J’ai testé pour vous… le recrutement dans la Marine nationale

Écrit par "n°23", illustré par Simon Roussin.

Un jour, j’ai postulé pour devenir graphiste dans la Marine nationale.

Et si j’étais déjà marin sans le savoir ?

Début décembre, après avoir vu une annonce passée sur le site etremarin.fr concernant un poste de graphiste volontaire officier aspirant pour la Marine nationale, j’envoie lettre de motivation et CV. En attendant une éventuelle réponse, je commence à réviser mes classiques sur la Marine, les types de bâtiments, leurs noms, les missions de la Marine et tout le reste en vue d’un entretien éventuel.
Quelques jours plus tard, j’apprends que je suis retenue pour passer le premier entretien d’embauche.
Motivée à bloc, tendue comme une arbalète, j’égrène la devise de la Marine dans ma tête pour me détendre. Honneur Patrie Valeur Discipline. Ce premier entretien dure 1h30. C’est un entretien d’embauche classique avec plein de questions sur la Marine et, heureusement, j’avais bien appris mes leçons.
L’entretien se termine cordialement, je suis pleine d’espoir : « et si j’étais déjà marin sans le savoir ? »

Je n’ai plus qu’à attendre un autre coup de fil pour la suite du processus de recrutement.
On m’appelle : ouf, je continue l’aventure. C’est parti pour un petit séjour au Fort Neuf de Vincennes : une immersion dans le monde des militaires pendant deux jours, c’est un peu la colo à thème.


la composition en drapeau

Je reçois ma convocation que j’étudie minutieusement : la première demi-journée est consacrée aux « papiers administratifs ». 4 heures pour remplir des papiers ?
Je me vois déjà en train de remplir des milliards de formulaires…

Me voilà donc fin janvier, à 7h45 à Vincennes pour les différents tests qui m’attendent.
Je rentre, je m’inscris, je pose mon sac et j’attends comme les autres que quelqu’un vienne nous chercher. Finalement, un militaire arrive, ce sera notre chef d’équipe (celui qui nous guidera tout au long de ces deux jours…). Il nous amène dans une autre pièce et après un petit discours d’introduction, il fait l’appel, on doit répondre « présent » et pas autre chose, se lever, aller chercher son badge (désormais on nous appelle avec des numéros).
Une fois l’appel effectué, les badges accrochés et bien visibles, « côté cœur », nous nous rendons en colonne deux par deux, comme à l’école, dans un autre bâtiment où va commencer ce que je crois être un marathon administratif. Finalement ce sera plus une épreuve de patience qu’autre chose… Nous prenons place à une table d’écolier sur laquelle nous attendent des formulaires, un crayon et une gomme. À l’aide d’un PowerPoint, une militaire tente de nous expliquer très très clairement comment va se dérouler cette matinée, à quel rythme et comment remplir les formulaires, je me dis qu’elle nous prend un peu pour des nouilles.

Nous commençons par l’en-tête de la première feuille : nom / prénom / date de naissance /… et c’est à ce moment-là que je comprends : la lenteur extrême de certains candidats, leur difficulté à écrire me font présager une loooooongue matinée d’attente. Finalement, il fallait bien une demi-journée pour remplir 6 pages. La matinée passe. Les papiers sont remplis. Il est 12 h.

On se retrouve au point d’accueil et on attend qu’on nous amène à la cantine, toujours en rang par deux comme des canetons derrière leur maman.

C’est l’après-midi, voici venu le temps de la visite médicale, un grand moment !
Nous sommes reçus par un infirmier en chef, il n’est pas là pour rigoler.
Nous sommes 25 dans notre équipe. Le premier test est le test d’urine. Dans la salle d’attente on nous distribue à chacun un gobelet en plastique.
Puis, en rang d’oignons devant 5 ou 6 portes de cabinets, on attend que les toilettes se libèrent. Une petite odeur flotte dans l’air, certains garçons sont pétrifiés à l’idée de faire pipi avec tant de monde autour…
Une fois que tout le monde a rempli sa mission, on passe dans une autre pièce.
Et là je vais parler en peintre comme disait Giono, mais c’était très beau : devant nous s’étalait tout un nuancier couleur pipi. Une quinzaine de petits gobelets remplis de couleurs ! Du jaune, jaune orangé, jaune plus clair et jaune plus foncé…

On passe dans la pièce d’à côté, où, patiemment, un docteur pipi se charge de tremper une petite languette dans chaque gobelet. Tout le monde le regarde faire et surveille sa languette changer de couleur. Chacun compare sa languette avec celle du voisin, c’est très étrange. Finalement, c’est bon, l’angoisse est levée pour tous. On passe aux tests suivants : le poids, la taille, l’IMC, le cardiogramme, le souffle, les yeux, les oreilles, puis l’état général.
Je fais rapidement tous les tests et m’échappe pour aller passer le test d’anglais, puis je retourne auprès de mon équipe, attendre. Nous regardons un reportage sur les militaires en Guyane.

Il est 20h, je suis propre et je m’ennuie.

On attend qu’il soit 18h et qu’on nous amène à la cantine pour le souper. À 19h, on récupère nos draps à l’accueil et nous montons dans les chambres pour faire notre lit et ranger nos affaires dans l’armoire.
Dans la chambre je ne connais personne.
Il est 20h, on a mangé, les lits sont faits, il fait nuit noire, dehors il fait froid…
Je sors un peu, je traîne dans la salle d’attente. Je remonte et vais prendre ma douche. Je suis propre et je m’ennuie. Je fais connaissance avec une fille de la chambre. On papote.
À 22h, le militaire chargé de nous surveiller cette nuit vient voir si la chambre est bien rangée, si les lits sont bien faits. Comme l’eau chaude est en panne dans les douches des filles, il nous propose de nous réveiller à 5h40 le lendemain pour que nous puissions nous doucher dans celles des garçons avant qu’ils ne soient réveillés, bien entendu. Les filles sont d’accord.

Je comprends que je viens de perdre 20 min de sommeil pour une douche chaude.

Nous sommes toutes au lit quand le surveillant repasse avec deux pompiers de Paris, chargés de la sécurité pour la nuit. On désigne une responsable de chambre et on écoute studieusement les consignes.
Une fille demande si c’est eux qui viendront nous sauver s’il y a le feu… Ils nous souhaitent bonne nuit, on éteint la lumière et la porte se ferme. Le silence tient moins de 30 secondes, ça caquette dans la chambre. Une demi-heure plus tard, le surveillant repasse pour demander le silence. Finalement, j’ai très bien dormi dans mon petit lit. Quand le lendemain à 5h40, le surveillant allume la lumière, je suis la seule à être en forme. Les choses s’enchaînent, chronométrées : douche, rangement de la chambre, à 6h on défait les lits, on plie les draps en suivant le mode d’emploi punaisé sur les murs, on aide celles qui n’y arrivent pas, à 6h20, le surveillant repasse pour vérifier que les draps sont bien pliés puis on descend à l’accueil à 6h45, et on attend. À 7h, on nous amène à la cantine, on prend le petit déjeuner, à 7h30 on remonte dans les chambres, on se change pour le sport, on redescend avec les draps, on rend nos draps et on attend dehors qu’il soit 7h45. Toujours en colonnes et par équipe, on écoute le programme de la journée. Je n’entends pas grand chose de ce qu’il se dit mais quand tout le monde bouge je me mets avec ceux qui passent le sport.


l’épreuve sportive

Il est 8h, le jour se lève, on commence le premier test : le Luc léger, un truc horrible et super épuisant, je fais de mon mieux mais sors rapidement des rangs. Puis vient l’épreuve du parcours sportif. Enfin, pour finir, la fameuse épreuve des suspensions pour les filles et tractions pour les garçons. On commence par les filles. Contre toute attente et sans entraînement, je tiens 19 secondes à la barre sous le regard d’un grand militaire en face de moi qui regarde le chrono. Tout le monde me regarde me balancer, accrochée de toutes mes forces à cette barre de fer.
9h30, le sport est fini, j’ai l’impression qu’il est midi, j’ai faim. Je remonte dans la chambre, je prends ma deuxième douche de la journée, puis je rends mon badge et je sors du fort.

Demain, j’ai rendez-vous pour les tests psychotechniques et un entretien avec une psychologue.
Je fais le test des dominos sans les finir mais je me dis que ce n’est pas grave puisque c’est pour détecter les surdoués. Puis après deux heures d’attente, je suis reçue par la psychologue. L’entretien se passe bien. Je dois attendre encore deux semaines qu’on me rappelle pour avoir mon dernier entretien avec un capitaine de corvette.


l’entretien psychologique

On me rappelle, j’ai un entretien avec le chef de cabinet. J’amène mon book, l’entretien se passe bien, je suis plutôt confiante. Le lendemain, j’ai le résultat du recrutement qui aura duré 3 mois en tout, je ne suis pas prise. Je ne serai pas une militaire.

Signé n° 23.

Texte : creative commons, Images : © Simon Roussin.

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