Pour clore cette saison en fanfare, l’équipe de Strabic s’essaie à une nouvelle expérimentation : l’immersion dans une école.
L’occasion était trop belle : l’ENSCI - Les Ateliers propose, du 14 au 18 novembre 2011, une conférence augmentée sur le thème de "l’usage des collections numériques". Tables rondes regroupant des invités aux pratiques diverses et ateliers d’étudiants aux formations pluridisciplinaires cherchant à "augmenter" les propos soutenus sont au programme. Objets infinis, politiques numériques et usage des collections seront des problématiques à explorer.
Pour cela, Strabic va se faufiler dans les discussions, s’insérer dans les réflexions, regarder par le trou de la serrure des ateliers et chercher des poux aux participants. Notre objectif : témoigner de cette initiative étrange en vous proposant un article évolutif, chaque jour amplifié.
Venez et revenez nous voir cette semaine pour en savoir plus !
Lundi 14 novembre : Collections mobiles
ENSCI-Les Ateliers, 5e étage, 9h du matin et, déjà, l’effervescence. On installe discrètement notre cabane d’observation dans un coin de la salle de conférence, transformée en un étrange laboratoire. D’autres se sont installés avant nous et sont bien mieux équipés : câbles en tout sens, micros en tout genre, écran de projection géant, lentille de captation 360°, caméras, lots de moniteurs interconnectés, un sacré staff derrière tout cela et, dans les poches de chacun, quelques smartphones prêts à être dégainés. Non, la BBC n’a pas installé son studio ici, c’est Sophie Pène (directrice de la recherche de l’école) et ses acolytes (Pierre Giner et Annick Rivoire) qui se lancent dans une expérience hors-norme et sans filet.
Au menu : le matin, tables rondes sur l’avenir numérique des collections muséales avec invités de marque (dont Orange !) et, l’après-midi, un workshop à géométrie variable avec étudiants motivés (de l’ENSCI, mais aussi de Duperré, de La Villette, des Beaux-Arts de Bordeaux ou encore de l’ENSA de Nancy). L’idée : donner une forme numérique à la parole en train de se faire, à cette recherche en cours et à la recherche en général. Strabic livre à chaud son regard sur l’événement.
Grandeur et décadence du dispositif numérique :
“Tous ces fils, c’est barbare, on ne peut continuer comme ça ! On se réunit ici car la technologie, ça ne marche jamais !” Patrick Bouchain ouvre le bal et n’y va pas avec le dos de la cuillère. En bon trublion, en “technophobe qui a quand même travaillé avec Prouvé”, il pointe du doigt une présence technologique imposante qui prend souvent le pas sur le sujet abordé. Ainsi, n’en déplaise à Emmanuel Mahé (OrangeLab), son Centre Pompidou Mobile n’a pas été inspiré du téléphone mobile mais, avoue-t-il avec humour, plutôt de la Papamobile !
Derrière l’architecte, la lentille 360°, sorte d’iris psychédélique, nous donne à voir l’anamorphose hallucinée de la salle. Effet panoptique garanti. Au centre de l’écran, l’angle mort, un trou noir qui nous aspire. À quoi bon cette image, parfois brouillée par des nuages de mots et de photos en superposition ? Augmentation ou distraction ? Ubiquité ou fragmentation des regards ? Le numérique se cherche. À ce titre, une citation de Godard a constitué le leitmotiv de cette matinée :
Pendant que je parle, je pense à autre chose.
“La virtualisation n’est pas forcément une dématérialisation” [1] :
Quant au contenu, des problématiques intéressantes ont été discutées dans cette matinée, notamment autour de deux projets : le Centre Pompidou Mobile et l’application CNAPn, conçue par Pierre Giner. La question du statut de l’image de l’œuvre vis-à-vis de l’œuvre elle-même s’est posée. Selon Pierre Giner, le plus intéressant est ce qui se passe dans l’écart entre les deux. La place du sensible dans le virtuel est ensuite interrogée par le public. Réponse, toujours de Pierre Giner : le virtuel, pour qu’il soit pertinent, doit produire une expérience autre. Ou encore, autour de la médiation, Bouchain défendant avec le Centre Pompidou Mobile l’idée d’une disparition de la médiation, pour retrouver le “choc de l’œuvre”. Et Pierre Giner de continuer : “C’est au visiteur lui-même de raconter ce qu’il y a pour lui dans l’œuvre, il n’y a pas que l’histoire du médiateur.”
Nous avons tous une pratique curatoriale, ne serait-ce que lorsqu’on partage ou fait écouter telle musique ou qu’on montre telle image autour de nous.
Dans l’après-midi, les étudiants s’activent autour de ces questions, compilant et mixant des extraits de la discussion du matin pour créer des “archives augmentées”. Alchimie en cours, affaire à suivre.
Be a global cultural DJ or die !
Assemblez, assemblez, chers collectionneurs-mixeurs !
Mercredi
16 novembre : Musée numériqueEn à peine deux jours, la mayonnaise a pris au 5e étage de l’ENSCI. Le dispositif technologique fait maintenant partie des meubles, les étudiants se sont installés des tables de sténotypie [2], et le public est davantage armé numériquement.
Pour autant, les outils traditionnels ne sont pas abandonnés et c’est avec des post-it que les étudiants proposent de combattre la fracture numérique. En effet, le public est invité à réagir à la conférence sur des petits papiers colorés [3] sur lesquels chacun doit inscrire l’heure afin de les placer sur une grande frise de temps accrochée au mur.
En bref, un twitter sur papier.
Le programme de ce matin laissait la parole à Emmanuèle Bermès (chartiste geek, sur le futur Centre Pompidou virtuel), Catherine Collin (Musée des Arts Décoratifs, projet “Décorative” avec Pierre Giner) et Albertine Meunier (“net artiste pas nette”) autour du musée numérique. Strabic a capté quelques pistes de réflexion pendant la matinée.
Vertige photographique :
La table-ronde s’est très vite mise à tourner autour de la question de la pratique photographique amateur au sein du musée. Si aujourd’hui tout le monde a un appareil photo sur lui, comment interdire son usage dans l’espace muséal, et surtout pourquoi ? À propos du projet “Décorative” d’application mobile pour le Musée des Arts Décoratifs, Pierre Giner et Catherine Collin ont justement cherché à investir cette envie que chacun a de garder un peu plus longtemps, par l’image, l’objet exposé en l’augmentant. L’application “Décorative” fonctionnerait sur le mode de l’association d’idées, ou plutôt ici d’images d’autres œuvres de la collection. La technologie numérique serait alors au service de la découverte élargie et semi-aléatoire du musée.
Souhaiter la perte de l’internaute :
À la suite de cet éloge de la sérendipité du visiteur de musée, Emmanuèle Bermès a enfoncé le clou : la proposition en cours pour le Centre Pompidou virtuel vise justement à perdre l’internaute dans un navigation infinie, dans un parcours où il ne trouve jamais de cul-de-sac. Prônant l’idée que “ce ne sont pas les objets qui sont infinis mais les usages”, Emmanuèle Bernès envisage ce double virtuel du Centre comme un lieu de rencontre, le numérique ne faisant qu’amplifier ce qui existe dans le réel. En quelque sorte une réinitialisation du projet originel du Centre Pompidou.
De quelques objets artistiques hybrides :
Légèrement en décalage avec les propos et dans les interstices du milieu muséal, Albertine Meunier a présenté certaines œuvres qui font cohabiter numérique et humain. L’angelino, dont la petite danseuse s’anime lorsque le mot “ange” est écrit par n’importe qui sur twitter, l’atelier Hype(r)Olds sur le numérique qu’elle anime avec des dames de plus de 77 ans, ainsi que son Livre infini qui prend à contre-courant les boîtes blanches des liseuses numériques en proposant un livre blanc sur lequel viendrait se poser les textes.
Attraper la lumière ©Albertine Meunier
Livre numérique sur papier, twitts en post-it, ce matin tous cherchaient une incarnation du numérique, une augmentation matérielle du virtuel, en vue de rapports plus humains avec nos environnements technologiques. Fini le combat stérile entre le réel et le numérique, l’heure est à un échange réciproque, une collaboration fertile.
L’équilibre sera-t-il conservé dans les propositions des étudiants qui sont chargés d’augmenter les conférences de cette semaine ?
Jeudi 17 novembre : retour vers Muséomix
Aujourd’hui Strabic a séché la conférence du matin à l’ENSCI, concernant les "usages de collections". Malgré tout, nous n’avons pas chômé puisque nous vous proposons un compte-rendu du Muséomix de ce week-end aux Arts Décos, où une de nos envoyées spéciales s’est infiltrée...
En attendant la présentation des résultats du workshop de cette semaine de conférences augmentées à l’ENSCI !
Vendredi 18 novembre : le grand déballage
Dans un coin, une projection vidéo sur paperboard comme un écho à la timelime du twitter sur papier (cf. mercredi). Plus loin, une grande échelle toujours sous le coude pour reprendre, dans la jungle des fils, un éventuel branchement défaillant. Ce vendredi soir, les participants au workshop “Objets infinis” étaient enfin invités à présenter leurs travaux de la semaine : malentendus mutés en projets, expérimentations à propos du musée du futur, plate-forme de commentaires en live détournée et mixages numériques en tout genre.
Savants mélanges de matière grise et de matériaux de construction numériques, les propositions de ces petits groupes d’étudiants se sont en effet engagées dans des voies bien différentes les unes des autres : les uns malaxant la géométrie de la sphère muséale, les autres définissant un outil d’archivage de fragments de conversation permettant de rejouer une conférence toute subjective et d’autres encore travaillant plutôt sur l’espace de la parole à l’ère du numérique ou directement à partir de l’image vidéo panoptique évoquée précédemment (cf. lundi).
Parmi ces réponses plus ou moins abouties, une proposition aura retenu notre attention : une table de discussion à la surface de laquelle la “matière passive” d’une conférence pourrait venir s’afficher : les temps de parole deviennent des taches d’huile se diffusant progressivement, les digressions perturbent une forme linéaire au centre de la table, pendant que les tics de langage (les fameux “euh...”) font bugger l’image toute entière. C’est l’association de quatre étudiants de l’école des Beaux-Arts de Bordeaux (membres du collectif “Décalage vers le bleu”) avec un apprenti-designer de l’ENSCI qui a donné cette belle alchimie. Proposition poétique et perturbante pour les orateurs, cette table de discussion questionne à la fois la forme, le contenu et le lieu de la conférence. Bref, une articulation assez fine entre transmission orale et technologie numérique. Une forme encore en gestation, certes, mais déjà de belles intuitions !
Au final, si les résultats de cette semaine n’ont pas toujours été révolutionnaires et si l’on ne savait plus vraiment quel en était, entre la conférence augmentée ou le musée numérique, le véritable sujet, il semble que Sophie Pène, Pierre Giner et Annick Rivoire aient réussi leur pari : sensibiliser les étudiants à la mise en forme numérique de la parole. La question muséale est peut-être passée au second plan malgré des intervenants intelligemment choisis, tant pis. Elle aura d’abord servi de prétexte à une expérimentation d’un nouveau genre, tant mieux !
Ci-dessus, l’image de la semaine : Pierre Giner, le chevalier du numérique, bravant les aléas de la technologie dans une lumière de feu.