Naissance d’un colosse à Pierrefitte-sur-Seine.
Ce 21 janvier 2013, le nouvel écrin des Archives Nationales ouvrait ses portes au public. Dessiné par Massimiliano Fuksas non loin de l’Université Paris 8, à Pierrefitte-sur-Seine, ce bâtiment s’impose aujourd’hui comme l’un des plus grands centres d’archives européens.
Pour éviter tout risque d’inondation (hantise du parfait archiviste), cet iceberg couleur graphite ne comporte pas de partie immergée. Aucun des dix étages de magasins n’a été enterré. Le volume de stockage, cubique, massif, comme inébranlable, a été habillé d’une résille en aluminium anodisé, localement ajourée. Seules quelques grandes failles verticales laissent en effet pénétrer la lumière pour précisément rappeler aux magasiniers qu’ils ne fourmillent pas dans un énième sous-sol et tâcher de rendre leur quotidien un peu plus humain. Cette cote de maille high tech, combinaison d’Arlequin-des-temps-modernes, avec son patchwork de polygones tantôt métallisés tantôt vitrés, avait déjà su séduire les architectes de la Cité du Design de Saint-Étienne.
Sur le flan de ce mastaba inox, différents satellites (selon la terminologie de Fuksas) viennent se superposer : la strate « administration » (la plaque ou la tranche – appelez ça comme vous voulez) vient s’assoir sur la strate « ateliers de restauration » qui elle-même surplombe la strate « accueil du public ».
Entre ces deux mondes, le diurne et le nocturne, sont suspendues de nombreuses passerelles comme autant de couloirs d’embarquement.
Embarquons justement.
Si vous n’avez pas expressément besoin de consulter le brouillon de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, le Traité de l’Élysée ou les notes de frais de Mitterrand, des visites guidées sont organisées tous les jours, jusqu’à la fin du mois.
En compagnie d’un conservateur, vous emprunterez exactement le même chemin qu’un lot d’archives. Pendant deux brèves heures de déambulation, vous incarnerez un de ces fameux cartons gris au pH neutre, un Armic ou un Dimab [1] débarquant tout juste de Paris pour rejoindre un mètre linéaire maintenu ad vitam aeternam à 18° C.
Fini le temps des archives poussiéreuses et de l’archiviste Père Fouras : bienvenue à Gattaca !
Les portes sont automatiques, leur ouverture se fait par puce magnétique, celle des casiers du vestiaire par code PIN. D’aucuns se plaindraient déjà de « badger » à longueur de journée.
Le studio photo, les ateliers de reliure et de dorure sont équipés avec du matériel de pointe. Installée à côté d’une étuve dernier cri, la vieille presse à vis – pourtant toujours très utile – joue les reliques. Les couloirs, d’un blanc clinique, sont truffés de caméras de vidéosurveillance. Vous, carton d’archives ainsi que le trésor que vous renfermez, ne pouvez vous échapper.
Ici, on charrie du papier, mais ce pourrait bien être des produits laitiers.
L’hygrométrie est extrêmement contrôlée, la logistique parfaitement orchestrée et cela sur les trente prochaines années !
Certes, la place forte vient à peine d’être inaugurée et le numéro n’est pas encore tout à fait rodé. Le mobilier, conçu par Doriana Fuksas, n’a pas encore été livré, la cafétéria doit encore s’inventer une identité, les caisses ne sont pas vraiment installées et le système informatique fait parfois des siennes. Les tables de lecture se rayent déjà, les bassins des douves ne sont pas tous remplis – « pour éviter le gel » prétextent certains, « ils fuient complètement » affirment d’autres…
Mais c’est précisément toutes ces petites défaillances temporaires qui font le charme de cette architecture qu’on croirait née de l’imaginaire Apple et qui nous donnent l’impression aussi savoureuse qu’inespérée d’assister aux balbutiements d’un colosse.