Villa Kujoyama : la Médicis nippone ?

Propos recueillis par Alexandre Dimos en janvier 2013, pour kokomokka.

Vers une information plus précise sur l’avenir du programme de résidence de la Villa Kujoyama, l’Institut Franco-Japonais du Kansai : le graphiste et éditeur Alexandre Dimos, l’un des derniers (?) pensionnaires de la Villa, s’entretient avec le Conseiller culturel de l’ambassade de France à Tokyo.

La Villa Kujoyama a fermé ses portes pour un an et une rénovation annoncée mais toujours pas financée. Une réouverture est prévue pour 2014 mais aucun programme culturel n’a été publiquement annoncé. Sur le site internet de l’Institut français le doute reste entier : « En 2012, l’Institut Franco-Japonais du Kansaï accueillera dans la Villa les lauréats de la promotion de l’année ; les activités de résidences seront suspendues en 2013, dans la perspective heureuse d’une reprise du Programme en 2014, après une éventuelle rénovation du bâtiment. »

Bertrand Fort, le Conseiller culturel de l’Ambassade de France à Tokyo, a accepté de répondre à quelques questions et donne volontiers des pistes pour comprendre le contexte local et les enjeux – toujours importants – liés au programme de résidence.
Il fournit surtout des éléments plus précis sur le programme envisagé pour la future réouverture.

Alexandre Dimos : Pouvez-vous rappeler dans quel état d’esprit la Villa Kujoyama a été construite et inaugurée en 1992 ? Pouvez-vous aussi rappeler les engagements de l’État français vis-à-vis des partenaires japonais qui soutenaient le programme notamment financièrement ?

Bertrand Fort : En 1927, Paul Claudel avait, grâce aux financements réunis par Katsutaro Inabata au sein de la Société de Rapprochement Intellectuel Franco-Japonais (SRIFJ) constituée un an auparavant, fait élever sur le Mont Kujo l’Institut Franco-Japonais du Kansai (IFJK) – nommé ainsi en hommage
aux industriels de la région ayant contribué à son financement. L’accès au site n’étant pas aisé à l’époque, il fut décidé en 1936 de transférer l’IFJK à proximité du quartier universitaire.

Le bâtiment du Mont Kujo a dû être détruit en 1981 et la SRIFJ envisageait alors de vendre le terrain. Cependant, eu égard au projet évoqué alors en réponse, de créer une « Villa Médicis » à cet emplacement, et grâce aux démarches du directeur de l’Institut de l’époque, la SRIFJ décidait finalement le 11 novembre 1986 de financer le projet bâtimentaire par recours au mécénat local, le gouvernement français s’engageant par ailleurs à en assurer le fonctionnement.

En effet, Katsuo Inabata, petit-fils de Katsutaro Inabata, acceptait de présider le Comité préparatoire à la construction et, fidèle à la tradition familiale, s’engageait à réunir les financements nécessaires auprès des industriels du Kansai. La Villa Kujoyama était inaugurée le 5 novembre 1992 avec une représentation de Susan Buirge et une conférence de Michel Serres, lequel évoquait alors l’exploration, entre deux pays, d’un espace tiers : celui de l’échange et de la rencontre.

Il faut ainsi rappeler, au-delà du caractère obsolète du modèle claudélien de « contenant japonais et contenu français », l’ancienneté des liens qui ont présidé à la naissance du programme de la Villa Kujoyama et la constance de l’engagement des industriels du Kansai dans les projets dédiés au rapprochement franco-japonais – symbolisé par ce lieu conçu comme un espace de rencontre entre les cultures japonaise et française.

Pouvez-vous dire de quelle nature seront les travaux ?

À Paris, l’Institut français est aujourd’hui engagé dans une ambitieuse campagne de collecte de fonds privés destinés à permettre la rénovation du bâtiment en complément des fonds publics. Celle-ci est rendue nécessaire non seulement pour des raisons de sécurité, mais aussi pour tenir compte de la reconfiguration du programme et pour faire baisser les coûts de fonctionnement futurs (économies d’énergie dont le coût augmente très fortement au Japon, particulièrement depuis 2011 et l’arrêt de la quasi-totalité des centrales nucléaires).

Ces travaux devraient donc porter sur l’entretien et la rénovation du bâti :

sécurisation, installation électrique, isolation, nettoyage du site et du béton, ravalement, traitement des fissures et des jointures, harmonisation des couleurs, traitement hydrofuge, nettoyage des fenêtres, pavage.

Ils permettraient ainsi à tout le moins de retrouver un bâtiment en bon état de marche et attrayant où les résidents se sentiraient à nouveau à l’aise pour recevoir
et où il serait possible de mettre en œuvre une programmation originale
au service du projet de la résidence.

La rumeur de fermeture définitive de la Villa Kujoyama et l’arrêt du programme de résidence a couru depuis un peu plus d’un an. Pouvez-vous énoncer les arguments des partisans d’une telle fermeture ? Un tel événement est-il encore possible ?

Les rumeurs sur l’avenir de la Villa Kujoyama, pas toujours bienveillantes, ont couru depuis que le Ministère des Affaires Étrangères (MAE) a souhaité refonder le « concept » de la Villa Kujoyama.

Depuis l’origine de cette réflexion, le MAE a souhaité associer l’ensemble des parties prenantes institutionnelles à la réflexion et au futur fonctionnement de la Villa, comme le Ministère de la culture et de la communication par exemple.

Lors de ces échanges, certaines voix, qui n’ont pas prévalu jusqu’ici, ont mis en avant :

le faible rayonnement de la Villa sur le Japon du fait d’un trop grand repliement de celle-ci sur elle-même et le manque de partenariats entre artistes, créateurs et institutions japonaises.

Bien sûr, si cela a effectivement été le cas il y a plusieurs années, force est de constater qu’une orientation vers plus d’échanges avec la société japonaise en général est à l’œuvre depuis 2011 et s’est encore renforcée récemment. La question centrale est bien sûr de trouver un système de sélection et de fonctionnement qui satisfasse à la fois le nécessaire développement personnel et créatif des résidents et l’indispensable rayonnement de la Villa sur le Japon, mission première du MAE qui finance, seul jusqu’ici, ce programme.

Quelles pourraient en être les conséquences dans les relations de l’Institut français du Japon avec ses partenaires locaux ?

Si le bâtiment n’est pas la propriété de l’État français, nous l’avons utilisé pendant vingt ans et avons des obligations morales vis-à-vis des mécènes japonais qui l’ont construit et mis au service de la relation franco-japonaise. La relation avec les partenaires serait naturellement affectée en cas d’abandon. Il nous faudrait alors redoubler les efforts déployés en vue de développer l’offre culturelle française et les partenariats du réseau culturel français, en particulier dans le Kansai, et proposer des alternatives de résidence « hors les murs » et d’échanges artistiques afin de réaffirmer l’importance de la relation franco-japonaise sur un autre mode d’action.

Pouvez-vous nous dire quelles sont les pistes envisagées pour le programme de réouverture ? S’agira-t-il toujours d’une résidence culturelle ouverte à toutes les démarches de la création et sous quelles formes ?

L’expérience de la coopération culturelle et artistique entre la France et le Japon et l’avènement de l’Institut Français du Japon montrent qu’à l’évidence la Villa doit, pour atteindre son plein potentiel, demeurer au sein du réseau culturel français au Japon. Aussi est-il envisagé qu’elle devienne une antenne de l’Institut Français du Japon indépendante de l’antenne de Kyoto.

Le nouveau programme demeurera une résidence culturelle et artistique ouverte à toutes les démarches créatives, connue afin de permettre à ses résidents d’y (re)formuler et d’y développer un projet.

Au-delà, un consensus existe sur le principe :

• d’une résidence davantage ouverte sur Kyoto et sur le Japon, qui construise et entretienne des partenariats avec les autres résidences d’artistes au Japon ;

• d’une résidence qui travaille en partenariat avec les résidences françaises (voire européennes) et les collectivités territoriales ;

• d’une résidence qui réunisse artistes et artisans d’art, ceux-ci étant en proportion moindre mais dont l’insertion dans la Villa serait propice à une fertilisation croisée des deux secteurs de création, particulièrement pertinente aujourd’hui ;

• d’une résidence qui accueille des artistes et artisans d’art japonais qui pourraient déposer leur projet conjointement avec des Français avant de séjourner ailleurs au Japon et/ou en France ;

• d’une résidence dont la durée des séjours varierait de 1 à 6 mois en fonction des projets des artistes et artisans d’art (avec la possibilité de résidence en deux temps pour tenir compte du rythme de développement des projets au Japon).

texte et images : © Alexandre Dimos

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