Dans l’atelier de photoporcelaine
La fabrique des médaillons funéraires

Propos recueillis par l’équipe Strabic en juin 2017. Images : © Catalogue Romillon Photémail Paris

Depuis 10 ans, Alexandre Rouxel travaille dans un atelier de photoporcelaine – Romillon Photémail Paris – l’un des leaders européens de l’impression photographique sur céramique. Chaque semaine, en fonction des commandes des pompes funèbres, il sort d’un four encore brûlant des centaines de médaillons funéraires. Là, le buste d’un homme dans la force de l’âge. Ici, la photo d’un animal de compagnie adoré. Discussion avec ce chef d’atelier, au fil des fournées.

Strabic : Quel est le processus de fabrication de ces médaillons funéraires ?

Alexandre Rouxel : Les médaillons vierges sont en porcelaine. Ils sont fabriqués en Italie, ils sont sûrement moulés au sable, car il y a des variations d’un millimètre ou deux entre chaque modèle. Les fabriquants ajoutent une couverte, qui rend brillante la surface principale. On y étale la photo et on cuit à 1000 dégrés pendant 13h, ça dure toute la nuit. Nos fours peuvent contenir 80 médaillons voire 90 ou 100 à la Toussaint. Quand le four arrive à 900 degrés, la couverte s’ouvre, se dilate et la photo s’y intègre. Quand la température redescend, la couverte se refeme, ce qui garantit l’incrustation totale des pigments dans la céramique et une résistance maximale dans le temps. Normalement, à moins d’y aller franchement avec un couteau, il est impossible de rayer un médaillon.

La photo est imprimée ?

Les pompes funèbres nous envoient une photo, avec un bon de commande. Elles précisent la taille et la teinte qu’elles désirent. On fait du sépia par exemple, on peut aussi coloriser une photo en noir et blanc. On scanne la photo, on la retouche et elle est imprimée sur un décalco, oui, que je vernis et trempe dans l’eau avant la cuisson. Le décalco se décolle, je l’étale sur la porcelaine, en faisant bien attention de ne pas laisser de bulle d’air – à la cuisson, ce serait foutu – et enfin, ça va directement dans le four. C’est aussi simple que ça. C’est un peu long. Pour le filet or, on fait une autre cuisson, parce que l’or se dissout à 1000 degrés. Donc on cuit à un peu moins. C’est une cuisson plus courte, je la lance le matin à 10h, elle se termine vers 14h. Donc, pour une porcelaine avec filet or, il faut deux cuissons.

Vous pouvez aussi faire des photo-montages ?

Oui, c’est assez rare, mais on peut ajouter de nouveaux vêtements par exemple, ou changer le fond. Quand on voit ce que certains nous demandent parfois, on se demande s’ils aimaient vraiment la personne… Le fond bleu marche bien. Les fonds très colorés se vendent surtout dans les DOM-TOM et en Afrique. On avait par exemple un client à Nouméa qui rafolait des parchemins en céramique avec ce genre de fond. Ce n’est pas simple, ça nous oblige à recréer toute l’image. Ce n’est pas toujours amusant pour le retoucheur, car il n’a pas le choix. Ce n’est pas très créatif. Certaines personnes nous demandent des tirages photo de nos montages, au format papier, pour donner à la famille.




Vous avez été surpris par certaines photo ?

Généralement, les poses sont assez banales. On nous envoie parfois des photos d’animaux, car il y a deux cimetières d’animaux à Paris, un à Villepinte et un autre à Asnières-sur-Seine. Certaines pompes funèbres sont spécialisées dans les animaux et nous passent donc des commandes pour des chiens, des chats. On a fait un pigeon, aussi, une fois. C’était pour un photographe qui arrive à vendre ses photos pour les médaillons. Certains de nos clients ont plus confiance en les photographes qu’en nous et traitent directement avec eux. Le pigeon, il devait servir à faire sa publicité, en vitrine. Un jour, on nous a demandé, sur la photo d’une mamie, de remplacer le bébé que celle-ci tenait dans ses bras, par la photo de son chien. C’est assez rare.

Vous recevez des demandes particulières, qui dépassent le cadre du cimetière ?

Oui, des clients nous commandent juste des planches A3 vernies, notamment pour les bols bretons avec les prénoms. Une cliente avait fait une exposition de photo de marcs de café turcs, imprimées sur des médaillons ronds – comme des fonds de tasses. On travaille de temps en temps avec des artistes. Mais la plupart des demandes sont classiques.

Vous travaillez avec une imprimante particulière ?

Oui, en effet, mais je ne peux pas vous en dire plus. À propos d’imprimante, on en parle beaucoup en ce moment dans les salons des pompes funèbres, l’imprimante 3D reste trop coûteuse mais elle nous permettrait de produire des modèles intéressants.

Quels sont les différents modèles que vous proposez ?

Notre catalogue propose un livre, un parchemin, plat ou sur pied. Pour le choix du caractère typographique, les clients peuvent choisir, mais la plupart du temps ils nous laissent faire. On fait aussi des pendentifs, des cadres en bronze, etc.

Comment assemble-t-on les médaillons aux tombes ?

Il existe un modèle avec un trou qui peut être vissé ou alors il faut utiliser un ruban autocollant double face que l’on vend nous-mêmes. Mais on conseille tout de même de rajouter du silicone, pour que cela tienne mieux.

Ça marche bien, comme secteur ?

La mort, ça marche bien. Les pompes funèbres ne connaissent pas la crise. Après, tout le monde ne met pas une photo sur sa tombe. On atteint quand même les 18.000 commandes par an, peut-être un petit peu moins. On était tombé à 6.000 ou 7.000 par an, quand ça n’allait pas très fort. Aujourd’hui, ça va mieux. On a démarché des clients, on a fait un peu de communication. En France, on est les seuls à faire ce travail. Les autres gros producteurs européens se trouvent en Belgique, en Allemagne et en Italie. Les pompes funèbres du sud de la France se fournissent en Italie – c’est moins loin et c’est vrai qu’ils sont moins chers. Nous, on est très exigeants. Sur une année, on peut jeter plus de 2.500 porcelaines. À la cuisson, la couleur de la photo peut varier, virer, selon la température ambiante, selon l’humidité. On travaille avec les couleurs primaires. Quand il fait chaud, le magenta monte énormément par exemple. Après cuisson, par contre, ça ne bouge plus. Les pigments utilisés sont insensibles à la lumière, aux intempéries, et rendent nos porcelaines inaltérables.

Qui sont vos clients ?

Essentiellement les pompes funèbres. On ne traite que très rarement avec des particuliers. Quand la famille en deuil est très exigeante, jamais satisfaite, les pompes funèbres nous l’envoient directement. C’est compréhensible, des questions de mémoire sont en jeu. Les pompes funèbres ne savent pas gérer ces détails techniques.

Les pompes funèbres reviennent vous voir à chaque décès ?

Oui, parfois, ils viennent chercher deux ou trois médaillons en même temps, mais c’est rare. Certains de nos clients vendent bien – plus de cinquante porcelaines par mois – et d’autres une seule.

Combien d’employés évoluent dans l’entreprise ?

Entre quatre et cinq personnes, en ce moment. Il y a d’abord le retoucheur, celui qui assemble le fond avec la tête, qui ajoute éventuellement un nouveau vêtement. Moi je suis arrivé en tant que préparateur d’expédition. J’emballais les colis pour les envoyer. Mais aujourd’hui, je suis devenu chef d’atelier et je m’occupe de toutes les autres tâches. Le retoucheur me sort des planches A3 qui comportent quinze photo. Je vais les regarder, comparer leurs couleurs, choisir celle qui passera le mieux au four.

Ce n’est pas trop glauque de faire ça toute la journée ?

J’ai la chance de ne pas voir la famille eudeuillée. Et puis les photos qu’on nous envoie montrent des moments heureux de la vie de la personne qui vient de décéder. Ce qui est plus dur en ce moment, c’est la chaleur. Vider les fours par cette température, ce n’est pas un cadeau. Ils sont encore à 350 degrés quand on les vide ! On est juste devant, avec une petite raclette en bois, on les dépose sur un plateau à l’ancienne. Comme un boulanger.

Depuis quand votre entreprise existe-t-elle ?

Depuis 80 ans. Une collègue vient de partir à la retraite, elle était arrivée à l’âge de 18 ans dans l’entreprise. À l’époque, elle reproduisait les photo à l’aérographe. Ils produisaient tout de même une centaine de médaillons par jour, autant qu’aujourd’hui, mais ils étaient quinze. Après, il y a eu le cromalin, il fallait passer chaque couleur dans de grosses machines. Je suis arrivé il y a 10 ans, quand le cromalin ne se vendait plus. On a dû s’adapter. Quand on en est venus au photocopieur, à l’imprimante, on ne connaissait pas encore les réglages optimaux. Tout ce qui sortait du four était trop jaune, trop magenta. Au bout d’un an – ce qui est assez rapide –, on a finalement réussi à s’en sortir.

Images : © Catalogue Romillon Photémail Paris

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