Department 21 (D21) est un projet collaboratif, un espace de réflexion, de rencontre, de travail. Il voit le jour en 2009, au Royal College of Art (RCA) à Londres, lorsqu’un groupe d’étudiants s’installe pendant deux mois dans une salle laissée vacante par l’administration pour y expérimenter des méthodes de travail collaboratives. En recréant du lien entre les départements, D21 place au centre de son projet des intérêts communs, la curiosité de chacun et le dialogue critique.
Les vingt départements du Royal College of Art au moment de la création du D21 en 2009 : Animation, Architecture, Ceramics & Glass, Communication Art & Design, Conservation, Critical & Historical Studies, Curating Contemporary Art, Design Interactions, Design Products, Fashion Menswear, Fashion Womenswear, Goldsmithing, Silversmithing, Metalwork & Jewellery, History of Design, Industrial Design Engineering, Vehicle Design, Painting, Printmaking, Photography, Sculpture.
D21 offre une place par département (il y en a vingt en totalité) : pas de sélection subjective ou de lettre de motivation, une place revient au premier élève de chaque département qui répond à son appel à candidature. Pour les autres, D21 offre une zone dédiée à une plus grande communauté dans son espace, qui permet à davantage d’étudiants de profiter de l’environnement sans l’habiter pleinement au quotidien. Le contenu de D21 est principalement défini par sa manière d’organiser l’espace : une zone pour travailler à son bureau, un espace pour les activités de groupes — ateliers, conférences, discussions ou repas, un espace de production et un espace plus calme où chacun peut lire, se reposer ou même projeter des films.
Tout en continuant à développer leurs projets indépendants, les étudiants peuvent échanger des idées, participer à des ateliers, montrer leur travail, inviter des intervenants extérieurs. Mais surtout explorer en quoi leur pratique évolue dans un environnement ouvert et discursif.
Toujours subversif, D21 devient nomade à partir de 2010 tout en gardant les thématiques qui lui sont chères depuis le début. Sophie Demay, qui fait partie de ses organisateurs, les décrit comme suit.
Disciplines
Une anecdote au sujet des disciplines : l’administration du Royal College of Art, souhaitant montrer son ouverture à des pratiques interdisciplinaires, a soutenu le projet à sa création. Pendant quelques mois, le menu de la page Internet de l’école proposait les raccourcis habituels vers les différents départements qui la composent ainsi que... le projet D21 ! Le projet devient donc à ce moment même, institutionnalisé, intégré à la structure même qu’il parasite... jusqu’à ce que l’administration réalise la portée subversive de D21 et qu’elle supprime le lien.
Des 20 disciplines enseignées dans l’école, D21 crée la 21e. Plutôt que d’organiser des projets interdépartementaux avec des objectifs déterminés à l’avance, nous aspirons à la spontanéité. Avoir une pratique interdisciplinaire n’est pas chose facile dans une école, son administration n’est pas habilitée à juger un travail collaboratif. Comment penser le collectif lorsque les notes sont individuelles ? Comment un enseignant peut-il s’assurer que chaque étudiant maîtrise les acquis indispensables à l’obtention de son diplôme ? Les terminologies pédagogiques sont sur ce point intéressantes à relever : on parle d’acquis, de compétences, de validation de diplôme... Comme si l’étudiant était estampillé valide, déclaré valable. Il est indispensable de créer une plateforme qui permette une pratique où 1+1=3.
Espaces
D21 investit une variété d’espaces, mu par la conviction que la conception physique et sociale d’un espace d’apprentissage a un impact sur sa pédagogie. Nous mesurons l’importance de penser notre environnement, de le dessiner, de le concevoir en adéquation avec son contenu.
Espaces. Publics et privés. Autorisés ou non. Ils permettent de comprendre comment un environnement influence une manière de faire et de penser. Les murs et cloisons qui partitionnent l’espace sont supprimés dans la première salle de 250m2. Ils deviennent plus tard les meubles de D21. Les étudiants renoncent temporairement à leurs départements respectifs et à l’usage de leurs bureaux pour s’installer dans un espace commun.
L’espace est agencé de manière organique autour des activités et des besoins de chacun : un espace de travail, une table ronde pour organiser discussions, workshops ou encore dîners, un espace de projection, de performances. Partager un espace physique implique que tous les participants s’investissent pour l’activer. C’est l’habiter au quotidien, rétablir un certain ordre après chaque activité pour accueillir la personne suivante, ou bien même offrir son soutien à ceux qui voudraient organiser autre chose. De façon cruciale, cela veut surtout dire être sensible et réactif à la dynamique de groupe.
Plus tard, D21 investit d’autres espaces, de façon moins officielle. Une manière de questionner la perméabilité de différents environnements à l’échange et à l’apprentissage. Nous devenons des parasites et intervenons successivement dans un espace d’exposition en train d’être démonté, un parking ou bien sur une terrasse. Nous construisons dès lors un nouveau mobilier, pliable et portatif, qui correspond à la nature désormais nomade de D21. Alterner les espaces publics et privés, c’est aussi se préserver d’être une communauté fermée.
Imprévu
L’imprévu est au centre de notre recherche. Travailler dans un espace entièrement ouvert, c’est arriver par accident au milieu d’une discussion. C’est réaliser que le sculpteur ou l’architecte, qui travaille à côté de nous, a en réalité un processus de création similaire au nôtre, avec un champ d’application différent. Faire partie de D21, c’est aussi accepter l’essai, l’inachevé, l’incertitude. C’est faire du temps, créer du temps, prendre le temps.
L’école a besoin de résultat, c’est sa manière de quantifier les succès ou les échecs. Pourtant ces échecs font partie intégrante du processus d’apprentissage de chacun. Le chemin parcouru nous semble bien plus important que le résultat obtenu.
Autonomie
Il semble nécessaire que les institutions accordent une place (conceptuellement, intellectuellement mais aussi physiquement) à des initiatives autonomes et critiques. D21 n’existe que par rapport à l’institution dans laquelle elle évolue et elle n’existe que parce qu’elle est tolérée par son administration. Il ne semble pas judicieux d’opérer en opposition frontale, mais plutôt d’engager une conversation critique et productive, avec un système éducatif.
Dans son livre, Une société sans école, Ivan Illich cite un juge américain de la cour suprême, qui, à propos de l’institution de l’école déclare :
Ivan Illich, Une société sans école, Points (1971), p. 17 (éd. 2011).
“La seule façon d’établir une institution est de la financer.”
Pour D21 comme pour toute institution alternative, recevoir un financement remet en question son indépendance et sa capacité critique.
Précarité
Ce type d’initiative est précaire. D’abord parce que son autonomie financière précarise son existence et limite sa durée de vie. Ensuite parce que l’une des conditions intrinsèque à son existence est de se positionner à contre-courant. En effet, le fondement même de l’alternatif est de se constituer en réaction à un contexte, une époque ou un évènement donné.
La plupart des artistes et designers de D21 partagent les mêmes questions : comment éviter le choix entre un travail critique, engagé et une certaine stabilité financière ? Quelles alternatives ?
Groupe
D21 encourage une vision émancipée du statut d’étudiant, incitant ce dernier à assumer sa responsabilité, à prendre son autonomie ainsi qu’à déterminer lui-même son processus d’apprentissage. Comme toute expérience pédagogique, elle n’existe que si ses participants sont prêts à l’activer. C’en est même la condition essentielle.
London Hack Space, une organisation alternative, plutôt anarchiste, affiche dans ses locaux une liste de règles de savoir-vivre. Elles correspondent assez bien à la philosophie de D21. La règle numéro 4 se lit ainsi :
(Si quelque chose est cassé, réparez-le, ne vous plaignez pas.)
“If something is broken, fix it, don’t complain”
Pour chaque évènement, l’espace, le lieu ou l’activité mais surtout la diversité de la composition du groupe sont des ingrédients clés pour permettre un échange fructueux. D21 fonctionne grâce à la tension entre accomplissement individuel et objectif collectif. Ses projets se confrontent inévitablement aux balbutiements de la politique. Créer une institution, c’est déterminer le fonctionnement d’un groupe social, sa structure et ses règles. Qui décide ? Comment prendre des décisions ? Que faire en cas de désaccord ? Quelle place accorder au compromis ? Pour conserver une autocritique essentielle à son fonctionnement, nous devons maintenir en son sein l’existence d’opinions antagonistes.
Production
L’un des premiers événements, en 2009, de D21 s’intitulait : Take a seat in Department 21. Chacun y est invité à construire sa propre chaise. Au-delà de faire des choses ensemble, il s’agit d’une mise au point : il n’y a pas de spectateur passif.
Chaque évènement permet d’expérimenter de nouveaux moyens de documenter le projet : ateliers d’écritures, dessins en live, streamings éphémères sur Internet, ateliers radiophoniques.
Ne pas restituer, donc, mais produire comme une forme de documentation. Avec en tête cette sorte d’adage que nous avions écrit un jour :
Faire c’est rechercher. Et faire, en fait, c’est faire exister.
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