Jean Perdrizet, deus ex machina

Écrit par Tony Côme.

Une exposition à la Galerie Christian Berst.

« Jean Perdrizet, inventeur. »

C’est ainsi que cet adjoint technique des Ponts et Chaussées de Digne-les-Bains, né en 1907 et mort en 1975, se présente et signe la plupart de ses documents, lettres personnelles et dessins techniques.

Effectivement, notre homme fait dans l’invention depuis l’âge de 24 ans. Mais, chez lui, ça devient très vite obsessionnel. Malheureusement, ça finit par lui monter à la tête et, en 1939, il est débouté, licencié, écarté de la vie professionnelle. Qu’à cela ne tienne, définitivement isolé et pas mal allumé, reclus chez sa vieille mère, dans le capharnaüm d’un atelier mal éclairé, Jean Perdrizet se met à inventer de plus belle ! Géo Trouvetou version LSD.

Cependant, il n’eut pas la chance du grand Joseph Cornell, vieux cousin d’Amérique, autre bricoleur-rêveur de l’histoire des arts, autre « célibataire parasite » (comme dirait la sociologie japonaise d’aujourd’hui) toujours collé à sa mère. Non, il n’eut pas l’honneur d’être mis en avant par ses contemporains et ses travaux sont longtemps restés dans l’ombre. Ils auraient pourtant séduit un Breton ou un Duchamp.

C’est finalement la Galerie Christian Berst à Paris qui, aujourd’hui seulement, décide de mettre en avant ce personnage, en présentant ses multiples plans, faute de mieux : les inventions en question – des bricolages de fortune, diront certains – n’auront pas survécu au passage du temps.

De l’art brut, on connaissait bien les peintres, les sculpteurs voire les architectes-paysagistes. Les ingénieurs, un peu moins.

Mais quelle belle découverte ! Quelles belles pièces que toutes ces paperasses d’ordre technologique, éclatés, nomenclatures, notices de montage, manuels d’utilisation, etc. Que d’imagination ! Ces ronéotypes rehaussés de couleurs semblent en effet s’affirmer comme des œuvres d’art qui s’ignorent.

De son vivant, Jean Perdrizet les prend très au sérieux. Il va jusqu’à les soumettre aux plus grandes instances scientifiques du moment. Et la NASA, le CNRS, le Vatican (!), la Faculté des Sciences ou même le Comité Nobel de se voir soumettre ces documents un tantinet alambiqués. Devant ces projets de mécanismes répondant au nom de « robot Adam sélénite », « machine pour communiquer avec les fantômes », « robot ouvrier auto-reproducteur » ou encore « machine à écrire avec l’au-delà », lesdites instances prenaient souvent le temps de répondre, très poliment, au français un peu détraqué. En témoignent les courriers retrouvés et exposés par la galerie.

Autre détail qui intéressera les typographes, comme le plus fameux Chomo qui dans son « Village d’Art Préludien » avait réinventé un alphabet, Jean Perdrizet avait commencé à réfléchir à un « esperanto sidéral », une « langue t » comme il aimait à l’appeler, où « chaque lettre est déjà un nom, celui de l’objet dont le dessin lui ressemble le plus ».






« Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer comme roulement à billes entre les hommes. »













« Mon patron électricien m’a dit avoir vu à la télévision des dessins comme les miens, sans doute les miens, j’en ai expédié 2 tonnes en 40 ans. »

















« Les hommes se privent des yeux des robots en n’y croyant pas et préfèrent exploiter les yeux des autres hommes. »

















« J’ai donc écrit en Amérique pour avoir le dessin des nerfs de l’œil de grenouille qui a servi à faire des caméras sur les terrains d’aviation pour des vols anti-atomiques d’avions, les reconnaître, ne plus les confondre avec des vols de canards. »






Exposition "Jean Perdrizet, deus ex machina", galerie Christian Berst, 3-5, passage des Gravilliers, 75003 Paris, jusqu’au 10 mars 2012.

Pour les retardataires ou les passionnés, un très beau catalogue a été édité à cette occasion : Jean Perdrizet, deus ex machina, Éditions de la Galerie Christian Berst, 2012. Ne manquez pas de le consulter !

Légende des images :
1/ sans titre (Voici même à quoi se résume tout ce HELICOPTERE CENTRIFUGE), 1972, ronéotype, stylo à bille, et feutre sur papier, 51 x 45,5 cm
2/ sans titre (Un robot ouvrier qui voit les formes par coupes de vecteurs en étoile), s.d., ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier, 64 x 40 cm
3/ sans titre (machine à calculer), 1940, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier, 28,9 x 82 cm
4/ sans titre (machine à écrire avec l’au-delà), 1971, ronéotype, stylo à bille, et crayons de couleur sur papier plié, timbré et envoyé, 54 x 65,7 cm
5/ sans titre (top moteur Selsyns à électro-différentiel pour robot), 1963, ronéotype, stylo à bille, et crayons de couleur sur papier timbré et envoyé par courrier, 60 x 75 cm
6/ sans titre (La tour logarithmique), 1972, Ronéotype, stylo à bille, feutre et crayon de couleur sur papier plié, timbré et envoyé par courrier, 49 x 102,5 cm
7/ sans titre (robot cosmonaute), 1971, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier plié, 50,5 x 65 cm
8/ sans titre (balance spatiale pour hélicoptère puis astronef - treuil), 1975, ronéotype, stylo à bille, et crayons de couleur sur papier plié, timbré et envoyé, 32 x 72,5 cm
9/ sans titre (Hélicoptère centrifuge), 1973, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier, 61 x 76 cm
10/ sans titre (oui-ja enregistreur ou planchette spirite), 1970, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier 52,2 x 65,5 cm
11/ sans titre (table traçante d’ordinateur imaginatif), 1972, ronéotype, stylo à bille et stylo-feutre sur papier plié, timbré et envoyé par courrier, 71 x 53 cm
12/ sans titre (robot Adam sélénite), 1958, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayons de couleur sur papier plié, timbré et envoyé, 41 x 65,5 cm
13/ sans titre (Buître à pales variables), 1971, ronéotype, stylo à bille et feutre sur papier, 26,5 x 54,8 cm
14/ sans titre (oui-ja électrique de 1 cm de manipulation), 1972, ronéotype, stylo à bille, feutre et crayon de couleur sur papier, 49,5 x 66 cm.

texte : creative commons - images : sd

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