Qui n’a jamais été tenté de subtiliser un menu au restaurant ?
Qui ne s’est jamais octroyé ce petit plaisir : faire glisser cet « obscur objet du désir » entre les pages de son livre, tout en poursuivant – avec le sourire, of course ! – sa conversation, ni vu, ni connu ? Et de se retrouver, en sortant, à serrer bien fort cet ouvrage complice.
Nous l’avouons, nous en sommes ! Année après année les menus se sont accumulés par dizaine. C’est donc tout naturellement que l’un des derniers nés des éditions Taschen nous a tapé dans l’œil. Menu Design In America retrace plus d’un siècle de restauration américaine en nous plongeant dans des menus tous plus alléchants les uns que les autres, tant d’un point de vue gastronomique que graphique. Avec ce livre, les mœurs américaines sont aussi passées à la loupe ! Et autant dire qu’aujourd’hui beaucoup de ces menus nous feraient bondir. Entre caricatures misogynes (le menu de l’International Casino de New York datant de 1937 qui offre en plat d’honneur une pin-up à jarretière), racistes (celui du Coon-Chicken Inn de Seattle, en français « Au poulet Nègre », qui prend pour forme la tête d’un serveur noir, affublé d’un sourire béant aux lèvres rouges pulpeuses), et promotion de la malbouffe (l’enseigne Fat Boy inaugure ainsi la nouvelle vague des drive-in, à l’instar de celui dans le mythique American Graffiti de G. Lucas, ou celle de son compère, l’homme-hamburger, Fat Eddie, véritable « bonbonne » prête à s’envoler), on en a pour notre compte !
Mais regardons tout ça d’un œil amusé, et attardons-nous sur une des perles graphiques de ce livre : le menu du Four Season (New York/1960). En guise de carte, c’est un élégant format à l’italienne qui nous est offert. Nombre de détails raffinés en font un objet d’exception : sur une couverture est rabattu un papier japonais sur lequel est dessiné, à la craie grasse, un arbre fleuri vert-pomme – symbole de l’été. En ouvrant la carte, c’est un véritable concert d’italiques, de petites capitales, d’ornements sophistiqués et de couleurs pastels qui nous est donné à déguster.
L’exigence accordée à la mise en page est manifeste (déjà l’art de la tabulation !).
Le seul bémol qu’on pourrait reprocher au livre, c’est celui de ne pas assez souvent nous éclairer sur l’identité du créateur. Et pourtant, il nous est possible de remarquer à l’œil nu des signatures au bas de certains menus…
Cela étant, Menu Design In America est un régal pour les yeux tout autant que pour les papilles. Qui résisterait à un cocktail « Honolulu » par 35°C en se ventilant avec le surprenant et coloré menu-éventail du Mc Donnel’s ?
Jim Heimann, Steven Heller, John Mariani, Menu Design in America - 1850–1985, Taschen, 2011.