Dompter les fragrances
Voyages au bout du nez

Écrit par Lucie Bouyaux

Pourquoi et comment intégrer les odeurs dans un processus de design ? C’est la question à laquelle ont réfléchi cinq équipes composées de parfumeurs d’International Flavors & Fragrances et de designers lors du Headspace2010 : On scent as design organisé par le MOMA et l’école de design Parsons. Cette démarche rompt avec le silence olfactif de notre temps exprimé par Alain Corbin. Comme le manifestent Marc Crunelle ou encore Juhani Pallasmaa, une réflexion sur la réintégration des odeurs s’envisage donc aujourd’hui pour les designers, architectes, urbanistes... Alors, sans tomber dans la « persuasion clandestine » ni le marketing « all factice », voici un tour d’horizon des champs d’investigation possibles sur les territoires du nez.



Sentir culturellement bon :
● Porter un vest pocket respirator.
● Avoir un spray Tian tian pour chaque événement olfactif de notre corps.
● Soutenir le slip français anti-flatulences.
● Hésiter entre une gélule de lutin malin ou la pilule Swallowable de Lucy Mc Rae.

Apaiser sa vision négative de l’odeur corporelle :
● Renifler les phéromones à l’aide d’une prothèse augmentant nos capacités olfactives puis faire une halte sous un arbre à désir.
● Repérer l’odeur de la peur sur le prototype d’une aisselle robotisée.
● Manger du fromage qui sent véritablement des pieds (qui plus est quand ces pieds sont ceux d’Olafur Eliasson).
● Découvrir l’odeur de la naissance, d’un bébé, de la puberté, etc. selon Birsel et Seck.

Vivre des expériences proustiennes :
● Tenter de récupérer des souvenirs perdus lors d’un AVC en participant aux ateliers olfactifs de Patty Canac.
● Flairer une chute de neige sur la 42e Avenue grâce à l’odorifère de Maude.
● Utiliser The Madeleine et agrandir sa bibliothèque de souvenirs odorants.
● Parfumer son intérieur à la pâte à modeler, à la sciure, à l’eau bénite ou encore au pissenlit avec Demeterfragrance.

Re/découvrir son Histoire et son patrimoine par les senteurs :
● À l’initiative de Jorge Otéro Pailos, faire une visite atmosphérique de the Glass House avant, pendant et après le passage de Philip Johnson.
● Passer d’une époque à l’autre et redécouvrir le parc Borden grâce au projet Olfactory Past de Jennifer Bonner.
● Se prendre pour Louis XIV.
● Insuffler à son habitat l’air parisien du XIXe siècle par un système de ventilation.
● Fouiller dans les archives de David Gissen et humer le fumet d’un building de Manhattan en 1975.
● Fouiller aussi dans celles de Google Nose.

Combler un manque en substituant l’odeur à l’objet dont elle émane :
● Commander le fantôme olfactif d’un aliment en voie de disparition.
● Atténuer une envie de café avec l’aeroshot.
● En cas de démence, se rappeler qu’il est l’heure d’aller déjeuner avec Ode.
● Aménager son appartement en un pfff de Svobodair avec Hans Hollein.

Joris-Karl Huysmans, En Rade, 1928.

« Grâce à l’invention des ptomaïnes, il sera désormais permis de garder la femme qu’on adora, chez soi, dans sa poche même, à l’état volatil et spirituel, […] de la respirer, les jours de détresse, de la humer, les jours de bonheur, sur un mouchoir. »

Faire l’expérience de la réalité augmentée :
● Porter un collier de l’armée américaine qui simule un environnement lors d’un entraînement militaire.
● Renifler les mondes dans lesquels notre personnage virtuel évolue avec l’AromaJet.

Communiquer :
● Recevoir une carte postale parfumée de Zhu Jingan.
● Lui répondre avec un Ophone.

Faire de l’odeur le point de départ d’un processus de création :
● Avec le collectif Commonwealth, générer la forme et l’usage d’un morceau de bois à partir de son odeur.

Les domaines d’intervention sur le territoire olfactif sont nombreux. Cependant d’un point de vue technique, maîtriser spatialement une odeur volatile ne se révèle pas si simple. Quelques idées de systèmes pour dompter les fragrances :

● Le barbecue ambulant de Garth Priber.
● Le collage de zones olfactives d’Usman Haque.
● L’Odorama comme celui du film Polyester de John Carter.
● Le Perfumejockey.
● L’orgue à parfum : le Smeller.
● L’utilisation des conduits d’aération d’une usine du Bronx du sud par Majora Carter.

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