L’histoire des boîtes d’allumettes, comme celle de tout objet quotidien, est chargée de péripéties. Au-delà des questions d’usages, les mutations de leurs formes et des signes graphiques associés coïncident toujours avec d’importants bouleversements économiques et culturels. Seule une bonne connaissance de leur provenance permet de prendre la mesure de leur intérêt graphique et historique. Axel Benassis, à l’origine du projet "Graphisme & Philuménie", nous propose d’explorer cette histoire en mettant en lumière quelques perles de sa collection personnelle. Aujourd’hui, back to the basics : l’une des premières boîtes diffusées par la SEITA.
L’invention des allumettes est assez récente, puisqu’elle est liée aux progrès de l’industrie qui ont marqué le XIXe siècle. Elles ont ensuite été perfectionnées, année après année, grâce aux avancées technologiques et chimiques. On a ainsi proposé de très nombreuses et différentes manières de générer et transporter le feu.
Le mélange inflammable contenait du chlorate de potassium, du soufre, du sucre et du caoutchouc.
L’allumette moderne a été inventée en 1805 par Jean-Joseph-Louis Chancel, assistant du professeur Louis-Jacques Thénard à Paris. Un mélange s’enflammait lorsqu’il était plongé dans un petit flacon d’amiante rempli d’acide sulfurique. Cette proto allumette, aussi onéreuse que dangereuse, ne rencontra pas un grand succès.
Walker mit au point un mélange de sulfure d’antimoine, de chlorate de potassium, gomme et d’amidon, qui pouvait s’enflammer en frottant sur une surface rugueuse.
Lucifer : Porteur de lumière (étymologie latine : lux, « lumière », et ferre, « porter »).
La première allumette inflammable par friction est l’invention du chimiste anglais John Walker en 1827. Il reprit des travaux infructueux menés par Robert Boyle, en 1680, sur l’utilisation du phosphore et du soufre. Il commercialisa ces allumettes dans sa ville en 1827 sous le nom de "friction lights", mais refusa de les breveter et n’en révéla pas la composition. Les premières allumettes brevetées sont une création de Samuel Jones et furent commercialisées sous le nom de "Lucifers". Elles présentaient d’importants défauts, la flamme étant instable et la réaction trop violente. De plus, l’odeur qu’elles produisaient était désagréable. Malgré ces difficultés d’utilisation, on considère que ces premières allumettes contribuèrent à l’augmentation du nombre de fumeurs.
En 1831, le Français Charles Sauria alors qu’il n’était encore qu’étudiant en chimie, inventa les allumettes phosphoriques à friction. Il a ainsi remplacé le sulfure d’antimoine par le phosphore blanc dans la formule de John Walker.
On raconte que c’est le souvenir d’une explosion accidentelle survenue lors d’une expérience de chimie en classe de seconde qui lui donna cette idée.
Mais il ne possédait pas les 1500 francs nécessaires au brevet et c’est l’Allemand Jakob Friedrich Kammerer (parfois considéré à tort comme leur véritable inventeur) qui fut le premier à les fabriquer industriellement l’année suivante. Ces nouvelles allumettes, qui devaient être conservées dans une boîte hermétique, gagnèrent en popularité. Malheureusement, ceux qui travaillaient à leur fabrication furent atteints par des maladies osseuses, en particulier au niveau des mâchoires, liées à l’exposition au phosphore blanc. Après une campagne dénonçant ces pratiques, qui menaient à des infirmités graves, défigurantes et parfois mortelles, des actions législatives contraignirent l’industrie à changer de méthode et à protéger les ouvriers.
Le grattoir est composé de poudre de verre et de phosphore rouge, tandis que l’extrémité de l’allumette est enduite de sulfure d’antimoine, de dioxyde de manganèse et de chlorate de potassium. La chaleur engendrée par le frottement transforme le phosphore rouge en phosphore blanc, qui à son tour contribue à l’inflammation de l’allumette.
L’allumette de sûreté, encore appelée « allumette suédoise » en raison de la nationalité suédoise de son inventeur Gustaf Erik Pasch, date de 1844. La « sûreté » provient du fait qu’elle nécessite un grattoir spécial, dont les éléments chimiques interagissent avec ceux de l’extrémité de l’allumette pour s’enflammer. Cette invention associe alors l’allumette à son frottoir. La boîte, comme contenant, possède alors une utilité seconde qui est indissociable des allumettes. Ces nombreuses inventions existent alors en parallèle d’une économie en mouvement. À ces débuts, au XIXe siècle, la vente et la distribution des boîtes d’allumettes sont principalement du fait d’un artisanat local à petite échelle.
L’illustration et l’impression en chromolithographie de ces boîtes s’affirment alors comme de vraies œuvres d’art. Une recherche graphique et formelle, visant la différenciation et l’accroissement des ventes, a ainsi permis de créer des objets plus ou moins précieux en fonction des différentes usines de fabrication.
Fabrication des allumettes. Le dégarnissage. Manufacture de Pantin, 1906. © Jacques Boyer / Roger Viollet.
L’ère de l’industrialisation et le besoin d’améliorer les finances publiques éprouvées par la guerre franco-prussienne de 1870 ont poussé l’État français à créer un monopole entre 1872 et 1992. Celui-ci vint après une taxe sur les allumettes prévue par une loi de 1871, obligeant les producteurs à apposer un timbre fiscal sur chaque boîte commercialisée.
D’un tissu artisanal, le secteur est donc rapidement passé à une organisation industrielle unitaire, le monopole étant affermé à la Société Générale des Allumettes Chimiques. En 1935, il est pris en charge par le Service d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes, qui devient en 1980 une société anonyme : la SEITA, privatisée en 1995. Après avoir été renommée Altadis, elle est aujourd’hui redevenu SEITA, et appartient au groupe Imperial Tobacco pour la culture et la vente de tabacs.
Nom : Allumettes de sûreté
Description : Régie Française
Année : 1935
Distribuée par : SEITA
Taille : 53x37x15mm
Grattoir : Uni, 2 cotés
Matériaux : Bois
Impression : Lithographie
Cette boîte intitulée "Allumettes de sûreté" s’ancre alors pleinement dans cette histoire. Elle est certainement l’une des premières boîtes d’allumettes diffusées par la SEITA, comme l’indique le prix de vente de 0.35 F, qui correspond à l’année 1935. La composition typographique simple et l’impression monochrome marquent alors ce changement de situation économique des boîtes d’allumettes. Le monopole a de manière assez évidente supprimé la concurrence, et en parallèle appauvri le graphisme et l’impression de ces objets du quotidien.