La neuvième édition du festival Design Parade, petit frère du festival de mode de Hyères a eu lieu du 4 au 6 juillet à la villa Noailles à Hyères. L’ouverture du festival a rassemblé, le temps d’un week-end, un jury de journalistes, critiques et designers pour décerner son Grand Prix à l’un des dix candidats en compétition. Mais si les festivaliers sont pour l’heure tous repartis, la dizaine d’expositions installées sur le site de la villa et à travers la ville est visible jusqu’au 28 septembre.
« Nine » c’est le titre de l’exposition orchestrée par Marie-Claude Beaud et Konstantin Grcic qui accueille le visiteur, dès l’entrée de la villa. Neuf, comme un clin d’œil à la neuvième édition du festival, est le nombre retenu par la commissaire d’exposition et par le designer munichois pour parler de la transmission qui s’opère au sein d’un studio de design. Sont exposés neuf designers qui ont chacun passé une période, plus ou moins longue auprès de Grcic et qui l’ont accompagné avant de voler de leurs propres ailes. Nitzan Cohen, Jérôme Nelet, Jonathan Olivares, Maria Jeglinska, Pauline Deltour, Marie Rahm, Charlotte Talbot, Yuya Ushida et Clemens Weisshaar. Autant de parcours avec comme pierre angulaire le studio du designer allemand. Que retient-on de cette période de formation ? Quelles idées, quelles valeurs y sont transmises ? Un certain regard et un certain langage de l’objet, assurément, comme l’a démontré l’ensemble des propositions exposées.
On pointe ici ce qui fait la raison d’être du festival qui, par bien des aspects, peut s’apparenter à cette phase d’apprentissage. C’est un lieu que l’on traverse, auquel on se réfère et que l’on revisite. Un lieu dont on s’éloigne pour mieux y revenir ensuite. On y songe par exemple en découvrant les miroirs de Jean-Baptiste Fastrez édités par Moustache ou encore, au détour d’un escalier, une installation d’Antoine Boudin avec ses objets en cannes de Provence pour la collection petit h d’Hermès. Plus loin dans le gymnase, Adrien Rovero signe la scénographie de la « capsule du design » de la manufacture de Sèvres, nouvelle initiative du Ministère de la Culture pour faire voyager sur le territoire français les collections publiques. Entre 2005 et 2014 chacun de ces trois designers a fait partie de la sélection hyéroise et a remporté un prix.
Mais Design Parade, c’est aussi à chaque édition des nouvelles rencontres. Cette année, le couple formé par Stefan Scholten et Caroline Baijings occupait l’espace de la piscine avec leurs objets édités par Hay, MOOI ou Moustache. Une palette de pastels qui questionne la matérialité de la couleur selon ses supports, comme nous l’expliquait le couple interrogé par Alexandra Midal lors de la conférence À l’ombre II. Du bois au métal ou à la céramique et jusqu’à la fibre textile, c’est donc à une recherche chromatique que Scheltens et Bajings s’adonnent, poussant les matériaux dans leurs retranchements pour en explorer les possibles, par-delà le spectre colorimétrique. Over the rainbow annonçait justement le titre de l’exposition installée dans la piscine de la Villa.
Le design à deux, à travers le regard d’un autre, de l’autre, c’est le principe sur lequel repose l’association créative du duo hollandais.
Une démarche qu’ils poursuivent également avec un autre couple de photographes. Maurice Scheltens et Liesbeth Abbenes occupaient ainsi la salle de squash, vestige de l’attrait du sport pour la bonne société des années 1920. Accepter le regard d’autrui sur sa propre production, accepter la lecture qui peut en être faite, quelle qu’elle soit : un échange tout aussi déconcertant que fructueux auquel les deux couples de créateurs se prêtent comme en témoignent les clichés exposés.
On retrouve cette même volonté de laisser à un autre la formalisation de son projet dans le travail d’un des jeunes designers sélectionné. Klemens Schillinger, s’il n’a pas gagné le Grand Prix du Jury, nous a séduit par son positionnement et sa perspective singulière sur l’acte même de design. Le design, c’est penser pour les autres. Pourquoi ne pas laisser alors à cet autre, à cet élément d’altérité la part formelle de son projet ? Si l’intention initiale demeure celle du designer, sa matérialisation pourrait être réalisée par ses destinataires, même. Telle est la démonstration à laquelle le jeune Autrichien, diplômé du Royal College of Art, se livre : dans Circle, il laisse à un échantillon de 40 personnes le soin de dessiner un cercle à main levée. La superposition des résultats est étonnante de perfection mathématique. À un autre groupe, il laisse contempler pendant 5 secondes une chaise qu’il leur demande de reproduire. Ainsi naissent trois nouvelles typologies d’assises.
Jusqu’où opère l’influence du designer ? Une fois l’objet ou le projet laissé aux mains d’un autre, ne lui appartient-il tout simplement déjà plus ?
Plus bas dans la vieille ville, la Tour des Templiers, vestige médiéval de la cité varoise abrite la production d’une manufacture de terre cuite de la région. Poursuivant un inventaire du savoir-faire français, tout aussi nécessaire que dans l’air du temps, l’exposition des pots, vases et vasques de la poterie Ravel s’impose, aussi séduisante qu’impersonnelle dans une scénographie de Jean-Baptiste Fastrez. Point de signature star derrière chacune de ses formes éprouvées par l’usage mais autant de destins particuliers à venir.
Laisser aux autres le potentiel et les conditions pour créer, pour penser. C’est aussi à cet exercice que la dernière commande de la Villa Noailles se destine : transformer le château Saint Pierre ou Villa Gandarillas, un temps celle de la romancière Edith Wharton, située sur une parcelle adjacente à celle des Noailles en atelier de prototypage pour stylistes et designers. Les murs encore dressés de l’édifice subissaient la dégradation du temps et de l’oubli et ont ainsi servi de cadre au projet de réhabilitation mené par l’agence Construire sous la direction de Patrick Bouchain et Loïc Julienne. Antoine Boudin y a intégré mobiliers et parois en canne de Provence tandis qu’un trio de paysagistes formé par Camille Frechou, Damine Roger et Laura Roubinet s’est attaché à répertorier et réactiver les traces du jardin d’antan.
On partira en s’attardant sur le travail de la lauréate du Grand Prix du Jury, la française Laura Couto Rosado. En designant un dispositif permettant de faire chanter le quartz, l’étudiante de la HEAD de Genève récolte les trophées riches et variés de cette dotation : résidence à la manufacture de Sèvres, au Cirva, collaboration avec la galerie Kreo, exposition dans le cadre des Designer’s Days… De quoi faire tourner la tête et remplir une belle année de travail. À découvrir en juillet 2015 pour les 10 ans du festival dans le cadre de l’exposition personnelle qui lui sera consacrée.