Le mont Fuji n’existe pas

En cet été aux nuages incertains, le Frac Île de France, Le Plateau, présente l’exposition Le mont Fuji n’existe pas. Gravir les buttes de Chaumont est un bon préambule à cette visite. Au sommet de ces quelques collines, Le Plateau nous offre un point de vue sur un paysage, de la rue des alouettes aux confins du Japon. Le mont Fuji n’existe pas est un voyage du proche au lointain, une histoire sur les trésors qui existent, ou pas.

Lors d’un séjour au Japon, Elodie Royer et Yoann Gourmel, commissaires de l’exposition, ont cherché le Mont Fuji. La légende raconte qu’il serait visible de tous les coins du pays.

Ils se sont alors aventurés au travers de la légende. Le Mont Fuji fut le point de départ de leurs recherches ; le mythe teinte la précieuse présentation des pièces de l’exposition. Chaque démarche artistique témoigne d’une singulière quête d’expériences physiques et mystiques.

« This is not land art » annonce la couverture d’un ses livres : Hamish Fulton, artiste d’origine britannique, parcourt le monde en marchant sans laisser de traces de ses passages dans la nature. Photos et typographies, croquis et slogans transcrivent ses expériences. La collection de livres et de petites sculptures, visibles dans l’exposition, série de traductions sensibles et spontanées réalisées au fur et à mesure de ses voyages, évoque des années de marche. Vingt années maintenant que l’artiste travaille ainsi. À la vue d’une telle homogénéité, une seule question nous vient à l’esprit : comment ne pas se lasser de ce protocole infini ? L’expérience se répète et l’œuvre se prolonge. Avant de savoir comment son œuvre se renouvelle, si même il est question d’une œuvre, il semble indispensable à cet homme de marcher.

Nos mains chaussées d’une paire de gants blancs feuilletant les livres, soyons déjà ravis de comprendre que l’art dit « conceptuel » peut demeurer si naturel.

Les œuvres de l’artiste Shimabuku ne font que confirmer ce sentiment d’évidence. Cet artiste japonais ne se refuse aucune expérimentation, si dérisoire qu’elle puisse paraître. Si le mont Fuji n’existe pas pour certains, il a suffi à cet artiste de s’en inventer un, à Berlin. L’important, c’est l’histoire qui se raconte autour de ce tas de graviers.

Si les moyens de communication actuels ne permettent pas de se comprendre, alors pourquoi ne pas tenter de communiquer avec les reflets d’un poisson sabre au soleil ? Authentique et instinctive, la performance restituée dans une courte vidéo, prend des airs de Fluxus. La singularité de la démarche de Shimabuku réside dans qualité des relations vivantes qu’il désire animer. Ses gestes apparemment absurdes ne sont autres que des rencontres originales entre l’humain et l’animal. Shimabuku joue avec les attitudes primitives pour inventer les légendes d’aujourd’hui.

Nous nous laissons raconter d’autres histoires par les médiatrices de l’exposition. Chacune retrace très naturellement le cheminement des œuvres et esquisse le portrait des artistes. « Vous connaissez Chitti Kasemkitvatna ? » Parlaient-elles d’un vieil ami ? Ont-elles aussi vu le mont Fuji ? Quoi qu’il en soit, remercions la spontanéité de leur discours. « Vous n’êtes pas musicienne par hasard ? » demande-t-elle pour aborder la présence de ce piano à queue de Julien Gasc et Bruno Persat, encastré dans le mur. « Vous habitez le quartier ? » Lenka Clayton & Michael Crowe auraient envoyé des lettres personnalisées à tous les habitants de la rue. Et ce n’est que le début.

Ce sera peut-être votre tour un jour car ils ont décidé d’écrire au monde entier.

Cette exposition présente de nombreux gestes manifestes dont il ne reste finalement que quelques traces matérielles et l’aura d’un récit. Pour ce faire, les commissaires ont agencé habilement œuvres et documentations. The Play, collectif japonais actif depuis les années 60, semble conserver l’énergie et l’extravagance des débuts. Ceux-ci, comme d’autres figures de cette exposition, mettent en doute notre emprise sur le cours des choses. Démonter la plus grande fenêtre d’un musée de Kobé pour y laisser entrer l’air frais, embarquer un œuf géant sur un bateau pour le mettre à la mer sont quelques exemples des réalisations saugrenues illustrées par des photos, des vidéos, des croquis et des affiches dans l’exposition. La conception même du travail collectif y est mise en valeur. Le partage de l’expérience sensible paraît être la motivation de tels chantiers.
En 1971, à l’occasion de la Biennale de Paris, ils projettent de construire un radeau de polystyrène en forme de flèche et de se laisser glisser sur la Seine. Faute d’avoir eu l’autorisation il y a quarante ans, cette année ils ont pris le droit, embarquant avec eux toute l’équipe Frac-Mont Fuji. Le radeau de 3,5 sur 8 mètres trône aujourd’hui au milieu de la pièce.

Nous demandons au surveillant de la salle : Et vous, vous en étiez ?


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POUR ALLER PLUS LOIN :

Exposition Le mont Fuji n’existe pas au Frac Île de France, Le Plateau jusqu’au 29 juillet prochain.

Relire notre critique de la précédente exposition du FRAC, Le Sentiment des choses.

texte : creative commons - dernière image : Vue de l'exposition Le Mont Fuji n'existe pas. Frac Ile-de-France Le Plateau juin-juillet 2012. Photo Martin Argyroglo.

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