L’imaginaire comme espace de transition ?
Projet fou, pour une jeune revue comme la nôtre, que de lancer sa troisième saison sur un thème aussi vaste que les "imaginaires technologiques"…. C’est oublier que Strabic sera toujours plus exotique qu’exhaustif. Il est vrai qu’avant même d’être confrontées, ces deux notions résistent à l’exercice bien convenu de la définition – l’une comme l’autre refusant en effet la clarté et la stabilité d’une signification arrêtée.
Heureusement, comme très souvent, le voyage en étymologie est instructif : il fait le jour sur certains points problématiques et nous permet d’esquiver les lieux communs, pour mieux découvrir les clairières inexplorées de nos touffues pensées.
Vous avez dit technologiques ?
Avant d’aborder les sacro-saintes nouvelles technologies – forcément high – qui envahissent notre quotidien et s’affirment comme la raison d’être du XXIe siècle naissant, il faut, pour mémoire et par sécurité, se pencher sur les origines de la technologie. « Traité sur un art, exposé des règles d’un art ». Et voilà déjà que l’on trébuche sur les racines grecques : rationalisation ? Circonscription d’un domaine ?
Imaginaires, mon cher Watson !
Cette fois, c’est dans un humus tout latin qu’il faut creuser avant de rempoter. Imaginarius ? Il y a de l’imago là-dedans, de l’image. On nage en pleine fiction, ça sent la simulation à plein nez. C’est tout un monde qui est généré, mais peut-on vraiment y croire ? « i² = -1 » lance l’air de rien le mathématicien. Voilà qu’en trois coups de cuillère à pot, c’est tout un univers – à l’instar de ces précédents nombres imaginaires – qui s’ouvre à nous.
Couple mythique ?
Rassembler ainsi technologie et imaginaire crée nécessairement des tensions : raison versus fiction. Réduction versus production. On l’a bien compris et c’est précisément sous l’orage d’éclairs que provoque cette confrontation que nous allons nous installer. Nos contributeurs – nouvelles recrues ou (jeunes) vétérans de Strabic – joueront ainsi les paratonnerres et tenteront d’offrir à cette nouvelle saison la grâce d’un Lightning Field à la Walter De Maria. Et tous les regards de converger ainsi vers la captivante question :
Quelles relations entretiennent ces deux entités ? Les technologies, en constant renouvellement, viennent-elles rafraîchir les imaginaires collectifs ? Les imaginaires en place aident-ils à faire accepter les avancées technologiques ? Une telle tension dans le couple, de tels coups de tonnerre, c’est sûrement une séduction des plus sensuelles qui s’opère… Quelles sortes d’enfants peuvent bien naître de cette union ?
Souvenirs / Avenir
Apparition de l’aviation, essor des télécommunications, conquête de l’espace, émergence du nucléaire, etc. Les nouvelles pensées de la technique ont toujours été associées à des imaginaires plus ou moins singuliers, comme pour se rassurer, comme pour mieux avancer. Rappelons-nous en effet des premières télévisions et de leur faible impact sur la tradition du mobilier domestique. Repensons à l’arrivée de l’informatique dans la sphère civile, ou mieux encore, dans le cinéma. Ou à ce que confiait J.G. Ballard, un des principaux chefs de file de la SF : « à ses débuts, par un curieux paradoxe, la science-fiction, vouée au changement et à la nouveauté, était émotionnellement dépendante du statu quo et de l’ancien ».
C’est ce genre de phénomènes que nous allons essayer de comprendre, dans des domaines aussi variés que l’automobile, la mode, l’architecture, l’urbanisme, la littérature, les jeux vidéos, le sport, l’informatique, ou l’aérospatiale.
Trafic : fluide
On discutera d’une hypothèse centrale : l’imaginaire s’affirme toujours comme un espace de transition entre deux conceptions technologiques successives. N’oublions pas de soulever les possibles conséquences d’une telle proposition : véritablement stériles, certains imaginaires semblent brader les nouvelles pensées techniques et les reléguer dans la sphère du kitsch quand d’autres, beaucoup plus féconds, viennent déplacer les usages et les technologies vers de nouveaux mondes.
Et Dieu dans tout ça ?
Au fond, pourquoi choisir ce thème dans une revue de design, même au sens le plus large ?
Si imaginaire et technologie constituent effectivement un couple tumultueux, repenser les technologies et s’approprier les imaginaires collectifs associés, n’est-ce pas là le propre de l’activité du designer ? Proposer de sortir de la stérile opposition entre forme et fonction pour mieux étudier le dialogue entre pensées de la technique et régimes de l’imagination, n’est-ce pas suivre précisément notre ligne éditoriale et porter littéralement un autre regard sur le design ?