Notre reporter a poussé la porte de l’un des FabLabs européens les mieux équipés et les plus influents. Le FabLab de Barcelone dépend de l’école d’architecture IAAC, Institute for Advanced architecture of Catalonia où il est installé depuis 2005. Cette école privée n’accueille pas plus de soixante-cinq étudiants et propose plusieurs Masters, tous imprégnés par la fabrication numérique.
Au-delà des machines, c’est un atelier où se construit une ambition pour le modèle FabLab qui dépasse le bricolage technologique pour inventer d’autres formes de conception urbaine et sociale.
Un FabLab dans une école,
une pédagogie hands-on
Après un petit couloir d’entrée où sont exposés quelques projets et maquettes, on arrive tout de suite dans un hangar, très haut de plafond : des étudiants y stockent des projets en construction, on y trouve des machines et des réserves de matériaux.
Une grande CNC et une réserve de panneaux bois occupent toute une partie de l’espace. Dans un petit sas, un bras robotisé est installé en permanence, pour fraiser des pièces en trois dimensions ou pour y adjoindre tout type d’outil pour d’autres manipulations. Le Lab a également une autre CNC, une grande découpeuse laser, son lot d’imprimantes 3D (de la basique Replicator 2 à des modèles par frittage de poudre ou stéréolithographie plus professionnels) et un coin cuisine. Des étudiants nous expliquent que l’ensemble du mobilier a été réalisé au FabLab :
Ce n’est pas très confortable mais on aime bien,
parce que c’est home made !
Dans une pièce équipée d’ordinateurs (et où est branchée la webcam du Lab), on retrouve Tomas Diez, le FabManager. Il circule partout, d’un projet à un autre, de l’administration aux imprimantes 3D. Quand on l’attrape au passage, il nous explique : "Je suis le directeur du FabLab, je suis aussi le coordinateur de la FabAcademy et le manager de FabFoundation en Europe. Pour les étudiants, avoir autant de machines dans l’école ça change forcément la teneur des cours. On prône une pédagogie hands-on, dans le faire, le contact direct avec la matière. Mais pour nous, il ne s’agit pas uniquement d’avoir des machines. Toutes les écoles en ont ! Ce qui nous importe, c’est leur impact sur les projets eux-mêmes et les relations qu’établissent les étudiants auprès elles. Notre objectif, c’est d’amener les étudiants à savoir apprendre."
Sur le toit de l’école, en plein soleil, un groupe est dans la phase finale d’un projet de construction in situ. Après avoir découpé au laser des triangles de bois, ils les assemblent pour compléter une structure en carton et réaliser "un coin d’ombre pour faire la sieste". L’ensemble a été paramétré sur Processing. Des pièces en ciment sont ajoutées sur les éléments du système. Certains étudiants, les mains blanches, remontent des ateliers les dernières pièces à poser.
Dans les étages de l’école, nous poussons une porte et découvrons un autre projet. Ici, on fait pousser ce qui ressemble bien à du cannabis... "C’est du chanvre ! C’est la même famille, mais on ne peut pas le fumer", nous rassure un étudiant, malicieux.
"On a étudié la manière dont les plantes se comportent pour en extraire la fibre. Ce projet a plusieurs volets : on a dû d’abord faire une analyse biologique précise des besoins des plantes et de leurs logiques de croissance pour ensuite concevoir les meilleurs dispositifs pour les faire pousser en intérieur. Cette boîte peut par exemple tourner sur elle-même pour modifier le comportement des pousses."
L’étape d’après consiste à récupérer les micro fils qui se tissent autour des racines du chanvre et d’en faire un matériau de construction. Les étudiants ont utilisé le bras robotisé pour moduler leurs formes en concevant une tête d’outil gérant l’enroulement ou la projection des fibres sur leurs maquettes. Les étudiants sont mis en situation de concevoir leurs projets dans un aller-retour permanent entre l’interface de programmation et la réalisation concrète.
Sur le toit de l’école, ils découvrent d’ailleurs l’écart entre le prototype paramétré numériquement et les aléas de la réalisation à l’échelle 1 du volume, qui tient par un porte-à-faux aventureux. "Le FabLab est comme une école expérimentale pour nous", résume Tomas Diez.
Le mercredi, c’est FabAcademy
Les cours de la FabAcademy ont lieu par visioconférence et sont payants (5000€ par an environ). Cela constitue au IAAC une classe à part entière, comptant une douzaine d’étudiants. Les cours sont donnés par Neil Gershenfeld (le fondateur du premier FabLab) depuis le MIT à Boston. Il s’exprime toujours depuis son bureau personnel, de manière plutôt informelle. Il commente des travaux qu’il mène avec les étudiants. Avant le démarrage de la session de cours, les questions sont ouvertes et chacun (depuis la Norvège, la Hollande, le Japon ou encore le Pérou) est invité à s’approcher de sa webcam pour présenter les avancées de ses travaux.
Les interventions sont parfois hachées par les aléas de la connexion :
Too bad Mathew, we can see you but we can’t hear you right now, your connexion must be
very poor.
Les cours se déroulent de manière assez classique. Neil Gershenfeld énonce les règles du jeu de la séance du jour ainsi que les objectifs de la suivante. Paul et Andres, deux étudiants, expliquent : "On avance par étapes. D’abord, on a mis le nez dans le code, sur Processing, pour comprendre comment fonctionnait la programmation. Ensuite, on a dû réaliser nous-mêmes nos cartes électroniques". Sur leurs tables, des petites cartes en cuivre de tailles différentes et associées avec différents composants sont éparpillées.
Surprise, les étudiants de la FabAcademy n’utilisent pas Arduino !
"Neil Gershenfeld nous force à ne pas utiliser Arduino, pour qu’on réalise tout entièrement nous-mêmes." Il leur a donc d’abord fallu couper les plaquettes, dessiner les lignes des circuits et comprendre la logique des cartes. Chaque semaine, les étudiants ont des exercices à faire et postent leurs résultats en ligne. Ils ont d’ailleurs tous un blog pour le suivi de leurs projets. "Cette fois-ci, on devait inclure dans notre système un capteur et commencer à imaginer ce que les données captées pourraient provoquer comme résultat." L’un d’eux montre, sur son écran, ce qu’il a obtenu : d’un côté des lignes de codes et de l’autre une petite interface sur fond noir où une image de mongolfière monte et descend lentement. "Ce n’est que le début, mais j’ai réussi à connecter des capteurs de température à une petite interface que j’ai bricolée. Si je souffle de l’air chaud sur le capteur, la mongolfière monte."
Il y a douze séances pour la FabAcademy, ils en sont aujourd’hui à la huitième. Andrés explique : "Pour moi ça a été très difficile. Je n’avais jamais touché à une ligne de code avant, j’ai dû tout apprendre, de A à Z. Neil va parfois très vite et quand la connexion Internet est mauvaise, si tu loupes une étape tu es rapidement perdu. Les cours en webcam demandent selon moi encore plus de concentration. Heureusement qu’on est plusieurs autour de la table. Ce qui est assez génial aussi, c’est qu’on est en relation avec des élèves du monde entier : on s’échange des mails, on s’entraide sur des points très techniques sans passer directement par Neil." Tomas Diez explique : "Le principe de la FabAcademy remet totalement en question la structure classique de l’université où un professeur a le pouvoir et administre son savoir. Ici, c’est horizontal : un étudiant peut finir par en savoir plus sur un sujet que celui qui organise les cours. Cela arrive même très souvent".
Tomas va ici dans le sens des nombreuses critiques qui circulent dans les FabLabs et autres hackerspaces et qui se positionnent contre l’éducation “classique”, jugée trop autoritaire, dirigée par le haut, pas assez axée vers la Do-Ocracy.
FabLab ouvert ne veut pas dire FabLab gratuit
Autour de la fraiseuse numérique, nous rencontrons Xavier et Carma, un couple d’architectes qui viennent au FabLab pour la première fois. Le FabLab a un volet "Pro", et loue ses machines à des professionnels extérieurs à l’école : « C’est un ami qui nous a parlé des FabLabs, on ne connaissait pas du tout. Il nous a dit “vous allez voir, c’est ça le futur de la fabrication, c’est là qu’il faut aller maintenant. Si vous ne touchez pas à ça maintenant vous serez vite dépassés. »
Comme de nombreuses personnes qui viennent visiter les FabLabs, Xavier et Carma sont très influencés par l’idée – très répandue – selon laquelle, dans ces nouveaux ateliers de fabrication, serait en germe la nouvelle révolution industrielle, dont l’imprimante 3D serait le symbole. Ils sont venus aujourd’hui pour faire des tests sur la découpeuse laser. Une heure de machine équivaut à peu près à 60€, mais cela dépend de la complexité du fichier et du parcours d’outil.
Ils ont rendez-vous avec Anastasia, la coordinatrice du FabLab. Elle leur fait la démonstration des limites et options de la machine. Sa manipulation est strictement réservée aux responsables du Lab : "Nos machines sont très perfectionnées, ça nous prendrait du temps d’expliquer à chacun en détail comment fonctionnent leurs commandes". Une distinction très claire est donc faite entre les étudiants qui viennent pour faire eux-mêmes, apprendre à maîtriser des techniques et apprivoiser les machines et ceux qui viennent ici simplement pour faire réaliser des pièces.
Carma et Xavier ont amené des petits échantillons pour tester les résultats en découpe et en gravure. Ils sont émerveillés : "Comprendre comment fonctionne la machine détermine totalement la manière avec laquelle on va dessiner et concevoir nos objets."
Du FabLab à la FabCity
La formation d’urbaniste de Tomas Diez l’aide à voir plus loin que le FabLab du IAAC. « Notre idée, depuis le départ, n’est pas de centraliser un FabLab pour une ville, mais d’imaginer plusieurs FabLabs implantés dans différents quartiers. Nous avons déjà des pistes pour en implanter à Ciutat Meridiana et à Les Corts, deux quartiers qui ont des populations et des enjeux bien distincts. » Le FabLab IAAC, dans cette perspective, vient d’ouvrir très récemment une annexe à Valldaura sous la forme d’un FabLab autosuffisant situé dans les hauteurs de Barcelone, un peu à l’écart de la ville. On y organisera bientôt des workshops. C’est un lieu qui a trois facettes :
« C’est un Green FabLab, un Food Lab et un Energy Lab. Nous voulons fonctionner en cycle clos de A à Z et faire de ce lieu une plate-forme de sensibilisation et de développement de certaines techniques de production indépendantes, en lien notamment à la mise en place d’un Internet des énergies tel que le conçoit Jeremy Rifkin. Certains dispositifs élaborés à Valldaura pourraient avoir un impact sur les pratiques urbaines des citoyens de type "Smart City" : de petits systèmes de captation et d’analyse de datas sur la pollution, les réseaux d’ondes, le bruit...
Notre objectif est d’aller bien au-delà du FabLab où on s’amuse avec les nouvelles technologies et de s’impliquer réellement dans l’avenir de notre ville. » Le FabLab de Barcelone semble ainsi s’inscrire définitivement contre la sacro sainte “bidouille” familiale que défendent bon nombre de hobbyistes qui hantent certains FabLabs.