La MDPH, la Maison Départementale des Personnes Handicapées, me payait la formation et me rémunérait pour me former.
Maintenant, je donne des cours d’informatique aux adultes et seniors et j’ai un atelier de robotique avec des enfants de 10 à 14 ans.
En parallèle, je viens au FacLab le plus possible. Au départ, je venais souvent pour préparer le matériel de l’atelier robotique des enfants. Maintenant que les choses prennent de l’ampleur, on va monter un Fab Lab dans le 11e arrondissement ! Donc je fabrique moi-même les machines-outils dont on aura besoin dans ce Fab Lab.

Qu’est-ce que tu as fabriqué ici ?

J’ai fabriqué une imprimante 3D et une CNC (NDA : une fraiseuse numérique). La CNC est en pièces détachées pour l’instant. Je l’ai montée une fois, je l’ai faite tourner et basta. Je la stocke en morceaux chez moi, en attendant d’avoir un espace suffisamment grand pour pouvoir la monter complètement et la faire fonctionner.
Et puis je viens au FacLab pour donner un coup de main, faire des petits trucs, discuter par-ci par-là, c’est important.

Mais aujourd’hui, tu es en train de découper des pièces de bois… C’est quoi ?

Aujourd’hui, rien à voir ! Je fais des chaises de poupée pour offrir à mes petits neveux et nièces, et à des copains ! J’ai découpé tout ça au laser.

Ils ont déjà toute la maison de poupée qui va avec ?

Non ! Mais bon, ce sera peut-être un projet futur pour moi. En tous cas il y a déjà les chaises : elles peuvent déjà s’asseoir, les poupées.

Comment as-tu connu le FacLab ?

J’ai entendu parler du FacLab à la télévision. J’ai vu une émission sur France 2 sur le FacLab et les imprimantes 3D cet été. Du coup, j’ai envoyé un mail à Olivier Gendrin pour lui poser des questions au sujet des imprimantes et il m’a dit de venir, que certains ici avaient déjà commencé à en fabriquer.

Je suis venu au FacLab la première fois pour discuter, et le mardi suivant, je me suis dit : Hop, j’y vais, c’est mon tour. J’attaque.

Très vite j’ai vu que je pouvais utiliser toutes les machines et que ça pouvait me permettre de faire encore d’autres machines pour moi !

Tu as aussi fabriqué des choses pour toi, en dehors de tes machines ?

En fait, j’ai récupéré beaucoup de matos et j’ai bidouillé. Mon objectif à moi, c’est vraiment mes machines, d’avoir mon propre atelier pour bosser avec les enfants de l’association, avec les gens, tout le monde… et que je puisse faire mes petits trucs à côté de temps en temps quand j’ai besoin.

J’ai envie d’aider les gens à réaliser leurs trucs ! C’est ce que je fais déjà, un petit peu mine de rien, en venant au FacLab.

À la Blackboxe, tu as aussi ton réseau. Comment y es-tu venu la première fois ?

Comme je connais Martin, un gars de La Petite Rockette qui a une paillasse à la Blackboxe, il m’a invité à venir. Et puis j’ai trouvé l’ambiance sympa. Oh, on discute surtout ! Et quand des gens ont besoin d’un coup de main pour des trucs, une question, j’essaie d’y répondre.

Ah oui, parce que moi, je suis un hacker !

Et c’est quoi pour toi, être un hacker ?

Hacker, je l’entends plus dans le sens d’un découvreur, un défricheur… Être un hacker, c’est s’apercevoir qu’avec un truc on peut refaire quelque chose qui n’a rien à voir, transformer ce qui existe déjà, réutiliser, détourner les objets de leur fonction première.
Aujourd’hui par exemple, j’ai démonté des moteurs pas à pas qu’on a récupérés dans des trucs pour radios panoramiques dentaires et je vais réutiliser tout ça pour ma CNC et pour ma découpeuse laser.

Depuis quand es-tu hacker ?

Je suis hacker depuis que j’ai commencé à m’intéresser aux ordinateurs, parce que ça me faisait chier de payer les programmes, donc j’ai tout de suite tout cracké. Et puis, j’ai appris à faire des petits trucs. Après, en 1992, Linux est apparu ! Ce qui a changé, c’est que beaucoup de programmes étaient en open source, donc libres. C’est là qu’a démarré le mouvement du libre.

En combien de temps as-tu construit ta première imprimante 3D ?

La vitesse à laquelle j’ai fabriqué mon imprimante 3D a épaté tout le monde ici. En un mois et quatre-vingt heures ! Alors qu’au départ j’avais tout à apprendre. J’ai appris ici, en parlant, en allant chercher sur Internet, en allant sur les forums, en posant des questions. C’est vraiment un ensemble de personnes autour de moi qui m’ont permis de faire ce que je fais aujourd’hui. Par exemple, Milo à la Blackboxe, Martin à La Petite Rockette, Adel, Paul, Dai, ici, et d’autres ailleurs…

Où récupérais-tu ce dont tu avais besoin ?

Tout est de la récup’, à part la carte mère que j’ai achetée toute montée, parce que je ne savais pas comment ça fonctionnait. Le reste ? Je l’ai par exemple récupéré à La Petite Rockette, sur des vieilles imprimantes…
Un vieux copain à moi de La Petite Rockette un jour me dit : « Passe, nous aussi on est en train de faire des imprimantes 3D ! » J’y suis allé, j’ai vu ce qu’ils faisaient et je me suis dit qu’on pouvait vraiment tout récupérer. Alors du coup, même les moteurs pas à pas pour ma CNC je les ai trouvés là-bas !

Comment se déroulent les ateliers E-seniors ?

Figure-toi d’abord qu’il y en a beaucoup qui ont un ordinateur et qui ne l’ont jamais ouvert, qui ne savent même pas l’utiliser ! Mais ça va, ce sont des petits groupes, ils sont six ou huit par cours. Le plus vieil élève a 92 ans, le plus jeune, 45 ans !

Et 45 ans, ça compte déjà comme senior ?

La communauté européenne dit qu’à partir de 47 ans une personne est considérée comme senior. On s’adresse à tous publics : beaucoup de demandeurs d’emploi ont besoin de cours sur Word, Excel, pour faire des CV, pour la compta, etc. Les seniors n’ont pas besoin de ça. Avec eux, c’est vraiment l’apprentissage du clavier, toutes les touches, la souris et Internet bien sûr. Google et les outils de ce moteur de recherche, photos, vidéos et Street View, ils adorent ça ! Pouvoir se balader… On est allés au parc de Thoiry voir les animaux par exemple. Et on leur donne des supports de cours et des exercices à réaliser chez eux pour s’entraîner.
Ils ont cours une fois par semaine, deux heures. On a une ossature et on est quand même libres d’adapter les cours selon leurs rythmes à eux. Parfois, il faut leur expliquer la même chose de quatre manières différentes.

Les personnes âgées, c’est un public qui te plaît ?

Moi j’aime bien partager mon savoir, ce que je connais.

Ce qui est marrant avec les seniors, c’est qu’ils sont comme les gamins : impatients. Ils voudraient que tout marche tout de suite, par magie.

Et puis ils ont des questions parfois déroutantes !
Certains veulent utiliser Internet pour faire des connaissances. J’avais une petite mamie, c’était pour draguer… Elle voulait des cours particuliers sur les clubs de rencontres sur Internet. Je l’ai aidée un petit peu.
Je lui ai dit de se méfier, quand même, il y a des escrocs. J’ai connu ça dans les années 1990, avec le Minitel rose, 3615 ULLA… « Belle blonde d’1 m 75, 56 kilos… » Ah bon ? Bon, bah on repassera hein !
Ils veulent se faire des profils Facebook, aussi. Et Skype, ils aiment bien. Parce qu’ils peuvent voir leurs petits-enfants. Et entre eux, ça permet aussi de créer des liens, ils s’envoient des e-mails. Mais là j’ai eu ce trimestre un problème avec un élève. Sa femme venait de décéder et il venait au cours plutôt pour se changer les idées, parce qu’il ne pouvait pas rester tout seul chez lui. Du coup, il n’apprenait rien en cours, et il ne s’entraînait pas chez lui… ça n’allait pas. Et à un moment donné il a pété un câble, on a discuté, et je me suis aperçu qu’il voulait apprendre des choses qui lui plaisaient à lui directement. On s’adapte ! On fait des choses en aparté. Lui, donc, il était à fond sur Google Earth, des choses comme ça.

Est-ce que tu leur parles de ce que tu fais ici au FacLab ?

Je leur en parle, mais en fait ça ne les intéresse pas spécialement. Ils se sentent loin de tout ça, ils ont leur monde à eux. Par contre, quand j’ai amené mon imprimante 3D pour leur montrer, là, ils étaient plus curieux. Ils la voyaient. Sinon pour eux c’est abstrait, ça leur passe au dessus et ils ne comprennent pas le principe de rajout de matière… ! Au début ils croyaient que c’était imprimé sur du papier, ils confondaient un petit peu avec le cinéma, les hologrammes et les écrans 3D.

Est-ce que tu es déjà venu ici avec eux pour leur montrer ce qui s’y passe ?

Les seniors, non. Mais par contre les enfants seraient vraiment intéressés. À l’atelier de robotique que j’anime dans le 11e, je leur fais déjà faire des choses avec du matériel de récupération, des moteurs repris dans des lecteurs de cédéroms, du bois trouvé dans la rue…

Et pourquoi ne pas faire la même chose avec les seniors ?

Ah ! Mais c’est exactement l’objectif du Fab Lab du 11e ! Ce sera un lieu intergénérationnel. L’idée c’est que si c’est un espace juste à côté de l’asso, les seniors pourront venir plus facilement… On verra si ça marche quand on aura ouvert nos portes !

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texte : creative commons - image : © Camille Bosqué

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