Le corps et le numérique étaient au cœur d’un workshop engageant la FING et le département design de l’ENS Cachan. Strabic s’est infiltré dans les coulisses de cette expédition, en vue de découvrir comment se pensait la mesure du corps sous le prisme de l’innovation numérique.
Du 21 au 25 octobre, le département design de l’ENS Cachan s’est plongé dans un débat d’idées sur le corps et le numérique, dans l’optique de proposer des scénarios prospectifs. L’expédition, organisée par la FING, ralliait différents partenaires (Caisse des dépôts et consignations, Groupe SEB, Ubisoft, Grand Lyon, Renault), tous intéressés par les possibilités ouvertes en termes de projets autour du corps et du numérique.
En effet, depuis quelques temps, la FING s’interroge : l’augmentation numérique diminue-t-elle nos capacités cognitives ? Comment l’innovation numérique se confronte-t-elle au corps ? Quelles sont les nouvelles zones de controverse qui se créent ? Assiste-t-on à l’émergence de nouveaux usages ? D’un nouveau type de sociabilité ? De rapport au donné biologique ?
Pour alimenter ces multiples questions, des intervenants ont apporté leur expertise scientifique pendant le workshop : Marine Royer (doctorante en anthropologie et design), Hubert Guillaud et Rémi Sussan (Internet Actu), Olivier Desbiey (département prospective de la CNIL).
À l’issue de cette semaine, la quinzaine d’étudiants de l’ENS devaient proposer des scénarios traitant des problématiques issues des diverses interventions.
Méthode « agile » : une production autoritaire de scénario ?
À partir des six pôles théoriques sur le corps et le numérique proposés par la FING et suite aux discussions et présentations de la première matinée, un grand débat a été alimenté par les différents protagonistes du workshop et animé par nod-A. Quatre zones de tensions ont ensuite été sélectionnées et des groupes de réflexion ont été constitués selon les intérêts de chacun. Suite à une mise en commun des discussions, trois pistes de recherches ont été proposées : les nouveaux sens, les parures numériques, les nouvelles normes.
À première vue, la formulation de ces trois pistes déçoit face à la richesse de la matière grise déployée et exercée jusque-là. Fallait-il déjà orienter, de manière artificielle, les étudiants vers ces trois axes, trop peu problématiques ? N’était-ce pas aux étudiants eux-mêmes, s’appuyant sur leur formation en design, de faire émerger les lieux de controverses les plus porteurs en termes de projet ?
Les enjeux du corps algorithmique
La question du quantified self était sur toutes les lèvres au début de la semaine : cristallisation de nombreuses problématiques éthiques autant que technologiques sur l’implication du numérique dans nos existences incarnées. Le quantified self se définit comme un ensemble d’outils et de méthodes permettant à chaque individu de mesurer, analyser et partager ses données physiques personnelles. Certains présentent alors le quantified self comme un vecteur de connaissance scientifique, d’autres comme un moyen de visualiser un data-portrait de ses pratiques corporelles et ainsi d’agir pour modifier certains comportements.
Un premier soupçon émerge bien vite dans les discussions des étudiants : comment ces nouvelles données liées au quantified self sont-elles traitées ? Sont-elles agrégées ? Par qui et pour quoi ? Le deuxième soupçon est celui qu’une étudiante a énoncé comme le risque d’un « fascisme sanitaire ». Si notre fourchette nous informe que nous mangeons trop vite, notre podomètre que nous ne marchons pas assez, cela n’a-t-il pas pour objectif de normaliser les modes de vie et les usages ? Avec la possibilité de voir nos informations transmises à notre médecin, à notre sécurité sociale ou à notre assurance, nous acceptons le fait d’être surveillés et punis pour notre « mauvaise conduite sanitaire ». On peut alors postuler que nous devenons les acteurs consentants de l’émergence d’un biopouvoir de contrôle de nos existences tel que Michel Foucault le pointait.
Malgré l’intensité et l’actualité de ce questionnement soulevé pendant la première journée, sur les trois projets présentés à l’issue de cette semaine de workshop, un seul se frottait directement à la question de la mesure corporelle, avec une proposition de transmission des émotions via les phéromones. Les deux autres projets abordaient quant à eux des problématiques autour des évolutions du vivant par les technologies numériques, entre procréation numérique et transhumanisme.
Invitée par le département design de l’ENS Cachan, l’équipe Strabic a accompagné les étudiants dans le travail de mise en forme et en ligne des résultats de cette semaine de scénarisation prospective.
Pour aller plus loin :
- Xavier de la Porte, « Les objets intelligents nous rendent-ils bêtes ? »
- Rémi Sussan, « Le lifelogging, aide à la santé »