À l’occasion de la publication de ses Brèves Histoires du Genre, Strabic rencontre l’auteur et historien expert en ce terrain Ginet Van Fang. Portrait d’un projet.
Depuis son entrée à la Commission Européenne du Genre en 2998, Van Fang a su s’entourer de la crême. Sa mission : un travail méticuleux d’archéologie pour rassembler un panel de documents les plus variés issus d’archives numériques. Une partie de la documentation datant de l’ère du Web 2.0, l’autre de 3.0, une équipe d’experts de l’image numérique a du être dépêchée par l’auteur. L’équipe rassemble notamment les très demandés Fionel Mikkelsen et Omar Laubner, attachés au Musée du Louvre, et respectivement spécialistes des formats .jpeg et .pdf. Leur tâche consiste en la restauration d’une partie des images collectées, dont les formats archaïques ont été remplacés par l’universel .xz au début du XXVe siècle, il y a de cela six siècles.
Van Fang s’adonne à une reconstitution de l’histoire de l’évolution du genre, s’appuyant essentiellement sur une étude des objets dont il retrouve les traces, des évènements sociaux et des textes de loi ponctuant ces mutations et leurs fondements. Il les classe et les associe à des évènements-clé qu’il distingue et auxquels il dédie des chapitres de son projet. De la révolution de l’éducation au genre à l’école aux manifestations des conservateurs, en passant par les inédites expériences d’immersion, Van Fang questionne les tenants et les aboutissements de cette période obscure et jusque là peu étudiée.
« Il faut dire qu’ils en étaient toujours à légaliser le mariage gay ! »
Comme nous le montre l’étude de Van Fang, le début du XXIe siècle se manifeste par un changement marquant, notamment en matière d’éducation.
« Les hommes de cette période vécurent un grand bouleversement face à la question du genre. Il réclamèrent un statut à part entière pour les genres autres que féminin et masculin, qui les amenèrent peu de temps plus tard à l’adoption d’une loi, le 24 octobre 2031, concernant le nouveau programme d’éducation sexuelle à l’école. Cet événement peut d’ailleurs être considéré comme un fait déclencheur dans l’histoire de l’humanité. »
Grâce à la redécouverte récente de certaines archives inédites de cette époque, et au long travail de reconstitution et de restauration de l’équipe de restaurateurs numériques du Musée du Louvre, l’auteur nous donne accès à l’ensemble des systèmes, pour nous archaïques, qui furent mis au service de cette nouvelle forme d’éducation. On y découvre "l’hologramme", permettant d’imiter la présence humaine par simple projection lumineuse. Mais également une petite annonce réalisée sur papier, qui servait à l’époque de moyen d’échange d’informations entre les hommes. Celle-ci, datée de 2069, proposait des cours d’éro-coatching à domicile. Pour finir, il décrypte un support pédagogique papier, qui fut financé par l’éducation nationale en 2046 et dont le rôle était d’expliciter la formation du sexe corporel aux enfants.
Toutes ces archives ainsi que l’analyse pointue de l’historien Van Fang nous éclairent sur les pratiques quotidiennes de cette sombre période, et nous permet d’enrichir nos connaissances sur cette civilisation peu connue, nommée aujourd’hui "humain naturel". Au travers du livre, l’auteur nous montre l’attachement à la matérialité encore très forte de cette espèce.
« Il faut dire qu’ils en étaient toujours à légaliser le mariage gay ! » s’exclame Van Fang durant la conférence de presse.
Le temps des expériences : une découverte tardive ?
A la fin du XXIe et au début du XXIIe siècle, de véritables révolutions font trembler la société ; elles ne sont en réalité que des expérimentations de propriétés déjà connues depuis plus de deux siècles, mais que par conservatisme, on considérait naturelles et définitives : les hormones. Dans cette analyse, Ginet Van Fang se montre particulièrement lucide sur l’aspect tardif des expériences immersives du genre. Que sont-elles ? Seule une publicité en témoigne aujourd’hui, où l’on peut voir un « personnage hybride, image encore peu répandue » d’après Van Fang. Ubisoft, compagnie informatique (de l’ordre des ordinateurs, ndlr) lance un jeu vidéo qui permet à l’individu de se projeter dans un autre corps - rien de neuf en termes technologiques, mais on s’empare pour la première fois de l’idée du mélange des genres féminins et masculins. Ce jeu vidéo est dérivé du système du planning familial, lieu d’information et de documentation sur la pratique sexuelle conçue pour la génération adolescente.
On pourrait regretter que cette partie ne fasse pas référence à des théories plus archaïques encore et qu’on ne puisse pas ainsi constater l’évolution incroyable qu’implique ce genre de procédés. Dans les images numériques d’archives, on retrouve un article de journal évoquant un « patch révolutionnaire (...) pourvu de nano-aiguilles capables d’injecter des hormones humaines pendant une période de temps donnée ». Une grande partie de ce texte serait restée illisible, dûe à la mauvaise qualité et à la taille de l’image. Cependant, cet article est désormais un élément archéologique décisif quand à la question de l’histoire du genre. À l’époque et toujours selon Van Fang, « la révolution était plus sociale qu’économique, et la mise en production par une marque d’un tel objet en dit long sur l’obsession commerciale de s’approprier des problématiques de société ». Une campagne choc, qui méritait donc un article de journal en ligne très documenté.
Les cartes d’identité témoignent elles aussi de ce besoin de s’affirmer en tant qu’individu neutre. Il faut rappeler qu’au début du XXIIe siècle, ces cartes sont obligatoires d’un point de vue administratif et dressent une liste : date et lieu de naissance, particularités physiques, mais aussi et surtout le sexe de naissance ou le sexe choisi. La dimension définissante de ces documents devient, à cette époque, parfaitement obsolète. Même s’il s’agit pour nous d’images ordinaires, les photographies montrent des individus androgynes, « dont l’augmentation dans la population est de l’ordre de 60% », selon les Brèves Histoires du Genre. Un tournant s’est opéré qui va par la suite soulever un bouleversement des problématiques d’ordre familial ainsi que des pratiques sexuelles, bouleversement qui ne se fera pas sans contestation.
Les débats du XXIIIe siècle accouchent d’une nouvelle vision de la sexualité.
Ginet Van Fang aborde dans la dernière partie de son travail un des plus grands bouleversements du XXIIIe siècle : la réversibilité du genre. Il retrace l’évolution des pratiques depuis la création des organes génitaux interchangeables. Les archives que l’auteur réunit témoignent du mouvement de panique que génèrent à l’époque le remplacement des organes naturels et la procréation artificielle qui commence à intéresser de plus en plus de couples.
L’auteur analyse une image inédite : la photographie d’une pancarte de manifestation des Essentialistes, dernière communauté à refuser toute transformation du corps de l’homme, et qui luttaient à l’époque contre l’autorisation de la P.T.A. (Procréation Totalement Artificielle). L’image est insolite : c’est la dernière trace d’une écriture manuelle dans les archives historiques.
L’auteur s’appuie sur une autre image touchante, une image rare depuis la disparition des dernières communautés conservatrices : celle d’un individu enceint. Elle est issue d’un article d’une revue numérique de 2267, le portrait de Jocrine Ornakova, leader du parti néo-naturaliste qui militait contre la P.T.A. aux côtés des Essentialistes. L’article est déterminant pour comprendre la posture néo-naturaliste. C’est à ce groupe de militants que nous devons la mise en place de l’INZÉ, l’Implantation de Nouvelles Zones Érogène, proposée comme une alternative qui permettait de garder son appareil reproducteur tout en restant libre dans son identité sexuelle. Ginet Van Fang nous livre un extrait de la parole de Jocrine Ornakova :
« Dans la mesure où nous faisons une distinction claire entre sexualité et organe reproducteur, avec cette nouvelle possibilité de choisir l’emplacement des zones érogènes orgasmiques et secondaires, nous nous inscrivons pleinement dans la dynamique séculaire de la déconstruction du genre archaïque. Le plaisir est déplacé et organisé par l’individu lui même, qui maîtrise la géographie sexuelle de son corps. Dans cette configuration que l’on propose, l’appareil génital ne détermine plus ni notre sexualité ni notre genre. »
Ginet Van Fang nous explique comment L’INZÉ marque une révolution dans l’histoire de la sexualité, en s’appuyant sur des images de Kamasutra datant de 2280, et des sous-vêtements de la marque Aubade pour magnifier les zones érogènes.
« Le nouveau jeu érotique depuis cette période consiste à trouver la zone érogène orgasmique de l’autre, la distinguer des zones érogènes secondaires, et apprendre à davantage connaître le corps de l’autre. C’est un tournant décisif dans notre histoire, à l’origine d’une amélioration significative de nos relations sociales et affectives. »