La grande galerie d’Arc en rêve à Bordeaux accueille jusqu’au 27 avril 2014 l’étrange microcosme de l’architecte Junya Ishigami. L’exposition Petit ? Grand ? L’espace infini de l’architecture ? invite à un voyage exaltant au pays du Gulliver japonais.
Junya Ishigami, la quarantaine aux traits adolescents, peut se targuer d’avoir déjà remporté deux célèbres prix : celui de l’Architectural Institute of Japan Prize en 2009, une véritable consécration quand on sait qu’il est le principal prix d’architecture au Japon, et celui du Lion d’or à la Biennale d’architecture de Venise en 2010. C’est qu’il a été à bonne école en travaillant quatre ans aux côtés de Kazuyo Sejima, figure emblématique de l’architecture nippone contemporaine et fondatrice de l’agence SANAA avec Ryue Nishizawa.
La philosophie de cette femme, pour qui « l’architecture est une création au milieu de laquelle naît la création », a irrigué tout le travail d’Ishigami. Légèreté, transparence, simplicité, communion avec la nature deviennent à leur tour les maîtres mots du jeune architecte et se matérialisent dans des projets conçus au sein de son agence junya.ishigami+associates créée en 2004.
C’est une plongée dans cet univers que nous offrent les 56 projets présentés à Arc en rêve. Baignées dans une lumière blanche éclatante, les maquettes et esquisses disposées sur de fines et longues tables (rappelant cette table d’aluminium de 3 mm d’épaisseur quasi invisible) se dévoilent au fur et à mesure de la progression. Le temps semble s’être arrêté. Penché au-dessus des réalisations ou accroupi à leur hauteur, on retient son souffle et garde ses mains dans les poches de peur d’abîmer ces œuvres fragiles. En imaginant Junya Ishigami installer délicatement dans ses maquettes miniatures, à la pince à épiler, le moindre arbuste, la moindre chaise, la plus petite fleur qui soit, on mesure toute l’ampleur de la passion qui l’anime.
Les nombreux édifices arborés, montagnes, lacs et plages verdoyantes révèlent sa principale inspiration, la nature. Une source intarissable qui lui permet de développer une réflexion très fine sur la relation entre l’architecture, le design, la géographie, l’urbanisme et l’ingénierie. Quelles sont les limites entre chacun de ces domaines et comment créer de la porosité entre eux ? Pour Ishigami, la nature devient ce lien originel, créatrice d’une « nouvelle réalité » porteuse de son idéal humaniste : que l’architecture explore de nouvelles manières de vivre et enchante la vie de tous les jours.
Cette approche de l’architecture qui peut paraître naïve a été très bien résumée par Moshen Mostafavi lors d’une interview de Sejima et Nishizawa dans le cadre d’une monographie publiée par El Croquis [1] sur leur travail. Il a qualifié ce mouvement de « nouvelle innocence » [2], terme aérien et suffisamment évocateur sur cette récente école japonaise. Leur travail se trouve marqué par un minimalisme extrême. Même si quelques-uns revendiquent une certaine filiation avec le modernisme et le purisme, il faut chercher plutôt du côté de la candeur, du geste de l’enfant. Un retour à l’émerveillement.
De ce point de vue, l’architecture n’est pas qu’une question de bâtiment, elle naît de l’intérieur, la frontière entre immobilier et mobilier disparait [3]. À la recherche d’un rapport entre la nature et la construction, entre l’intérieur et l’extérieur, l’architecture devient mouvement et transforme la matière en une substance évanescente, fluide, quitte à vouloir devenir invisible.
La transparence devient le paradigme de cette école de la légèreté : aux cloisons épaisses et aveugles se substituent de larges surfaces vitrées soutenues par des structures aériennes faites de minces poteaux. La maquette n°8 d’Ishigami « Les serres et l’environnement » présente le Pavillon de la Biennale de Venise en 2008 : érigée par de fines colonnes, semblables à des arbres, la serre n’enferme plus un environnement exotique clos, elle s’ouvre sur le paysage et devient un véritable écrin en écho à la forêt environnante.
Cette manière de penser l’architecture contemporaine est directement héritée de la tradition japonaise. Ce pays qui privilégie les matériaux légers dans la construction, les minces cloisons de bois et les espaces organiques, voue un culte au jardin, au changement des saisons avec la floraison des cerisiers. Les japonais savent se laisser émerveiller par la beauté de ce qui est simple et de ce qui est éphémère.
Tout au long de cette exposition, c’est une nouvelle topographie qui se dessine. Les mouvements de la nature sont intégrés comme facteur de création de nouveaux paysages, ils génèrent des espaces à géométrie variable, à l’instar du « Projet du lac » où le niveau de l’eau varie en fonction des saisons. En métamorphosant le rivage en parc, Ishigami révèle la complexité d’une ville qui se rassemble au fil du temps.
Il en va de même avec « La météo et des maisons », projet qui fait écho à l’étude d’Ishigami sur la forme des nuages, modelés en miniatures et présentés comme des objets fossiles. L’intérêt porté par l’architecte à la pluie, au vent, aux effets du soleil sur les conditions de vie et de construction de l’habitat se traduit par des esquisses et maquettes imaginant des scénarios utopiques et oniriques.
Cet architecte poète et scientifique invite à repenser ensemble une philosophie de vie où la nature devient la culture, où faire de l’architecture c’est aussi la penser, créer le cadre de sa recherche, de sortir des contraintes de la pratique (aspects structurels, réglementaires, financiers, etc.), de garder une part de rêve, ou de retrouver sa part d’enfance.