Quelques mois après un mouvement social d’ampleur qui s’est caractérisé par une créativité peu habituelle, quelques semaines avant une déferlante de marketing politique en vue des élections présidentielles et législatives, il paraît judicieux de profiter du calme relatif actuel pour en apprendre davantage sur l’un des supports les plus utilisés dans ce genre de période. Le livre Agit-tracts de Zvonimir Novak édité par les éditions L’échappée à la fin 2015 semble parfait pour cela, l’auteur s’étant déjà fait connaître pour ses livres sur les autocollants politiques (La lutte des signes, Éd. Libertaires, 2011) et sur les supports graphiques produits par l’extrême-droite (Tricolores, L’Échappée, 2011).
Quoiqu’épais, volumineux et lourd, l’objet Agit-tracts garde une certaine souplesse du fait notamment de la faible main du papier et d’une couverture de même grammage que les pages intérieures du livre. D’abord intrigant, ce livre presque pliable semble entretenir une certaine analogie formelle avec la feuille volante qui fait son sujet. Ce sentiment est par ailleurs alimenté par la reliure apparente qui laisserait à penser que les pages pourraient être détachables si elles n’étaient cousues en cahier.
Malaisée pour une lecture livre-en-main attentive, la grande taille de l’ouvrage lui confère malgré tout un intérêt particulier, non négligeable, compte-tenu de son propos. Nombre de libelles, tracts, papillons et autres dépliants politiques et militaires y sont en effet reproduits à échelle 1:1, ou à tout le moins dans une taille permettant d’en lire le contenu.
Brève histoire de l’origine du tract, revue de la diversité des formes du support ainsi que des modes de diffusion et descriptions de l’utilisation des feuilles volantes à différentes époques de l’histoire récente de l’Hexagone, voilà en quelques quelques mots la trame du livre.
C’est donc en s’appuyant sur une flopée de tracts que sont décrits les moments marquants du XIXe aux années 2000. Riche en anecdotes sur les tracts et ceux qui les ont faits, l’auteur pèche cependant par une langue bonhomme, trop emphatique et pleine d’exagérations stylistiques qui appesantissent inutilement le texte. — « Pour faire un bon papillon, il faut comprimer le message, le réduire à l’essentiel. Tel un coup de katana porté par le samouraï, il doit être aussi précis qu’incisif. » p.93. « Ça alors, des bandes dessinées politiques distribuées sous forme de tracts, quelle drôle d’idée ! » p.108, pour ne citer que quelques exemples. — Si ce choix stylistique n’est pas d’une grande gravité, l’écriture un peu lourde par sa volonté de légèreté rend cependant la lecture laborieuse. À cela, il faut ajouter qu’un certain nombre d’appréciations et de descriptions historiques laissent dubitatif le lecteur attentif. On verra ainsi les communistes raillés pour leur entrée soit-disant tardive dans la résistance malgré leur clandestinité. On lira aussi les descriptions dithyrambiques des réalisations anglo-saxonnes de la Seconde Guerre Mondiale, quand les autres organisations subissent un regard très critique.
On appréciera par contre, l’intérêt que l’auteur porte, à plusieurs reprises, à la forme, non seulement graphique, mais aussi littéraire des objets qu’il présente.
Ce livre étant particulièrement approprié pour une lecture par à-coups, on invitera à la prudence celles et ceux qui souhaiteraient en faire une lecture linéaire et exhaustive. Malgré tout, la quantité importante de tracts reproduits, la diversité des supports, des modes d’expression et des usages décrits font de l’ouvrage un outil particulièrement intéressant. Que ce soit par simple curiosité, pour illustrer son exposé en cours d’histoire, pour en savoir plus sur les modes de rédaction et de diffusion des résistants de la Seconde Guerre Mondiale ou pour chercher de l’inspiration afin de réaliser ses propre tracts, Agit-tracts est un livre que l’on recommande.
Tract dépliant de la SFIO, jouant sur le pliage du support pour dérouler un argumentaire, 1936.
tract dépliant britannique lors de la Seconde Guerre Mondiale, 1942.
Ensemble de tracts anti-communistes des Croix de feu, années 1930.
Régulièrement, l’auteur se penche plus en détail sur l’histoire de certains tracts spécifiques. Ici un tract anti-communiste de l’Esprit français, 1936.
Tracts de la France libre, du PC et de la Propagandastaffel, 1942-1943.
Tract communiste et réponses capitalistes sur l’armement des deux républiques allemandes, 1952.
La maquette généreuse du livre est signée par l’Atelier des grands pêchers.
« Comic tract » anti-communiste des Croix de feu, non-daté.
À droite « comic tract » pro-électoral du mouvement anti-communiste Paix et Liberté, non-daté.
« Comic tract » de l’Internationale situationniste réalisé à partir d’un bande-dessinée détournée, 1967.
Tracts des Viet-Minh et de l’armée française lors de la guerre d’indépendance vietnamienne.
Tracts subtils de l’armée française lors de la guerre d’indépendance algérienne.
Flyers photocopiés issus de divers groupes anarchistes et libertaires au début des années 2000.
Zvonimir Novak, Agit-tracts - Un siècle d’actions politiques et militaires, Paris, L’Échappée, 2015.