Rhétorique de la platitude

Écrit par Estelle Berger.

Ces objets qui voudraient disparaître...

Après quelques semaines, que retenir de la seconde édition de la très médiatique Design Week parisienne qui s’est tenue mi-septembre [1] ?

Peut-être une impression de platitude. Non pas que les objets et concepts présentés soient fades ou ennuyeux (quoique...) ; non, une platitude physique, littérale.

D’ailleurs mise en exergue dans le parcours “Minimum” conçu par Elizabeth Leriche à Maison&Objet, la quantité d’objets-plans récemment édités est frappante.

Plateaux de meubles, luminaires et autres pièces de mobilier suivent ainsi une tendance massive à se transformer en surfaces lisses. Plus question de tridimensionnalité, ces objets cherchent à faire oublier leur matérialité au profit d’un effet visuel, lumineux ou coloré. Rappel du vocabulaire formel et interactif des diverses surfaces tactiles qui envahissent notre quotidien ? Pas seulement. Ces objets revendiquent une dimension low-tech, une économie de moyens. Jeux de lumières, de trames et de transparences remplacent toute intervention numérique.

Il ne s’agit évidemment pas de minimalisme – que Donald Judd repose en paix – mais plutôt d’objets dont l’enveloppe physique préfère s’effacer derrière les émotions ou les souvenirs qu’ils auront inspirés. La disparition est justement au cœur du discours des créateurs de ces pièces :

« Chacun de ces objets fonctionne comme une boîte noire photographique, un révélateur d’images et d’émotions. La perception d’un paysage, d’un ciel changeant, d’un coucher de soleil ou d’une aurore boréale est soutenue par la vision partielle, mouvante et colorée d’une photographie sérigraphiée sur aluminium et dissimulée à l’intérieur. L’important ici n’est pas l’image en elle-même, mais bien les impressions contenues dans un moment passé, dans un souvenir maintenu vivant grâce à l’objet qui l’abrite et au système lumineux mis en œuvre. Les spots Leds balaient alternativement la surface imprimée. La photographie n’est jamais visible dans sa totalité. L’expérience de l’objet devient ainsi évolutive, laissant le spectateur libre de se projeter dans sa propre mémoire sensorielle. »

Noé Duchaufour-Lawrance à propos de la série Naturoscopie III (extrait du site du designer)

« Blur is a study of invisibility. Through the material suggestion of disappearance the Blur Sofa questions its objectivity, scale and the relationship between figure and ground. This distortion of mass provides the Blur Sofa with an irrefutable uncertainty of dimension. »

Marc Thorpe à propos du sofa Blur (extrait du site du designer)

« The physical blocking of the light was an important aspect in our concept, where a total of three different lights demonstrate the three different aspects of a syzygy : transit, occultation and eclipse. (...) An eclipse occurs when a body disappears or partially disappears from view, either by an occultation, as with a solar eclipse, or by passing into the shadow of another body, as with a lunar eclipse. »

Os&Oos à propos du luminaire Syzygy (extrait du site du designer)

Boîte noire, invisibilité, éclipse... Et quelle meilleure mise en scène de la disparition de l’objet que le miroir, qui se prête lui aussi à de multiples déclinaisons :


Thomas Eurlins, Fading mirror


Benjamin Graindorge, Mirage


Jean-Marie Massaud, Fiction

Certes, cette galerie d’expérimentations nous propose de nouvelles et réjouissantes créations d’effets. Il est d’ailleurs étonnant que ces répertoires n’aient pas été plus largement exploités jusqu’ici. Mais lorsque le moyen se systématise (à l’instar du dégradé, récemment devenu omniprésent dans la mode et la décoration), on peut douter de l’épaisseur du questionnement des créateurs qui l’emploient. Et, à ce propos, on peut regretter que ces objets mettent en jeu uniquement leur surface et non leur substance.
Peut-être constituent-ils l’ébauche d’un retour à une poétique archaïque sur la peau même de nos objets, prenant à contrepied le tout-numérique ambiant et sa surenchère de sollicitations sensorielles intrusives. Mais les créations du cru 2012 peinent à se détacher d’un design cosmétique, qui crée de l’effet de surface sans affecter l’objet dans son sens ou son usage.

[1Participants et bilan à retrouver sur http://www.parisdesignweek.fr

Texte : creative commons, crédit photographique pour Marc Thorpe, sofa Blur : http://feesmaison.com.

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