Créé par deux jeunes designers (Marie Douel et Amandine David), Hors Pistes a pour vocation de réunir artisans et designers à travers le monde. Tous les deux ans, des workshops permettent à des designers européens de découvrir des techniques artisanales étrangères et à des artisans d’ouvrir leur champ d’application.
Ces ateliers ont été pensés comme des moments de recherche et d’expérimentation entre deux métiers, avec pour finalité la réalisation de prototypes.
La première édition a eu lieu du 1er septembre au 15 octobre 2013 à Ouagadougou : 45 jours de collaboration entre designers et artisans franco-suisses et burkinabés. Pour Strabic, les designers du Studio Monsieur (Manon Leblanc et Romain Diroux) reviennent sur leur participation à cette chaleureuse aventure.
Strabic : Comment s’est déroulée la prise de contact avec les artisans burkinabés ? Vers qui vous êtes-vous tournés et pourquoi ?
Studio Monsieur : La rencontre a été assez spontanée. Nous étions face à des gens ouverts, prêts à se lancer dans de nouvelles expériences. Lorsque certains designers leur demandaient s’ils pouvaient par exemple intégrer du pneu dans leurs métiers à tisser, ils étaient toujours partants et les aidaient à trouver des solutions pour que cela fonctionne. C’était donc très stimulant. Il faut d’ailleurs saluer le travail de recherche des artisans fait en amont par Amandine et Marie, qui a ainsi permis la réussite de cet échange. Quant à nous, nous nous sommes principalement tournés vers la fonte de bronze et la fonte d’aluminium.
Ce sont des techniques difficilement accessibles en France.
Mais aussi parce qu’il y a quelque chose de réellement magique et fascinant dans la manière avec laquelle elles sont mises en œuvre au Burkina Faso : simplement avec du sable, de l’argile, du feu. Ça nous a tout de suite inspiré.
Quelle est la spécificité de leur savoir-faire ?
Les Burkinabés ont un artisanat bien à eux. Il faut y distinguer deux types de pratiques. D’une part, un artisanat « d’art », comme celui de la fonte de bronze, qui est un artisanat reconnu et pas seulement au Burkina Faso. L’artisan cherche sans cesse à améliorer sa technique, à trouver de nouveaux procédés et à se distinguer de ses concurrents. Là, on peut parler d’un véritable travail d’auteur. D’autre part, un artisanat du « quotidien », comme la fonte d’aluminium qui, bien que nécessitant un réel savoir-faire, a pour but premier de pallier les manques de l’industrie. Il concerne généralement la fabrication de marmites, la réparation de poignées de paires de ciseaux, de manches de couteaux ou le remplacement de pièces en plastique cassées. Au Burkina Faso, les produits industriels sont souvent de très mauvaise qualité.
Plastique qui casse, acier médiocre… le pire de l’industrie.
Le point commun de ces deux approches étant peut-être la capacité de mettre en œuvre, avec très peu de moyens, des techniques complexes et d’imaginer, face à d’éventuels problèmes de fabrication, des solutions nouvelles et ingénieuses.
Comment avez-vous développé vos projets ?
On savait que l’on n’obtiendrait pas la précision d’une montre suisse – ce malgré la dextérité et les savoir-faire des artisans. Ce fut d’ailleurs très difficile pour nos amis helvètes ! En revanche, cela permet d’imaginer et d’essayer des procédés de fabrication nouveaux. Nous avons donc dessiné des objets où ces irrégularités font sens et imaginé des projets où les imprécisions dues aux moyens de mise en œuvre font partie de l’objet. Nous avons autant réfléchi au dessin des objets qu’à leur procédé de fabrication et ce avec le concours des artisans.
Pour la conception des corbeilles Zaworé par exemple, nous nous sommes inspirés des motifs très géométriques des portails de Ouagadougou, que nous avons dessinés directement à la cire sur des moules en terre, comme un pâtissier avec une poche à douille. Nous avons inversé le processus traditionnel de la technique de la cire perdue. Le trait spontané donne l’impression d’un véritable croquis en volume lorsqu’il est coulé en bronze. Le dessin, réalisé très librement, intègre une part d’approximation qui met en valeur le travail manuel et affirme le caractère unique de chaque corbeille.
Pour les tables Hors-Série, nous nous sommes inspirés du petit banc en bois présent dans toutes les cours de Ouagadougou. C’est un objet du quotidien qui fait écho à la manière avec laquelle on emploie la fonte d’aluminium au Burkina Faso. Là encore, nous avons joué avec le procédé de moulage traditionnel. Après avoir dessiné des gabarits en bois pour la réalisation du moule, nous avons imaginé un protocole où les différents éléments de la table sont enfoncés dans le sable afin de créer un moule unique. Pour chaque table, l’orientation des pieds est différente.
45 jours, c’était court ?
C’était peut être la durée idéale pour ce genre d’exercice. Suffisamment long pour expérimenter, essayer, rater, recommencer et aboutir à un objet fini. Mais aussi suffisamment court pour garder la fraîcheur et l’efficacité d’une création faite dans le cadre d’un workshop.
Échangiez-vous également avec les autres designers invités ? Comment se passaient les moments de vie en communauté ?
Vivre à douze pendant un mois et demi dans la même maison, ce n’est pas forcément évident tous les jours. Mais ça c’est très bien passé. Nous étions une sorte de famille, agrandie régulièrement par nos amis du quartier qui venaient partager nos grandes tablées. Ces moments de vie en communauté nous donnaient aussi l’occasion de partager nos galères, nos réussites, nos anecdotes du jour. Nous échangions quotidiennement sur l’avancée des projets de chacun et c’est aussi ce qui a probablement permis de tous les faire aboutir !
Quand pourrons-nous les voir exposés ?
Très prochainement à Milan, à la Fabbrica del Vapore pendant le Salon du Meuble qui se tient du 8 au 13 avril 2014. Puis au Grand Hornu du 25 mai au 24 août prochains.