New York est un délire, un mythe, une vue de l’esprit, une fulgurance lumineuse, un objet graphique et architectural, un business, une marque, une industrie ; tous les ingrédients sont réunis pour en faire la ville du design par excellence. Pourtant, peu de design à l’horizon de la skyline.
F*** it, let’s go to New York ! Cette chronique a pour ambition d’explorer ces circuits new-yorkais, de voir où ils mènent et à quel moment ils croisent ceux du design, d’appréhender le paradoxe de ce gigantesque laboratoire du design qui n’en produit pas.
Si l’on regarde de plus près les biographies des designers américains contemporains reconnus, aucun n’a fait ses études aux États-Unis. Jonathan Ive est britannique et a étudié à l’université de Newcastle, Karim Rashid est égyptien et a fait ses études au Canada, John Maeda est un ingénieur formé au MIT qui a complété son cursus par un doctorat en design au Japon. Rien d’étonnant lorsque l’on connaît la longue tradition de talents issus de l’immigration aux États-Unis, mais que se passe-t-il alors dans les écoles de design américaines et qui en sort ? Comment le design est-il enseigné dans la patrie des premières agences de design industriel ?
Depuis les heures sublimes des écoles héritières du Bauhaus au siècle dernier, l’expérimentation et les grands idéaux ont largement laissé la place à un enseignement bien huilé qui allie les bases de l’ingénierie à de solides outils de conception 2D et 3D.
Petite précision lexicale tout d’abord, le design aux États-Unis et plus largement dans les pays anglophones est commodément classé selon les métiers associés : fashion design, graphic design, industrial design ou interior design, les spécialisations vont jusqu’au lighting design ou au UX design et se retrouvent dans les départements des écoles. Il est donc demandé aux étudiants de se spécialiser rapidement après leur foundation year ou freshman year (année propédeutique) qui leur offre un enseignement général en art et en design. Avec des frais de scolarité qui peuvent aller jusqu’à soixante milles dollars par an, il n’est pas vraiment question de tergiverser.
Un peu comme en France, la scolarité est organisée en deux diplômes successifs, undergraduate et graduate : le Bachelor of Fine Arts (BFA) est le résultat de trois à quatre années d’études et le Master of Fine Arts (MFA) valide deux années supplémentaires. Le design peut être enseigné dans un département d’une université plus généraliste ou dans une école ou un institut spécialisé. Les équivalents de ces diplômes peuvent alors parfois s’appeler Bachelor of Industrial Design (BID) et Master of Industrial Design (MID), comme c’est le cas au Pratt Institute à New York. À Pratt toujours, au sein de la School of Design, l’étudiant peut par exemple choisir de faire un master en communication, en mode, en design industriel, en design d’intérieur ou en design de packaging.
Le résultat de cette spécialisation est bien sûr ambivalent, entre un haut niveau de qualification professionnelle et une approche du métier qui manque parfois d’ouverture sur d’autres domaines de création.
Ergonomie, modélisation 3D, prototypage rapide, les techniques et outils de conception n’ont pas de secret pour les étudiants. Ils sont préparés à collaborer efficacement avec tous les acteurs de l’industrie, à en être les meilleurs alliés ; dans un pays où ce secteur affiche une croissance presque insolente depuis la dernière crise économique, c’est donc le plein emploi qui s’annonce pour les futurs designers, loin des difficultés que peuvent connaître ceux qui sortent des écoles européennes.
Campus du Pratt Institute
Dans un tel contexte, y a-t-il une ouverture vers le strange design, le critical design ou l’experimental design, concepts chers à la vieille Europe ? Pas vraiment. Au risque de priver leurs étudiants de réflexions ou d’improvisations qui pourraient les amener à une production plus singulière, peu de place est laissée à la prise de risque ou même à l’apprentissage d’une culture visuelle un peu différente. Ici, on parle process, production, business, stratégie, éventuellement globalisation et développement durable.
Plongé dans le bain du design industriel le plus pur, l’étudiant américain biberonné depuis l’enfance à la prise de parole en public, au leadership et aux encouragements prend avec confiance possession des outils qu’on lui présente, se lance joyeusement dans le processus de création – on parle ici de phase d’idéation – et les met en forme de manière intrépide à l’aide des incroyables ressources en matériaux et en machines à sa disposition. Bref, il ose.
Il ose le distributeur de sucre de régime, la station météo portative qui fait pleuvoir dans la maison, la cuillère en or pour retourner la terre du bonsaï, le bureau en plexiglas aux pieds tournés Louis XV, la dosette individuelle de sauce à éclater avec les doigts ou la fausse fenêtre en bois massif rétro éclairée style victorien.
Dans une débauche de matière et de moyens, les présentations de fin de semestre ressemblent à un happening permanent du concours Lépine. Les rendus sont impeccables, les maquettes ressemblent à des prototypes et partout, les étudiants s’adonnent au storytelling avec talent : ils ont l’aisance des grands orateurs pour emmener le jury dans l’histoire passionnante de la salière conçue pour les coiffeurs ou du cale doigts pour amateurs de crochet.
Verdict ? Des salves d’applaudissements, du « good jooob ! » à tout va de la part des professeurs permettent aux étudiants d’afficher un sourire confiant et de s’épanouir dans un environnement rassurant, léger et amusant. Cela ne signifie pas que le corps professoral n’émet pas de critiques, mais elles sont toujours bienveillantes et formulées dans un second temps, après un passage en revue des qualités du projet.
Pas de larmes, pas de voix qui tremble ici, l’apprentissage se fait par la confiance et les encouragements ; cela ne fait pas des étudiants de piètres designers, du moins dans leur pays où ils sauront facilement trouver leur place au sein d’une entreprise. On ne paye sans doute pas soixante milles dollars pour se faire humilier.
Dans un registre plus théorique, de solides formations aux métiers culturels du design ont été établies il y a quelques années déjà. Dans les mêmes écoles, il est possible de faire un Master en history and theory of design, en design studies ou en history of design and curatorial studies. Là encore, le business du design est largement anticipé, organisé, soutenu. Avec des enseignants qui travaillent par ailleurs dans de prestigieux musées, galeries et institutions et qui ont mis au point des méthodologies de recherche efficaces, ces filières forment les futurs commissaires d’exposition, agents, managers et directeurs de galeries, journalistes ou chercheurs du monde du design.
Enfin le doctorat en design existe aux États-Unis dans certaines universités depuis que l’Illinois Institute of Design à Chicago (anciennement The New Bauhaus fondé par László Moholy-Nagy qui fuyait l’Allemagne nazie en 1937) a monté le premier PhD (Doctor of Philosophy) du genre en 1992.
Si les étudiants des écoles européennes de design n’ont pas à rougir de leur formation face à leurs collègues d’outre-Atlantique, il existe donc aux États-Unis des options à considérer sérieusement pour poursuivre des études qui engagent une démarche de recherche en design à la fois théorique et professionnalisante ; d’autant plus qu’il existe des allocations et des bourses pour financer ces études de haut niveau.
Quelques écoles reconnues qui dispensent un enseignement en design à New York :
✪ Parsons School of Design (qui a d’ailleurs une antenne à Paris : Parsons Paris)
Ailleurs aux États-Unis (liste non exhaustive) :
✪ Savannah College of Art and Design
✪ Rhode Island School of Design
✪ Carnegie Mellon School of Design
✪ California College of the Arts
✪ Art Center College of Design, Pasadena
✪ Rochester Institute of Technology