Un format presque poche pour l’essentiel des éléments de compréhension et de réflexion consacrés aux villes nocturnes : loin des cahiers techniques et des ouvrages d’art, Les éclairages des villes, vers un urbanisme nocturne s’apparente à un petit guide accessible et instructif traitant de la lumière urbaine.
Concepteur lumière reconnu de par son activité et ses nombreux ouvrages de référence dans le domaine, Roger Narboni propose ici de s’attarder sur “cette relation entre éclairage urbain et appropriation nocturne des villes” afin “de réfléchir ensuite à des propositions imaginatives et constructives pour les futurs de nos nuits urbaines”.
Tout reste donc à inventer.
Urbanisme lumière, urbanisme nocturne
Auteur, entre autres, de La lumière urbaine [1], et de La nuit disparue [2], fiction décrivant une ville qui serait continuellement éclairée, voici que ce dernier ouvrage de R.Narboni change d’expression. Sous-titré “vers un urbanisme nocturne”, il offre un conte imaginant la ville obscure… prodrome d’une tendance pressentie par un visionnaire ? Attaché à la part possible de l’obscurité, il a envisagé dès ses premiers écrits de réfléchir à des plans de sauvegarde de l’ombre comme contre propositions aux systématiques plans lumière.
Voici donc le tempérament de l’auteur et l’esprit du livre : loin des idées préconcues et en vogue, R. Narboni réfléchit et imagine des alternatives.
En effet, fort de son expérience professionnelle et de sa (re)connaissance, l’auteur ne s’en tient pas à de simples exposés factuels. Au contraire, la majorité des éléments présentés est l’occasion de soulever une problématique, de partager un point de vue souvent très affirmé, voire de partager un imaginaire parfois étonnant, rendant la lecture animée. Ainsi, on pourra apprécier l’idée d’“améliorer la vie nocturne au quotidien plutot que de privilégier une image nocturne tapageuse dédiée principalement aux touristes” ; pour ensuite être interpellé par la perspective d’un développement des “systèmes de vidéos surveillance à faible niveau lumineux” et finir par rêver à “une redécouverte de la nuit en ville et l’invention de nouvelles manières d’éclairer qui respectent l’obscurité”.
Prise en compte globale pour des lumières locales
Bien que pouvant paraître parfois décousu, l’ouvrage possède cependant une intention dessinée : celle de remédier à un déficit de réflexion en considérant l’éclairage urbain dans un environnement pluriel, à la fois social, géographique, technologique, historique… et surtout culturel.
C’est ainsi qu’en relevant les tendances actuelles de l’éclairage (tourisme nocturne, urbanisme lumière, marketing urbain, économie d’énergie …), Roger Narboni fait le constat d’une “absence totale de géoculture de l’éclairage public” qui serait pourtant “l’un des enjeux majeurs de l’urbanisme nocturne”. Cette culture propre à chaque pays - et même pouvons-nous dire à chaque ville - nécessiterait un véritable travail de recherche concernant les particularités locales de la lumière et de l’éclairage, mais également une prise en compte des pratiques nocturnes actuelles.
Ni image chaotique venant d’initiatives éparses et non concertées, ni image fixe imposée, c’est au travers de nombreux exemples – très majoritairement issus de réalisations et de projets personnels, frôlant parfois l’impression de prosélytisme – que se dessine l’entité à grande échelle de la ville éclairée, faite en réalité d’identités nocturnes.
Exercices pratiques
Démonstration apliquée de l’intéret de cette approche géoculturelle, l’auteur nous présente sous forme de Cartes postales nocturnes vingt-trois villes observées de nuit lors de voyages professionnels ou de visites touristiques. Paris, Las Vegas, Shanghai bien sûr, mais également Bamako, Reykjavik ou encore Valparaiso...
Chacune de ces villes est d’abord présentée dans son environnement global (historique, culturel et géographique), pour en venir à leurs particularités lumières. S’appuyant sur ses expériences professionnelles et sa sensibilité personnelle, c’est à partir de ces élements que l’auteur développe son point de vue, toujours très présent.
Ainsi, il n’hésitera pas à être critique à l’égard de réalisations pourtant reconnues, à l’image de Lyon, nommée “le contre-exemple” (avis partagé et lu avec un certain plaisir) ou encore à se réveler partisan de la non-action, comme pour le silence de lumière sur le mur de Berlin. Certaines villes seront très détaillées, notamment Jérusalem, à noter comme une de ses dernières réalisations en date. Pour beaucoup d’autres – celles qui n’ont pas encore d’aménagement lumière défini – la part sera donnée à l’imagination et aux possibles.
Bien que l’intonation soit parfois péremptoire, nous autres lecteurs forts de la première partie de l’ouvrage et des voies de réflexions mises à disposition, avons plaisir à concevoir la discussion ouverte et à imaginer des ambiances et des éclairages pour ces villes présentées, qu’elles nous soient familières, rêvées ou inconnues.
On regrettera néanmoins la qualité et le choix de certains documents iconographiques dans cette dernière partie notamment mais de façon générale dans l’ouvrage, souvent mal dimensionnés par rapport à leur réel intérêt. Une faiblesse dommageable pour ce livre dont le format est au contraire apprécié pour sa manipulation aisée et sa facilité de lecture.
Professionnels ou amateurs, voici donc un ouvrage utile : un livre personnel, perçu comme une mise à jour de la réflexion d’un concepteur lumière critique et inspiré… et bien souvent visionnaire.
C’est peut-être donc aujourd’hui et dans ces conditions exceptionnelles que réside une chance historique pour inventer autrement la lumière des espaces de nos villes.
—
Roger Narboni, Les éclairages des villes, vers un urbanisme lumière, éditions In folio, collection archigraphy poche, 2012.
—
À noter : Roger Narboni présentera son livre Les Eclairages des villes à la librairie ArchiLIB le jeudi 29 novembre de 18h30 à 20h30.