N’oublions jamais le plaisir que peut procurer la lecture d’un texte ancestral éclairé par les lueurs du monde actuel :
« Cette île attend le coucher du Titan (soit le dieu soleil) tandis que l’univers tourne et que la lumière descend sur les ombres occidentales – la mer, avec ses masses incommensurables de flots, abîmes aux couleurs horribles, profusion de toutes parts de cheveux ondulés. Robe blanche, scintillante, larges dos bleus, frappant les refuges des hommes sur le rivage écumant, la baie la plus éloignée sur la terre. »
Ici, tout semble être déjà dit du récent travail de Yann Kersalé, présenté actuellement à la Fondation EDF. Exceptionnelle anticipation de l’hagiographe Jonas de Bobbio (VIIe siècle) qui signe cette très belle Vie de Saint Colomban et qui, mieux que personne, nous livre un commentaire vérace sur l’œuvre du concepteur-lumière. Ou, pour être plus juste : étonnante poésie que celle de cet artiste contemporain qui réussit, comme peu d’autres, à renouer avec des sensations millénaires.
Malaxeur de lumière, Kersalé connaît les dernières technologies mais n’agit jamais en technicien. De feu ou de LED, ses éclairages sont sans âge, ni nostalgiques à Carnac ni high-tech au radôme de la Cité des Télécoms de Pleumeur-Bodou. Les questions de ce genre ne se posent pas. Il y a du sensible, un point c’est tout. Et de la Bretagne. Tantôt en poudre (d’étoiles) tantôt en tube (fluo).
Ainsi, pour ce Breton qui opère toujours in situ, dans des sites à fort caractère, il n’a sans doute pas été aisé de s’exposer dans la black box, plutôt neutre, de la Fondation. Au final, l’installation « Sept fois plus à l’Ouest » – référence à son Armorique natale – présente sept « mises en abîme » où l’artiste, avec une simplicité et une modestie déroutantes, revisite ses récentes créations. Post-production donc. Œuvres à propos d’autres œuvres bien plus qu’aperçus restrictifs ou pâles répliques. Œuvres d’après les œuvres qui déjà s’affirment, dans leur essentialité, comme des ébauches en soi pour de futures recherches. C’est ainsi qu’ici la boucle est bouclée et que, pour reprendre l’hagiographe précédemment cité, le travail de Kersalé « suit le vent du nord, fait efforts pour s’élever à l’orient, de façon que, né à une nouvelle vie, il puisse redonner au monde la lumière bénéfique et étendre son feu à l’infini du ciel vibrant ».
Yann Kersalé, “Sept fois plus à l’ouest”, jusqu’au 25 mars 2012 - Espace Fondation EDF, 6, rue Récamier, 75007 Paris.