Nous avions remarqué le travail d’Ingrid Saumur dans les Carnets du Paysage n° 20, où elle signait un article intitulé “Le voyage, la carte et le récit”. Jeune paysagiste, diplômée de l’École du Paysage de Versailles (juillet 2009), elle nous présente aujourd’hui, par le biais de quelques recherches personnelles, sa vision de la cartographie.
Se plonger dans une carte, c’est un peu regarder par une large fenêtre où se déploie un monde à scruter, deviner, imaginer. J’ai toujours été émerveillée devant les cartes, les dévorant des yeux pendant des heures comme je pouvais rester envoûtée par un bon roman d’aventure. Une carte, c’est un peu comme un roman de Jules Verne ou de Stevenson, même si l’intrigue ne dépend que de notre propre imagination. Carte IGN, de Cassini, d’État Major, de l’île au trésor, toutes ont cette magie, du fait que dans la limite de leur cadre elles définissent un ailleurs où l’on ne peut poser le pied. Échappatoire suprême, une carte laisse libre cours à tous les scénarios possibles, réels ou totalement inventés.
Dessiner une carte c’est prendre le pouvoir, avec le stylo comme seule arme, décider du moindre trait, sélectionner, exagérer, voire mentir.
Carte 1 / Choix des ingrédients. La subjectivité par excellence : sélectionner les informations que l’on veut montrer pour servir un argumentaire. Ici, le rapport entre deux grandes figures construites de la Seine-amont : l’aéroport d’Orly et la forêt de Sénart. Éléments choisis : la courbe de niveau 60, les pistes de décollage, les allées forestières, la géométrie des parcelles agricoles, le fil des chemins de halage, les gares...
Carte réalisée dans le cadre de l’Atelier Paysage Île-de-France, avec Jacques Deval, sur la base d’un système SIG.
Carte 2 / Le regard d’un voyageur. Une double subjectivité : carte réalisée d’après la lecture d’un récit de voyage. Sélection des éléments cités dans le texte, puis retranscription graphique.
Carte réalisée d’après Itinéraire des bateaux à vapeur de Paris à Rouen et de Rouen au Havre : avec une description statistique, historique et anecdotique des bords de la Seine ; suivi d’un guide du voyageur, par B. Saint-Edme (E.-T. Bourg), 1836.
Carte 3 / De Paris au Havre : cartographie sensible. Ne sont représentés sur cette carte que les paysages vus au cours du voyage entre Paris et la mer. L’itinéraire épousant les courbes du fleuve, le dessin s’arrête aux rebords de plateaux.
Carte réalisée d’après voyage et carte IGN au 100 000e.
Carte 4 / Lit et lieux-dits. Faire une carte c’est surtout jouer des codes et produire une image qui pose questions sur le territoire, son avenir, son aménagement. Informations sélectionnées : les lieux-dits, le PPRI (plan de prévention des risques d’inondations). Tout baigne !
Carte réalisée dans le cadre de l’Atelier Paysage Île-de-France, avec Jacques Deval, sur la base d’un système SIG.
Carte 5/ Paysages transformés. Montrer les bouleversements du territoire. Ici, l’estuaire de la Seine au Havre d’après la carte de Cassini (XVIIIe siècle) et la carte IGN 2007. En ne “pochant” que le fleuve, et en jouant avec le rapport noir-blanc, on met en avant l’“étranglement” de l’estuaire et sa rationalisation à des fins industrielles notamment liée au transport de marchandises.
À cheval entre la représentation de projet et la production artistique, la géographie et la fiction, la carte permet d’entamer le dialogue entre celui qui la dessine, celui qui la commande et le territoire lui-même (à savoir ses habitants, son histoire...).
Prendre ce pouvoir relève à la fois d’une grande jouissance et d’une responsabilité non négligeable : celle de réussir à capter les regards, les perceptions et à les traduire au mieux pour aboutir à une vision partagée du territoire.
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À NOTER :
Exposition d’Ingrid Saumur à venir : “Atmosphère de transformation 3” Friville Éditions, du 17 février au 10 mars à la Galerie Jean François Provost, 23 boulevard Henri IV, 75004 PARIS.
