On a testé pour vous... camper à la Grande-Motte

Écrit par Florent Chiappero pour le collectif Etc, illustré par Vincent Godeau.

Mesdames et messieurs les architectes, urbanistes, ingénieurs et experts en tout genre de la fabrique de la ville, afin de vous permettre de revoir vos classiques, le collectif Etc a passé ses vacances au camping de la Grande-Motte !

Pour beaucoup de vos concitoyens, le rituel est maintenant bien rodé. Descendre à la cave et en ressortir, planquée sous une vieille bâche, la panoplie indispensable pour le mois à venir : tente, tapis de sol et duvets, vaisselle en plastique et bonbonne de gaz, table-valise du même bleu azur que la glacière, bateau et bouée gonflables, dont on ne se souvient jamais si c’est l’un ou l’autre qui est crevé…

Comme vous n’avez pas encore vos habitudes dans un camping particulier, nous vous conseillons d’effectuer une rapide recherche sur Internet. Notre suggestion : regardez du côté de la Grande-Motte, non loin de Montpellier. Là-bas, le choix est varié, et la qualité de mise. Et vous pourrez toujours expliquer à la rentrée à vos collègues de l’agence que, si cette année vous n’êtes pas partis à Bali ou au Japon, c’est parce que vous vous êtes pris d’une passion soudaine pour l’architecture heureuse de Balladur.

La réservation effectuée, les valises presque bouclées, les gamins déchaînés, vous chargez la Renault Nevada familiale, dont vous peinez à fermer le coffre, le deuxième parasol étant peut-être de trop. Peu d’hésitations quant au choix de votre moyen de transport. Oui, vous défendez ardemment l’éco-mobilité et vous dessinez des voies de circulation douces à longueur de projets, mais entre les enfants, les bagages hors gabarit et le prix des billets de train pour quatre personnes en période estivale, la voiture reste le meilleur des choix ! Alors, en route et sans scrupule, direction le Sud de la France.

Ralentissements annoncés au kilomètre 26

Confortablement installés, les enfants enfin endormis à l’arrière, vous découvrez le dernier tube de l’été : un mélange de ska et de samba brésilienne. « Ralentissements annoncés au kilomètre 26. Et pour au moins les trois prochaines heures. » Manque de bol ou efficacité de Bison futé, c’est précisément là que vous vous trouvez. Vous remettez la climatisation un peu plus fort, faute de ventilation naturelle efficace, et vous pestez contre ces congénères qui ont eu la même idée que vous. On croise des regards exaspérés par les encombrements, et on en profite pour redécouvrir l’importance des rythmes dans les questions de mobilité. Alors, on ralentit, on accélère, on s’arrête, on repart. Et finalement, on ouvre les fenêtres, on interpelle les autres conducteurs, on s’échange des sourires et des blagues, on se met à jour sur les dernières bonnes adresses de la côte, et on se prévoit quelques excursions en canoë, en réenchantant le temps du parcours.

Après ces quelques heures de circulation en accordéon en pleine canicule et requinqué par la première boîte de maïs des vacances dévorée sur une aire de repos, vous arrivez enfin au camping. Situé en sortie de ville, faute d’en être une entrée, vous vous retrouvez en fait face à une double barrière en métal portant l’inscription « interdit aux non-résidents ». Il vous faut donc commencer par vous présenter, vous et votre petite famille, dans la guitoune de l’entrée à l’architecture douteuse.

Carte d’identité, papiers du véhicule, distribution de bracelets pour les allées et venues. On est en territoire privé, où toutes les commodités vous sont offertes : un café-bar-restaurant-discothèque, une épicerie, un cybercafé… Tout est fait pour qu’on ne sorte pas. On vous évite même la plage, de l’autre côté de la dune, en vous rappelant que la piscine est ouverte dès 8 heures le matin, avec un premier cours de gymnastique aquatique offert. Vous avez mis le macaron « Palavas Beach » sur le pare-brise de votre véhicule ?

Ça y est, vous voilà membre d’une gated community du bord de mer.

Un emplacement vous a été attribué. Ce sera le G04. Votre nouvelle adresse pour les quatre semaines à venir. Vous pouvez d’ailleurs faire suivre votre courrier, dont la distribution sera assurée tous les matins par un agent du camping.

La structure du plan suit les principes de la ville moderne. Une grille orthogonale déployée le long de la plage, les voies parallèles à celle-ci nommées suivant un ordre alphabétique. Il va sans dire que les locataires des parcelles A, avec vue sur la mer, sont plus privilégiés que ceux des parcelles G… Perpendiculairement, des cheminements piétons permettent d’accéder à la plage et aux différents équipements, et quadrillent le territoire afin de desservir au mieux chacune des parcelles. Leur numérotation, largement inspirée du modèle new-yorkais, va d’un ordre croissant d’est en ouest, rendant l’orientation évidente pour tous, et notamment pour le service d’ordre du camping, habitué l’hiver à la rigueur du métro.

À première vue, vous vous apercevez que la densité bâtie y est plutôt élevée, de même que les coefficients d’occupation du sol semblent particulièrement bien optimisés. Vous vous dites tout de suite que vous avez bien fait de privilégier un éco-camping, plutôt qu’un quelconque lieu de villégiature.

Ainsi, vous vous retrouvez sur une parcelle, votre parcelle, d’une dizaine de mètres carrés. En bon expert, vous jugez des vues, de l’orientation, du sens du vent et de l’ombre portée du pin parasol et vous décidez, en vous épargnant toute concertation avec votre conjoint qui de toute manière ne comprend pas grand chose à l’architecture, de planter votre tente « quatre places avec auvent » en plein milieu du terrain, rendant la distance qui vous sépare des voisins la plus optimale possible. Vous déballez ensuite la table et la cuisine, gonflez les tapis de sol, et vous vous rappelez, sourire en coin, votre premier cours de théorie de l’architecture, celui pendant lequel on vous expliqua que Le Corbusier fit preuve de génie lorsqu’il construisit son cabanon en épurant jusqu’à son paroxysme la notion d’habiter.

Soucieux d’être à jour dans vos raccordements, vous cherchez le boîtier électrique, et le trouvez à quelques mètres de votre parcelle. Et vous vous apercevez alors que, pour une meilleure maîtrise de l’énergie, une seule et unique prise vous est dévolue, les autres étant la propriété de vos nouveaux voisins. C’est d’ailleurs en s’inspirant des dernières directives européennes en matière d’aménagement durable que la décision a été prise par les responsables locaux de mutualiser au maximum l’ensemble des services. Ainsi, les éviers pour la vaisselle seront dorénavant partagés avec ceux pour la lessive. Point de machines électriques, l’énergie a un coût ! Et contre tout gaspillage inutile, les douches, d’un même bloc, fonctionneront au jeton. Quant aux toilettes, elles seront turques.

Les activités économiques ont d’ailleurs suivi la même logique. La mutabilité des espaces étant aujourd’hui de mise, l’épicerie accueillera le boucher le matin, le club de fitness l’après-midi, et se transformera en discothèque toute la nuit, à la mode japonaise.

De plus, le camping, se voulant être un véritable laboratoire d’innovation en matière d’éco-mobilité, a revu l’ensemble de son service de transport. La circulation automobile y est proscrite de 19 heures à 8 heures, afin d’assurer la tranquillité du voisinage. Une navette, aux couleurs scintillantes de l’établissement, assure deux fois par jours le trajet entre le camping et le marché aux bracelets du centre urbain. Des vélos sont mis à disposition, moyennant une caution, pour effectuer des promenades dans les environs et des bornes de pédalos sont en cours d’installation le long de la côte. Enfin, des canoës et des planches à voile sont là pour les plus téméraires qui souhaitent jouer à fond la carte de la multi-modalité, dont le hub principal est évidemment l’épicerie-boucherie-club-de-fitness-discothèque.

Petit hic quand même, à cette idylle urbanistique : la mixité sociale. Il est clair que, malgré l’insouciance apparente de l’été, le chant des cigales et des glaçons cliquetant dans les verres, des tensions existent. Les locataires – rarement propriétaires – des bungalows, installés sur la partie la mieux exposée du camping, observent d’un mauvais œil les tentes igloos se rapprocher d’eux. Quant aux caravaniers, ils jalousent amèrement les bungalowiers, dont les espaces verts sont mieux entretenus que les leurs, et s’effraient de l’arrivée massive d’étrangers d’Europe du Nord. Ces derniers, souvent grands blonds en short à fleurs, ont la fâcheuse tendance de zoner en bande au pied des tentes et d’y jouer de la guitare toute la nuit…

un urbanisme maîtrisé

Mais il faut reconnaître que mis à part ces aléas, la convivialité reste tout de même de mise. Les voisins se connaissent, échangent, s’invitent les uns chez les autres presque quotidiennement pour boire un coup ou partager une boîte de maquereaux à la moutarde, et se rendent volontiers service. Qui n’a jamais dépanné du liquide vaisselle au locataire d’à côté ?

Renouant avec les grands principes d’un urbanisme maîtrisé, au service de la société et privilégiant le lien entre les individus, tout en défendant une démarche écologiquement responsable, réduisant au maximum l’empreinte de l’homme sur la nature, le camping n’est-il pas l’avenir de nos villes ? Mesdames et messieurs les architectes, urbanistes, ingénieurs et experts en tout genre de la fabrique de la ville, n’êtes-vous pas heureux, ici ?

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Texte initialement publié sur le site du collectif Etc.

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POUR ALLER PLUS LOIN :

Notre brève à propos du Détour de France d’Etc

Notre précédent "on a testé pour vous..."

texte : creative commons - illustration : Vincent Godeau

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