Teatro Regio
Carlo Mollino

Article écrit par Napoleone Ferrari (Museo Casa Mollino, Turin). Photographies : © 2017 Photo Pino Musi. www.pinomusi.com | www.musi-um.info

La nuit du 9 février 1936, un grand incendie illumina Turin et mit fin à l’histoire du Teatro Regio érigé au XVIIIe siècle. Après la guerre et un parcours tourmenté, le projet de reconstruction fut confié en mai 1965 à l’architecte et designer Carlo Mollino. Aujourd’hui Fulvio et Napoleone Ferrari étudient et valorisent l’œuvre de Carlo Mollino et la Casa Mollino, dernier appartement de l’architecte à Turin, devenu le musée de ses collections et de ses archives privées. Après de nombreuses expositions internationales et la publication de quatorze ouvrages sur la vie et les réalisations de Mollino, les chercheurs du Museo Casa Mollino travaillent à l’édition d’un livre spécialement dédié à ses projets architecturaux qui paraîtra fin 2018. Napoleone Ferrari revient ici sur le Teatro Regio, théâtre et opéra que dessina Mollino à la fin de sa vie.

Grâce à sa culture historique de l’Italie et à ses réalisations architecturales innovantes, Mollino avait la juste sensibilité pour intégrer un bâtiment moderne au centre historique de la ville. La façade de brique de l’ancien bâtiment fut d’abord restaurée pour retrouver l’unité et la continuité du dessin de la place Piazza Castello – privant d’emblée le projet du nouveau théâtre d’une façade propre. Le théâtre dut donc être construit plus bas que les bâtiments autour. La Tour de scène – la Torre di scena – au centre l’îlot, émerge pourtant légèrement sans pour autant être visible depuis la place.

Les façades latérales du théâtre forment deux longues courbes qui dialoguent élégamment avec les lignes baroques du Palazzo Carignano érigé au XVIIe siècle par le prêtre, mathématicien et architecte Guarino Guarini. Les flancs confèrent au plan du théâtre sa ressemblance avec un torse de femme, en référence à une vénus ou au Violon d’Ingres, la célèbre photo de Man Ray.

© 2017 Photo Pino Musi

Construits en brique, les murs ont été presque entièrement couverts d’un motif d’étoile à huit branches, un symbole traditionnel de la ville de Turin, donnant à la surface une texture capitonnée. La première partie des parois latérales, celle qui accueille le foyer, est fermée par un rideau créant une osmose entre l’architecture intérieure et extérieure, mettant en perspective de manière très scénographique les Archives nationales de 1733 conçues par Filippo Juvarra. Le Teatro Regio se fait théâtre de la ville.

Le foyer reste l’élément le plus marquant du théâtre : une remarquable synthèse de fonctions structurelles et expressives. Conçu comme un espace galbé, ouvert sur quatre niveaux, il se réfère farouchement aux estampes des Prisons imaginaires de Piranesi. Les volumes de l’architecture se déploient dans toutes les dimensions grâce à des structures de béton en porte-à-faux supportées par très peu de piliers.

© 2017 Photo Pino Musi

© 2017 Photo Pino Musi

Une grande variété de matériaux habillent les surfaces : pur marbre blanc, béton coffré brut, moquette moelleuse, miroirs et aluminium doré anodisé se mêlent dans une symphonie de référents kitsch et ambiguës, d’une élégance singulière.

© 2017 Photo Pino Musi

Chaque chose fonctionne en continuité avec une autre. Dès son entrée dans le théâtre, le public fait face au vestiaire, les comptoirs de la billetterie de part et d’autre, puis déambule au grès du système d’escaliers et de ponts suspendus pour rejoindre sa place à l’auditorium. Au premier étage se trouvent différents espaces où faire une pause, vastes ou plus intimes, et deux bars ouverts de manière à faire de l’opéra un lieu de rendez-vous et de célébrations publiques. La structure globale place le théâtre au rang d’un lieu de rencontres et de regards, où l’on échange des conversations, où l’on observe et l’on est observé. Le Teatro Regio se fait théâtre de société.

© Photo Cavallo

1800 sièges sont rassemblés dans l’espace ovoïde violet de l’auditorium envahi par le nuage du plafonnier lumineux de Gino Sarfatti : 1700 ampoules disposées entre 3000 tubes de Plexiglas profilés en X, réfléchissant la lumière. Conçu pour l’acoustique, le plafond de l’auditorium en bois est structurellement suspendu au toit de béton, formant une gigantesque parabole de la forme d’une selle, de seulement 8 centimètres d’épaisseur. Le dessin de la scène et des équipements techniques font encore de cet amphithéâtre le plus moderne et le plus polyvalent du monde – la fonction la plus intéressante étant la possibilité de monter quatre scénographies en même temps, une sur la scène principale, deux sur des scènes latérales et une dernière à l’arrière, et de les intervertir rapidement.

Le 10 avril 1973, le Teatro Regio ouvrit à nouveau ses portes non sans polémiques. Il n’était pas facile pour l’Italie d’envisager un théâtre moderne et pourtant aujourd’hui, bientôt cinquante ans après sa construction, il est finalement apprécié comme contemporain.

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Teatro Regio, Piazza Castello, 215, 10124 Torino TO, Italie.

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Article écrit par Napoleone Ferrari (Museo Casa Mollino, Turin).

Photographies : © 2017 Photo Pino Musi. www.pinomusi.com | www.musi-um.info

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