Tout est paysage

Critique écrite par Irène Laplanche en partenariat avec Nonfiction.fr

L’engouement récent pour le paysage, en France et en Europe, pourrait être taxé de mode. Mais l’expansion constante des métiers du paysage, les préoccupations écologiques et environnementales qui ont marqué la Charte d’Athènes, l’apparition du « pourcent paysage », un relatif retour à Gaïa la Terre… font pencher la balance du côté du phénomène de société.Tout se passe comme si l’on avait réalisé la valeur et le prix du paysage, qu’on aurait trop méjugé au cours du siècle dernier. Dans ce contexte, les essais paysagistes ont bonne presse, et l’ouvrage de Michel Collot, La Pensée-paysage, vient ajouter sa pierre à l’édifice.

Le chercheur et essayiste explique ce besoin sociétal de renouer avec l’expérience sensible et l’environnement par ce concept qu’il interroge et renseigne en trois chapitres. Au programme, philosophie, arts et littérature nous plongent dans un univers où le paysage n’est plus physique mais théorique, plus tant sensible que cognitif.

Traitées avec la même envie de démontrer le bien-fondé d’un concept, la partie philosophique définit, quand la partie art fait exemple et la partie littérature prouve la valeur de l’idée. Autant dire que le défi que s’est lancé l’auteur est de taille : en donnant égale valeur à trois disciplines tant différentes qu’exigeantes, il a multiplié par trois la possibilité de tomber dans le fastidieux, la circonvolution et surtout, dans un nébuleux brouillon. D’ailleurs, il s’excuse presque d’avoir choisi pareille construction pour son livre, en précisant qu’il n’est pas autant spécialiste de chacune de ces matières. On le croit.

Où tout vient à point à qui sait attendre

La définition du concept philosophique, étayée au fil des pages, semble pouvoir être résumée à ce que la pensée-paysage équivaut au « point de vue d’un individu [qui] confère au monde un sens qui n’est plus subordonné à une croyance collective, mais le produit d’une expérience individuelle, sensible et susceptible d’une élaboration esthétique singulière ».

C’est-à-dire que l’expérience du paysage est unique, individuelle et relative à une perception du monde à un instant T.

Le style ampoulé que l’auteur emprunte dans cette première partie rend la lecture extrêmement laborieuse. Une accumulation de concepts obscurs, compliqués et peu pertinents noient d’étonnantes et judicieuses recommandations pour l’aménagement de nos régions. On en viendrait ainsi à oublier des critiques acerbes mais intéressantes comme la muséification des paysages, pratique qui laisse exister trop de sites massacrés au côté de trop peu de sites préservés.

La construction même de cette partie, faite de tiroirs tous ouverts et jamais fermés, en effraierait plus d’un. On est tenté de poser le livre, de le fermer une bonne fois pour toutes et d’oublier les maux de tête qu’il a pu nous causer. On aurait tort. Car Michel Collot n’est pas philosophe, il est professeur de littérature et la suite de La Pensée-paysage réjouira plus d’un amateur de belles lettres.

Il fallait sans doute en passer par là pour bien saisir les propos tenus dans « Le nouvel art du paysage » et les « Paysages littéraires », qui complètent cette démonstration. Ce chapitre nous aura somme toute permis de ne pas assimiler les suivants à un catalogue d’exemples plus ou moins discutables sur la place prépondérante que le paysage a pris dans l’art ces dernières années, et son importance non moins relative chez certains auteurs reconnus.

On n’en déplorera pas moins la lecture fastidieuse imposée par ce chapitre, et sa redondance.

Le paysage au tournant du siècle

L’intérêt pour le paysage s’est trouvé réduit à peau de chagrin au début du XXe siècle, dépassé par de nouvelles formes d’art tournant le dos aux modes de représentation traditionnels qui lui faisaient la part belle.

L’art contemporain semble retrouver cet engouement, et si le paysage n’y est plus représenté, il y brille par sa présence.

L’auteur propose de montrer cette dimension du paysage au moyen d’une série d’exemples en présentant les nouveaux modes d’expression modernes : vidéo, photographie, informatique, cinéma, sculpture, etc. À ceci vient s’ajouter une réflexion sur la place du paysagiste dans la fabrication et la présentation du paysage qui est particulièrement intéressante et rend crédit au paysage comme élément physique, qui se voit, se sent, s’expérimente et plus seulement comme concept vaporeux. Ce n’est effectivement pas le seul rôle de l’art que de restituer la beauté du paysage ; ceux qui le jardinent en sont aussi les acteurs.

Les avis divergeront probablement sur le choix des exemples, sur la relative décontextualisation de certains des modes de représentation évoqués, qui paraissent parfois bien éloignés de l’image que l’on se fait du paysage.

Pourtant l’auteur remporte ici son défi, celui de nous montrer l’importance du paysage dans l’art et la représentation, l’importance de ce positionnement face au monde que le paysage (que son existence ?) nous permet d’embrasser.

Le dernier chapitre ne sera que bonheur pour les amateurs d’analyses littéraires. Il est celui qui montre le plus habilement pourquoi la pensée-paysage est singulière. Chacun des livres est l’œuvre d’un seul auteur, sa description du monde bien relative, et pourtant ce sont ces voix individuelles qui rendent possibles le retour de nos sociétés au goût du paysage. Un autre qu’Yves Bonnefoy n’aurait pas écrit « Cinq heures. La neige encore. J’entends des voix À l’avant du monde » [1] ; seul Julien Gracq a su expliquer notre « goût des vastes panoramas », l’invitation d’un grand paysage à « être possédé par la marche. » [2], et expliquer ainsi ce que nous ressentons confusément…

L’analogie entre expérience sensible du paysage et écriture fonctionne à merveille : « Il s’agit de produire un système de signes qui restitue par son agencement interne le paysage d’une expérience, il faut que les lignes de force de ce paysage induisent une syntaxe profonde, un mode de composition et de récit qui défont et refont le monde et le langage usuels. » [3]. Char, Bonnefoy, Du Bouchet, Gracq, Battala, Domerg, toutes ces écritures attestent d’une pensée du paysage, d’une singularité qui font prendre corps à l’ouvrage de Michel Collot.

Par quoi conclure, donc ? Les plus courageux sauront aller au bout de cette fastidieuse première partie, les plus littéraires prendront plaisir à la lecture commentée de six grands auteurs, les autres s’abstiendront et n’en seront pas moins acteurs de la pensée-paysage, car un seul fait subsiste : la Terre tournait avant la parution de cet ouvrage…

Michel Collot, La pensée-paysage, Actes sud, septembre 2011. ISBN : 2330000049. Images : Simon Hantaï, Untited (Suite ’Blancs’), 1973 - Simon-Hantaï, Peinture (Écriture rose), 1958-1959.

[1Yves Bonnefoy, Début et fin de la neige, Mercure de France, 1991.

[2Julien Gracq, En lisant, en écrivant, José Corti, 1980.

[3Maurice Merleau-Ponty, Résumés de cours in Signes, Gallimard, 1960.

texte : creative commons - images : flickr clairity.

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