Les Docks

Entre les quais de la Seine et la gare d’Austerlitz, se découpe l’imposant bâtiment des magasins généraux, ancien entrepôt destiné au transport des marchandises, des péniches aux trains. Depuis 2006, le "plug-over" vert dessiné par les architectes Jakob+MacFarlane anime la façade. Avec quelques années de retard, les Docks ont enfin ouverts au public depuis le 13 avril dernier. Pensé comme une cité de la mode et du design par la Ville de Paris, le lieu veut rassembler cafés, boutiques et galeries, et deux espaces sont assignés à la programmation Hors Les Murs du Musée Galliera : un projet ambitieux et un programme alléchant que l’on a voulu voir de plus près.

Quelques jours après son ouverture le lieu est encore un peu fantomatique : les boutiques sont désertes, ou pas encore ouvertes. L’espace est néanmoins séduisant : le point de vue sur les bâtiments du quartier Gare de Lyon est plutôt saisissant, et la vocation fluviale de la ville de Lutèce prend tout son sens, la navigation des péniches au pied du bâtiment étant dense.

On repère assez facilement l’espace du Musée Galliera qui malgré son exiguïté abrite deux expositions. Cristobal Balenciaga, Collectionneur de modes séduit par la sobriété du dispositif de présentation qui évoque la question de l’archive. Présentées dans des meubles de conservation (portant, tiroirs…), on découvre les pièces de la collection personnelle du couturier espagnol entourées de ses propres œuvres. Collet et mantelet fin XIXe, élément de costume populaire espagnol, veste de danseurs de ballets andalous dialoguent avec des pièces modernes et révèlent l’intérêt du couturier pour l’histoire du costume. On saisit au fil de l’installation comment le créateur, sans jamais tomber dans l’historicisme, nourrit son art de la coupe de la beauté du passé, comment son regard a pu lire les patronages des couturiers qui l’ont précédés. Le catalogue nous apprend d’ailleurs que Balenciaga, avant de créer sous son propre nom a été, en quelque sorte, formé à l’art de la copie (on pourrait ainsi nommer la pratique qui consistait dès les années 1920-1930 à recevoir des grandes griffes parisiennes des modèles à dupliquer - légalement - pour les boutiques étrangères). On conçoit alors volontiers le plaisir du couturier à observer et comprendre ces montages, assemblages et jeux de coupe. La virtuosité des pièces de Balenciaga, ainsi mises en miroir, nous rappellent que la mode est avant tout un certain art de la construction.

La salle suivante nous invite au dernier défilé de la créatrice Rei Kawakubo qui crée depuis les années 1970 sous le nom Comme des Garçons. Disposées dans des bulles de plastique (qui ne favorisent malheureusement pas une lecture très nette), les silhouettes de la collection été 2012 intitulée White Drama déclinent le blanc sous toutes ses teintes. On est un peu perdu si l’on n’a pas lu le texte introductif, évoquant les différents âge de la vie, de la naissance à la transcendance. La créatrice japonaise donne des accents de célébration mystique à l’exercice presque galvaudé du défilé imposé par l’établissement des semaines de la mode. Même si l’on ne déchiffre pas toutes ses intentions ou ses pensées ésotériques dans les volumes et matières, on se laisse en revanche porter par la fascinante et saisissante esthétique de Kawakubo. Manches passées à la loupe, débordement de fleurs en cascade à l’entrée d’une fente de manche, superposition de dentelles, amalgame de motifs en crochet, le tout sous des coiffes de plâtre et de feutre. On regrette peut-être seulement de ne pas pouvoir contempler les pièces de plus près.

De la pureté moderniste d’un Balenciaga à la poésie spirituelle de Comme des Garçons, Galliera nous livre ici, loin des rétrospectives aux allures de superproductions, deux expositions concises et inspirantes. Preuve s’il en est, que la qualité d’une exposition ne réside pas dans la quantité des pièces ou dans le budget engagé pour les présenter.


Comme des Garçons - White Drama, Cristobal Balenciaga, Collectionneur de modes, expositions du 13 avril au 7 octobre 2012, Les Docks - Cité de la Mode et du Design, 34 quai d’Austerlitz, Paris 13e.

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