La chaise, en toute discrétion
Épisode 7 : suite et fin

Écrit par Pia Pandelakis et illustré par Marisol Godard.

Étudier le meuble est une ambition, qui, dans la Recherche dépasse le cadre (intéressant, certes) des mentions de style (de la bergère Directoire de Charlus aux fauteuils de Beauvais de Mme. de Villeparisis). Une attention au mobilier est nécessaire.

La chaise en toute discrétion

Ainsi les assises témoignent des façons d’être au meuble, sachant qu’ici nous nous sommes limités à commenter et expliciter la position assise. Il y aurait beaucoup à dire sur les avachissements, les positions allongées (la maîtresse de Saint-Loup en cabinet particulier, Albertine aux côtés du narrateur), qui témoignent des relations érotiques. Il faudrait également évoquer le rapport au sommeil et la position allongée de veille (Du côté de chez Swann) jusqu’aux attentes dans la chambre d’hôtel (À l’ombre des jeunes filles en fleur). Il est intéressant de noter qu’en essayant d’échapper à un commentaire de la mondanité vue à travers le mobilier, on y revient, cette fois non pas par l’entrée stylistique (les gens de goût ne vont pas chez Bing, par exemple) mais par le rôle discret que jouent les chaises, en tant qu’elles organisent les déplacements, déforment la réalité (comme dans le cas de la bergère), séparent les salons entre les gens du monde et les fâcheux.

Autrement dit, les assises remplissent à peu près le même rôle que le langage, mais sur un mode différent, mineur peut-être ; Proust lui-même trace d’ailleurs un lien direct entre la décoration des salons et le langage, en affirmant que la conversation de la Duchesse possède :

"une étrangeté de tapisserie gothique".

Cette façon délicate pour les assises de s’insérer comme d’innocentes mentions descriptives, au mieux comme d’informatives didascalies, interpellent le lecteur et doivent titiller le designer. Parce qu’elles sont en retrait, moins fracassantes que les colères de Charlus ou les impolitesses du Duc, elles présentent justement cet avantage d’offrir une entrée autre que celle du seul langage, ainsi qu’une occasion de montrer que le récit proustien est bien incarné, pas seulement dans un petit morceau de madeleine, mais bien dans des corps agissants, pétris d’usages et de gestes.

Texte : Creative Commons, illustrations © Marisol Godard.

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