On se demande parfois d’où vient la forme des nuages.

Masses spongieuses sans teneur. Champignons volants sans couronne.
Ce n’est qu’après un moment passé proche de la fenêtre à les regarder que tout devient plus clair. L’atmosphère se dilue, pousse, se dégage, mais tout dépend de nous.

L’atmosphère est une histoire de point de vue.

Placez une échelle contre un mur : perché il semble faire plus frais.
Montez les 500 marches d’un phare breton : la tête dans les nuages vous aurez le vertige.
Allongez-vous au sol : tout semblera bien haut.

L’atmosphère semblerait pouvoir se mesurer.

C’est grandie de toutes ces observations modestement scientifiques que j’ai pu commencer mon travail de diplôme de l’École Nationale Supérieure du Paysage.
Tel Caspar David Friedrich contemplant les nuages,
je me suis donné comme mission d’arpenter une île afin d’y sonder l’atmosphère.

Une idée bien romantique qui allait trouver sa place et sa force,
loin des déclarations sentimentales et affectives.
L’envie était de tendre vers une science... de l’émotion.
Inventer une science qui n’en soit pas une, c’était juste une ambition absurde.
Je voulais croire, plus que jamais, que le ressenti existait dans un monde de chiffres et d’échelles.

Le lieu d’expérimentation choisi est une petite île aride plantée dans la Méditerranée, à juste quelques kilomètres de Marseille : l’île du Frioul.

Îles du Frioul, vues depuis le massif de l’Étoile, Marseille.

Paysage lunaire des îles du Frioul, bâtiment militaire abandonné.

Il ne suffit que de quelques heures pour la parcourir en entier.
Et curieusement, sur cette île, on a le vertige. Attirée encore par le rivage qu’elle s’efforce de quitter, elle est tout autant appelée par le large.

Îlot Tieboudien vu depuis les îles du Frioul.

On en vient à la cartographie.
Comment cartographier les différentes atmosphères du lieu ?
Comment trouver des limites entre elles ?
Comment les désigner et surtout les décrire ?

Il m’a semblé nécessaire de quitter l’ordre géographique des choses.
Il fallait, pour cela, s’inventer un espace qui puisse se modeler, s’étendre, et se verticaliser.
C’est en éclatant la carte que tout est devenu plus clair. Tailler dans la masse, jusqu’à en oublier parfois des morceaux. Souvent, les oublis cartographiques habitent les lieux plus que l’on ne le croit.

Première phase de recherche : éclater la carte pour dégager des entités paysagères et comprendre par quoi elles sont reliées.

On se retrouve au milieu de l’eau, entouré d’un archipel qui se divise à l’infini. L’île du Frioul se découpe, de minutes en minutes pour n’être plus que confettis. L’atmosphère, tout comme le nuage, a quelque chose d’insulaire. Le sentiment serait une île. Île paradisiaque, havre de paix et de bonheur ou île étouffante, qui exclut du reste du monde.

Ressentir une atmosphère dans un lieu, c’est ce moment rare et inoubliable où l’on communique réellement avec le lieu. C’est précisément à ce moment là, où l’on se rend compte que les lieux ont aussi leurs humeurs.

La carte semble souvent être un instantané, la forme d’un paysage à un moment donné. Une image présentée comme fixe, même si elle est vouée à être toujours dépassée.
Il fallait inventer une forme de cartographie qui fonctionne comme un jeu. Un assemblage temporaire des différentes composantes du site.

Tout fonctionne selon un axe : celui de l’intensité de l’atmosphère ressentie. La carte montre un curseur qui se déplace lorsque la sensation éprouvée est forte, ou lorsqu’elle est faible. Ainsi, tout va en coulissant.

“Carte de l’atmosphère d’équilibre ressentie sur les îles du Frioul” -
Cette carte est un outil de travail qui mesure une émotion. Les éléments du paysage peuvent monter et descendre sur l’axe d’intensité de l’émotion. C’est à partir de ce jeu vertical que se précise ensuite le projet de paysage. Certains éléments vont être amenés à monter et d’autres à descendre.

“Carte de l’atmosphère d’abandon ressentie sur les îles du Frioul”

Le projet de paysage passe par là, dans cet ajustement entre réalité et imaginaire.
Imaginer les possibles d’un lieu revient à jouer, le plus possible. Tenter, expérimenter, défaire, remettre, organiser, dessiner, ou effacer.

Il faut jouer le jeu jusqu’au bout et croire que la sensation ressentie est fondatrice d’une science du regard.

Zoom sur une parcelle de l’île soumise au projet de paysage. À cet endroit, l’ambiance de campagne est travaillée. À gauche, la carte montre l’état actuel du lieu et l’atmosphère de campagne qu’il s’en dégage. À droite, certains endroits du lieu sont travaillés afin de susciter davantage la sensation de se trouver en pleine campagne. Ce mode de cartographie est un outil où chaque entité du lieu est amenée à coulisser autour d’un axe qui mesure et nomme les atmosphères ressenties.