Rhapsodie pour moutons des villes, reconversions multiples sur fond de patrimoine, découvertes pédologiques, arrêt sur comice, chroniques des champs… ou comment le dernier numéro des Cahiers de l’École de Blois nous laissera quand même sur notre faim.
Tableau de province : un champ cultivé, avec, au loin, un tracteur. Les blés se balancent au gré du vent. Quelle harmonie ! Et pourtant, qu’il est lourd à porter l’héritage de la mécanisation agricole, de la PAC, de la transformation du paysan en ingénieur agricole côté en bourse ! Terre nourricière, terre jardinée, terre d’harmonie qui ravit les yeux du chaland, la campagne représente le pire aux yeux de l’écologiste vertueux : sols pollués, nappes polluées, espèces mutantes, sur-mécanisation...
Ces terres cultivées sont aussi la fabrique du paysage rural français : des territoires aux enjeux complexes et peu connus, dépassant largement le simple débat manichéen du pour ou contre le bio, du pour ou contre l’agriculture intensive.
Le monde paysan s’écartèle en une infinité de situations d’où il est impossible de retirer une image globale.
Ces territoires, ces pratiques culturales, sont l’un des plus grands chantiers des métiers du paysage, où tout reste à inventer.
Ce neuvième numéro des Cahiers de l’École de Blois se propose d’enrichir notre connaissance sur les enjeux paysagers du monde agricole, en présentant une série de onze articles brossant à larges traits l’actualité de la fabrique du paysage rural.
Nostalgie des campagnes
Après un utile mémo sur l’histoire de l’agriculture française au XXe siècle, les articles plongent dans le vif du sujet : retour sur le temps des grâces, rhapsodie pour moutons des villes, reconversions multiples sur fond de patrimoine, découvertes pédologiques, arrêt sur comice, chroniques des champs… De l’essai au projet, de la poésie à l’image, tout y est. L’ensemble réveille le lecteur, et les articles de Marc Claramunt et de Dominique Boutin, critiques acérées d’une ruralité qui s’auto-applaudit "et où il s’agit d’affirmer qu’on existerait en même temps qu’on disparaîtrait", et de la conception industrielle de l’agriculture qui en vient à ignorer les données naturalistes qui ont fait prévaloir pendant des siècles le pragmatisme dans l’installation des civilisations agraires et l’aménagement de l’espace, sont particulièrement éloquents.
Il est regrettable que le propos du livre, dont le but semble pourtant clair à la lecture de l’introduction, rate sa cible. On déplore des articles juxtaposés les uns aux autres, dans une hiérarchie à la logique obscure, faisant passer le lecteur de thèmes de recherche ou philosophie agraire à des propositions plus ou moins convaincantes d’empaysagements agricoles.
Le style est lourd, et par trop empreint d’une sorte de poésie mélancolique qui nous fait regretter le temps où 80% de la population française était rurale. Nous avons tous envie de fouiller dans notre cave à la recherche d’une bêche, d’un râteau, d’une pelle afin d’aller retrouver nous aussi nos racines paysannes !
Jardiniers du paysage ?
Est-ce pourtant vraiment le propos du livre ? Il est fort à parier que non. Non, car tous ces articles montrent par leur documentation, leurs images, leur investissement, une véritable conviction qu’il faut changer la donne du monde agricole. Ne pas réduire, comme le précise Marc Dufumier, les agriculteurs au titre de « jardiniers du paysage » mais chercher une reconversion, trouver une qualité gustative, environnementale et sanitaire convaincantes pour le consommateur et le producteur.
Agriculture = patrimoine ?
Les paysages de provinces sont façonnés par les mouvements de l’agriculture. Lourd héritage que celui de la transformation des campagnes vivrières en champs super-productifs ! Aussi, alors qu’il faut proposer des réponses, susciter le questionnement, aviver les consciences, les Cahiers arrivent comme le messie dans un désert aride.
Les travaux et propositions de Guillaume Barsalou, Matthieu Calame, Marie Gallienne et Elise Dauchez sont surprenants de précision et de réalisme. Les différents projets sont documentés, expliqués, et l’on n’attend plus que leur réalisation.
Des parcs cultivés
Chacun y va de sa solution qui permettrait à des domaines de trouver un juste équilibre entre production et exposition, entre travail et art. Matthieu Calame nous laisse entrevoir, en nous exposant son travail de conversion d’un domaine d’agriculture industrielle en un domaine biologique, la possibilité d’un autre aménagement du territoire, d’un nouvel équilibre des sociétés rurales. Changement du parcellaire, cohabitation entre desserte agricole et chemins de randonnées, alternance des cultures, réapparition d’une flore sauvage… il nous invite à repenser le territoire. Guillaume Barsalou et Marie Galienne, chacun dans leur registre, proposent de faire de terres agricoles des parcs cultivés. Un domaine viticole devient un jardin d’œnologie, où sont insérées nouvelles cultures, jardin d’aromates, plantes médicinales… La plaine du Parisis est transformée en un parc naturel d’agglomération ayant pour vocation de restaurer des liens entre des fragments de territoires enclavés, des fragments de ville niant la "campagne", d’incarner une nouvelle interface entre ville et paysage.
Et pourtant, ils laissent un peu chagrin : est-ce parce que leurs propositions ne surprennent pas, ou laissent trop entendre que le meilleur moyen de s’en sortir est de développer une certaine forme d’agritourisme, de convertir les terres agricoles en jardin ? Nul doute que leurs auteurs n’ont pas cherché à faire l’unanimité, il reste que, pour un recueil qui se targue d’ouvrir les portes du monde agricole, les projets ressemblent souvent plus à des coiffures belles, respectueuses et policées qu’à des révolutions pour la pensée paysagère…
Le lecteur trouvera quand même son compte dans ce numéro des Cahiers, qui remplit une partie de sa mission : nous interpeller. Il laissera sur leur faim les personnes avides de réponses, de propositions insolites, politiquement incorrectes, laissant imaginer un renouveau dynamique et plein d’entrain du monde agricole. Une conclusion en demi-teinte pour un recueil qui ne laisse qu’à moitié convaincu, et qu’à moitié surpris.
Terres cultivées, Cahiers de l’École de Blois N°9, sous la direction de Jean-Christophe Bailly, Dominique Boutin, Matthieu Calame, Maryline Desbiolles, paru le 7 avril 2011, Éditions de La Villette, ISBN : 978-2-915456-64-6, Prix : 19,00 euros.