Léo Marius
Open Reflex

Propos recueillis par Camille Bosqué

Alors que Lomography lance son Konstruktor, appareil photo à monter soi-même, Léo Marius, un designer fraîchement diplômé, va plus loin en publiant sur Internet les plans d’un appareil photo à imprimer et à construire soi-même. Strabic ouvre la boîte noire : zoom sur l’Open Reflex, un projet qui marque un possible retour aux commandes de l’usager-photographe.

Strabic : Léo Marius, tu es le premier à avoir conçu un appareil photo open source. Quel est ton parcours ?

Léo Marius : Je suis un jeune designer formé à l’ESADSE de Saint-Étienne, passionné par les nouvelles technologies et l’impact qu’elles peuvent avoir sur notre quotidien. Je suis libriste dans l’âme et suis président de l’association étudiante Le_Garage, qui promeut des pratiques libristes dans les domaines de l’art et du design.

Te souviens-tu de la première fois que tu as vu une imprimante 3D ?

La véritable révélation s’est faite à l’école en 2008. J’avais un prof qui nous a beaucoup parlé des fameuses RepRap et qui voulait qu’on se penche dessus. Après pas mal de recherches, on s’est finalement décidé à investir dans une MakerBot de première génération. À l’époque, c’était encore une petite start-up new yorkaise qui œuvrait pour le libre ! Ils vendaient les premiers kits complets et (presque) simples à monter, dérivés de RepRap.

Avec cette MakerBot, qu’avez-vous commencé par imprimer ?

Le premier objet imprimé a été le célèbre décapsuleur-sifflet. Une occasion aussi pour boire quelques bières ! Je me souviens m’être réjouit d’avoir la possibilité de réaliser des objets physiques sans avoir à passer par la case atelier. On a assez vite embrayé, avec l’association Le_Garage, sur le projet Fonderie Mobile qui consistait à mettre en place une chaîne de production complète d’objets métalliques avec un scanner 3D, un extrudeur modifié pour la cire et un dispositif de fonderie à cire perdue. Ce projet n’a jamais été terminé, mais on avait notre scanner et un début d’extrudeur à cire expérimental. C’était incroyable de pouvoir mettre ses mains dans la machine et de la tordre pour en faire ce qu’on voulait. Finalement, nous non plus n’avons jamais rien sorti d’intéressant avec notre première RepRap au-delà des sifflets décapsuleurs et autres porte-clés.

Peux-tu citer un objet en impression 3D t’ayant vraiment impressionné ou du moins inspiré ?

Pas facile comme question ! Je suis plus souvent affligé qu’impressionné, je dois avouer. Je trouve qu’on se lasse vite des Yoda et des coques pour iPhone. Je retiendrais cet outil rotatif fonctionnant avec un aspirateur. Il utilise une source d’énergie à laquelle on n’aurait jamais pensé, pour un résultat à la hauteur de beaucoup de perceuses actuelles.
Un autre projet m’a beaucoup plu : l’AP Lens de Yuki Suzuki qui est une optique d’appareil photo entièrement fabriquée à la main, le corps en impression 3D et les lentilles en fraisage numérique. C’est un excellent complément à mon boîtier ! Il a d’ailleurs accepté de m’en prêter un exemplaire et j’ai pu faire quelques tests. J’ai encore certains problèmes de mise au point mais les résultats sont encourageants. Ces deux exemples sont partagés, sous licences libres.

Qui sont tes modèles ?

Bon allez, je me lance ! On va rester classique : Chris Anderson, même si c’est très américain. Le travail qu’il a effectué avec la communauté DIY Drones et le modèle économique qu’il a mis en place est assez remarquable. Dans la même lignée, je pourrais citer Bre Pettis de MakerBot qui a lancé, avec Zach Hoeken, une entreprise très lucrative sur une base d’open source, tout ça en bricolant au départ dans un hackerspace. Ce qui est arrivé après avec la fermeture progressive des sources est une autre histoire. Ils auront tout de même ouvert la voie à beaucoup de monde. Sinon, mes modèles sont principalement tous ces inconnus qui partagent spontanément des projets incroyables sur internet.


Comment as-tu eu l’idée de créer cet appareil photo ?

Le projet a commencé avec un concours organisé par le magazine Make et MakerBot en 2010. Le sujet était “Réalisez quelque chose que vous souhaiteriez voir imprimé en 3D”. J’ai rapidement pensé à un boîtier à sténopé, sûrement parce que c’était quelque chose que je souhaitais fabriquer pour moi-même depuis un moment et que je ne m’étais jamais décidé à le faire. Le projet initial s’est avéré impossible à imprimer dans les temps. Un an après mes premiers essais, j’ai repris tous les plans et j’ai enfin obtenu un boîtier à sténopé imprimable sur notre vieille imprimante capricieuse. Et ce boîtier fonctionnait.
Avec les progrès réalisés par les imprimantes 3D en seulement trois ans, le Reflex a été plus simple à réaliser que le boîtier à sténopé. Avant, je passais les trois quarts de mon temps à m’adapter à l’imprimante et à ses fantaisies.

La construction de cet appareil comporte combien d’étapes ?

Il suffit d’aller dans un FabLab, d’imprimer toutes les pièces et de découper les autres à la découpeuse laser. Il faut aussi un peu de visserie et un mini skateboard pour récupérer les roues ! Tout ça coûte une quinzaine d’euros. Ensuite, l’assemblage est assez simple : on suit le guide que j’ai mis en ligne sur internet.


Dans le mouvement hacker/maker, on entend souvent qu’il faut “ouvrir la boîte noire”...

Je suis assez d’accord avec un des “commandements” de la Makers’ Bill of rights :

if you can’t open it, you don’t own it.

J’ai toujours aimé comprendre comment les objets fonctionnent. Enfant, je faisais souvent peur à ma mère : mon premier radio-cassette a par exemple été consciencieusement démonté seulement quelques jours après son acquisition.
Une dépendance se créé vis-à-vis des grandes entreprises qui brident minutieusement toutes leurs technologies. Aujourd’hui, il est de plus en plus dur de trouver une voiture neuve dont on peut faire soi-même la vidange. Et quand on a un problème avec son iPhone, on n’a pas d’autre choix que d’aller voir Apple. Redonnons les clés de nos objets à ceux qui les utilisent, c’est ce que le mouvement promeut et ce que je soutiens ! L’imprimante 3D est un outil pour ouvrir la boîte noire et l’une des premières boîtes noire que l’on connaît est bien l’appareil photo !

Est-ce que l’appareil photo n’en reste pas moins un prétexte pour faire enfin quelque chose d’utile avec une imprimante 3D ?

Peut-être. Ce qui m’intéressait particulièrement avec l’impression 3D, c’était la reproductibilité de l’objet par la machine. Je trouvais les guides de sténopés disponibles en ligne assez limités. Mon but était d’apporter quelque chose que la communauté pourrait comprendre et se réapproprier. J’ai connu beaucoup d’échecs mais maintenant le Reflex peut être reproduit sans effort… et il fonctionne.

C’est un projet très technique. Comment as-tu pu résoudre tous les aspects mécaniques de ton objet ? Quelles ont été les plus grosses difficultés ?

J’ai travaillé seul la plupart du temps, de manière assez empirique : je teste, je recommence. Les coûts et les temps de l’impression 3D plastique permettent de réaliser beaucoup d’essais sans trop de contraintes.
La partie la plus problématique a été l’obturateur. Il existe de nombreux types d’obturateurs mais tous font appel à des systèmes de mécanique fine qu’il m’était impossible de reproduire. Après avoir cherché longtemps sans succès du côté des moteurs en tous genres, j’ai improvisé un système de roue dentée pour actionner mon obturateur qui s’est avéré fonctionner assez bien. Sans cette partie, l’appareil n’aurait pas pu exister.
Le reste se résume à des assemblages assez simples qui respectent les règles premières de la photographie : merci Wikicamera et Wikipedia !

Ton projet est en open source et tu t’apprêtes à lancer ton modèle en crowdfunding à la rentrée... Quel est ton rôle et ton modèle économique dans cette affaire ?

Je n’ai pas créé ce projet dans un but économique. Je le considère plutôt comme un test. Le crowdfunding sera réparti en deux branches : une pour produire des boîtiers et la seconde pour faire de l’accompagnement, organiser des ateliers d’initiation à la photographie et à l’impression 3D en lien avec l’appareil.
La première partie des fonds levés permettra de mettre en place un groupe d’utilisateurs suffisamment important pour pouvoir développer une communauté d’utilisateurs. Une fois cette communauté en place, le but est de profiter de ses expériences et d’améliorer ainsi le boîtier en tenant compte des retours.
Et si les utilisateurs modifient eux-mêmes leurs boîtiers, c’est encore mieux ! Je prends comme exemple la communauté DIY Drones qui fonctionne très bien. La communauté est passionnée et dynamique et améliore sans cesse les outils utilisés. Ces outils sont repris et produits à une plus grande échelle par une entreprise dédiée tout en respectant des licences libres qui permettent à des développeurs externes d’intégrer et d’améliorer le projet. C’est gagnant-gagnant, si j’ose dire.

En tant que designer, l’open source te paraît l’unique voie possible ?

Ce n’est pas une question simple. Le libre est une bonne façon de se faire connaître, par contre ça n’assure pas ton loyer tous les mois. Pour les développeurs de logiciels libres, cela fonctionne assez bien car, en parallèle, ils sont souvent employés par des entreprises qui les paient.

La véritable valeur du libre ne se fait pas sur le produit mais sur le savoir et l’accompagnement

Là où j’espère véritablement dégager des bénéfices, c’est en proposant des journées de découverte et de formation autour de l’impression 3D et de la photographie argentique. Je n’aurais jamais réussi à vendre ça sans l’exposition que j’ai eue grâce à l’Open Reflex.

Open Reflex

Ce projet va sûrement évoluer sans toi par la suite…

L’idée que quelqu’un se rapproprie complètement le projet ne m’inquiète pas, ma licence force la redistribution en open source des dérivés. Et j’ai des possibilités de recours si ce n’est pas respecté. Dans la licence CC BY-SA : la close “SA” veut dire “Share Alike” : “If you alter, transform, or build upon this work, you may distribute the resulting work only under the same or similar license to this one.”

Toute personne qui se réapproprie le projet est donc contrainte de le publier avec une licence similaire. Si ce n’est pas respecté, alors je peux utiliser les recours classiques. Et si quelqu’un lance une production “concurrente”, je pense que les utilisateurs sauront reconnaître qui est le plus légitime. Enfin, si quelqu’un propose mieux dans les règles alors tant pis... ou tant mieux ?

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texte : creative commons - images : © Léo Marius

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