On connaissait la 3D (Désinfection, Désinsectisation, Dératisation) mais la carte de visite de Baptiste Girardet indique « nettoyage de l’extrême ». Il a réhabilité un ancien bâtiment de monuments funéraires en face d’un cimetière du Grand Paris pour y implanter Sang Froid, son entreprise spécialisée dans le nettoyage des sites d’incidents traumatiques : inondations, incendies, insalubrité et après-décès.
Ancien Sapeur-Pompier de Paris et criminalisticien de sécurité intérieure au sein de la Police scientifique, il s’est formé aux techniques de ce nettoyage très particulier au Canada et officie en France comme professionnel d’un métier dont il a lui-même défini les contours. Il propose ses services lorsque le pire arrive au commun des mortels avec l’ambition de donner un cadre officiel à son activité de nettoyage lorsque la mort ou la salubrité sont en jeu, mais aussi lorsque l’affect est convoqué. Pragmatique, il nous prévient : la propreté n’existe pas.
▵ Avertissement : cet entretien contient des passages déconseillés aux lecteurs sensibles. ▵
Strabic : Comment êtes-vous devenu nettoyeur de l’extrême ?
Baptiste Girardet : J’ai travaillé comme pompier de Paris pendant 11 ans puis j’ai intégré la police scientifique en qualité de criminalisticien de sécurité intérieure, c’est le conseiller technique qui travaille avec l’officier de police judiciaire et lui donne des traces ou des indices : traces papillaires, ADN, sperme, sang, cheveux, fibres, textiles, poils, etc. J’ai intégré la brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris lors de la canicule en 2003 où l’on découvrait des dizaines de personnes décédées tous les jours. Une fois les corps pris en charge, je me demandais qui nettoierait les lieux car les corps étaient souvent dans un état de décomposition avancé.
De la même manière, je me suis interrogé sur le devenir de l’habitat et de la famille à la suite de notre intervention. C’est dans le besoin d’épargner à la famille de nettoyer une scène traumatisante que Sang Froid trouve toute sa légitimité.
Récemment, lors d’un attentat dans un aéroport, c’est une dame de ménage qui a nettoyé la scène après que le terroriste ait été abattu. Au demeurant une entreprise de propreté qui sous-traite ses services à l’aéroport. C’était juste une flaque de sang, on peut se dire que ce n’est pas grand-chose. Mais dans sa fiche de poste, il n’est pas indiqué qu’elle doit nettoyer des fluides humains, donc on est hors du code du travail. On bafoue l’aspect psychologique. Ce sont des gens qui sont peut-être aujourd’hui en arrêt maladie.
S : Vous dites qu’il peut y avoir des conséquences et des répercussions par manque de préparation qui vont bien au-delà de l’acte du nettoyage, aussi bien d’un point de vue psychologique que d’un point de vue sociétal, et qui a un coût pour la société.
BG : On ne peut pas traiter du sang ou des fluides humains comme des poussières. Les risques sont nombreux, les bactéries et les virus, mais aussi les aspects psychologiques.
S : Dans quelles conditions intervenez-vous ?
BG : Lorsque l’on soupçonne qu’une personne est décédée dans un logement, les pompiers entrent souvent par une fenêtre car cela coûte moins cher à remplacer qu’une porte.
Sans la présence d’un médecin, il y a trois cas qui permettent aux services de secours de déterminer un décès sans avoir aucun geste technique à entreprendre : la tête séparée du tronc ; la raideur cadavérique (lorsque les tissus, muscles et tendons se rigidifient, on ne peut alors plus plier les membres au niveau des articulations) ; et la putréfaction.
Il faut savoir que deux heures après le décès, donc après l’arrêt du cœur, un point de couleur verte apparaît sur la peau du ventre au-dessus de la fosse iliaque côté droit. C’est comme si vous laissiez une entrecôte au soleil. Le processus de putréfaction s’étend à partir du point vert et tourne comme un escargot. Il est accentué par les insectes qui privilégient les orifices naturels, chauds et humides pour ensuite habiter toute la dépouille.
A basse échelle, nous ne sommes que de la viande. Et une viande au soleil ou à la chaleur se putréfie, ce qui est vecteur d’insectes et notamment de mouches métal, les mouches à viande comme la California, un type de mouche bleu électrique ou vert plutôt brillant qui pond et amène des cycles d’insectes dans l’habitat.
S : Les mouches reconnaissent l’odeur d’un corps en putréfaction ?
BG : Aucun bâtiment n’est parfaitement étanche. Il y a toujours une gaine de ventilation, une échappatoire. Elles arrivent par le plus petit trou qui existe.
Par défaut d’information, lorsque les pompiers, la police ou le SAMU interviennent sur un cas où il y a un cadavre putréfié, ils ont le réflexe d’ouvrir les fenêtres à cause de l’odeur. Mais l’odeur sera présente tant que la source sera présente. C’est comme si vous preniez un porte-voix par la fenêtre en disant aux mouches « venez, il y a un cadavre ». Elles le flairent à des kilomètres. Donc ce sont des hordes de mouches qui arrivent et qui pondent des centaines d’œufs. Les œufs se transforment en larves, les larves en asticots, puis en pupe et enfin en mouche. Plus le milieu est chaud et humide plus le cycle s’accélère. Cela dure quelques heures.
La mouche vit deux à trois jours et c’est un cycle perpétuel, tant qu’il y a matière.
S : À votre avis, est-ce que les mouches peuvent digérer le cadavre, si on laisse un corps se putréfier pendant longtemps ?
BG : Ce sont des processus qui nous ont été appris à l’école de Police technique et scientifique à Lyon, la seule qui existe en France. Ces insectes sont nécrophages, ce qui signifie qu’ils peuvent faire disparaître tous les tissus humains, mais pas osseux. Ces asticots sont des rampants intéressés par la chair nécrosée.
Il y a d’ailleurs deux établissements hospitaliers parisiens qui se servent du même processus dans le traitement des escarres, des plaies qui se putréfient, des tissus qui nécrosent. C’est très malodorant et très infectieux mais la main de l’infirmière ou du chirurgien ne sera jamais aussi précise que le travail d’un asticot. Le traitement consiste donc à poser des asticots de ce type de mouches dans l’escarre pour qu’ils mangent les tissus nécrosés avec une précision infime. Cela s’appelle la larvothérapie.
S : Revenons à la scène, que font les pompiers à la découverte du corps ?
BG : Les pompiers rendent compte au SAMU de la situation, c’est le seul décisionnaire en France des secours médicaux. Ils font ensuite appel à la Police. L’officier de police judiciaire se rend sur place et fait intervenir des conseillers techniques, un agent spécialisé de police technique et scientifique et un médecin légiste. S’il n’y a pas d’obstacle médico-légal à ce que le corps soit rendu à la famille, il fait son certificat. Les policiers font ensuite appel à un service de pompes funèbres qui fait la levée de corps. Le corps est ensuite emmené dans une maison funéraire pour y être conservé au sein de cases réfrigérantes. Mais la décomposition du corps fait beaucoup de dégâts dans l’habitat, même lorsqu’il a été retiré. Les odeurs, les insectes et les fluides descendent par gravité, et les fluides sont acides, ce qui ronge les matériaux.
S : Vous intervenez donc lorsqu’il n’y a plus de corps ?
BG : Oui, nous n’intervenons que lorsque le corps n’est plus là. Mais on retrouve très régulièrement des pièces anatomiques humaines. Il y a davantage de suicides par armes à feu que de morts sur les routes. Aujourd’hui en France, il y a 18 000 cas de décès par an qui englobent suicides, morts naturelles ou autres qui nécessiteraient une décontamination après la mort. Quand on intervient sur place, on trouve parfois des projections d’éléments, notamment lorsque c’est un décès par arme à feu bien que tout dépende du type d’arme, du calibre etc. Le plus dur n’est pas forcément de nettoyer le sang mais de ne pas en laisser une tête d’épingle. On peut trouver de tout, des morceaux de cheveux, de crâne, des pièces anatomiques humaines… On parle de pièce anatomique humaine quand les déchets sont assimilables visuellement au corps humain. Ils sont alors mis dans une caisse de pièces anatomiques traitée en filière d’incinération particulière. Le cimetière du Père Lachaise en possède une. Les pièces sont incinérées à 1 200 degrés. Je me suis aligné aux les règles les plus drastiques alors que rien ne m’y oblige. Cette filière coûte 1 200 euros HT la tonne à traiter alors qu’une tonne d’ordures ménagères classiques coûte 135 euros HT donc on comprend bien les officines peu scrupuleuses qui envoient plutôt ces déchets sur les tapis de tri des décharges classiques.
S : Ces pièces anatomiques humaines ne sont donc pas rendues à la famille. On s’en débarrasse ?
BG : C’est ce qui permet à la famille de faire le deuil. Tant que la décontamination n’est pas faite, il en reste toujours un bout sur le parquet, sur les murs. Le défunt est toujours là.
S : Une mort naturelle peut provoquer des dégâts sur l’habitat ?
BG : On peut retrouver du sang, des urines, des excréments. Il y a un relâchement des muscles, des sphincters, donc par gravité, en fonction de la position dans laquelle la personne est décédée, les liquides coulent, se répandent. Les tissus et les organes se désagrègent, ils sont rompus petit à petit. Donc tout ce qui et à l’intérieur va sortir.
Dans l’habitat, ce qu’on peut faire, c’est parfois découper des murs, du sol, du parquet, lorsque ce n’est pas nettoyable. C’est ce qu’on appelle le GBS au Canada, le Gros Bon Sens. On ne va pas utiliser des litres de produit et de l’huile de coude pour nettoyer un revêtement de sol poreux qui coûte 4 euros/m2 imbibé de sang. On va très proprement le découper, l’emmener et le traiter dans une filière de déchets infectieux. Il y a donc une problématique liée à l’odeur et à ce qui est pathogène.
S : Comment fait-on pour se débarrasser d’une odeur ?
BG : L’odeur de mort n’est comparable à aucune autre. L’odeur de mort sent la mort. Elle est indescriptible et imprègne non seulement le nerf olfactif mais aussi tout ce qui est poreux et non verni : tissus, matériaux d’ameublement, canapé, fauteuil, literie, vêtements… Notre méthode consiste à rendre l’espace hermétique au maximum puis l’on dispose un appareil de traitement de l’air qui traite des particules de 30 microns qui nous vient spécialement des États-Unis, il filtre les mauvaises odeurs. Une odeur peut être représentée comme un tas de graviers dont on va casser les liaisons peptidiques et qui, avec un traitement chimique et cette filtration très fine, est transformé en tas de sable. On est parfois aussi aidés avec du gaz.
S : Le Febrèze ne fonctionne donc pas ?!
BG : C’est plutôt un sur-odorant et non pas un destructeur d’odeur.
S : Comment pouvez-vous être sûr que l’odeur a disparu ?
BG : À la fin du processus, on vient sur place avec des masques et des cartouches filtrantes, on coupe les machines et on aère. À la suite de quoi, ça ne sent plus rien. Lorsque l’on sent une odeur de mort, une fois que le nerf olfactif l’a imprimé, il va s’en rappeler. Car chacun possède une odorothèque qui nous dit que nous avons une mémoire olfactive. Si vous sentez une odeur de mort, comme ce n’est pas commun, vous allez vous en rappeler instantanément. Les gens ont tendance à sentir cette odeur des jours, des semaines, des mois. Ils ont l’impression que ça sent toujours, mais c’est le nerf olfactif qui envoie l’information en disant que ça sent le mort, alors que pas forcément. Pour réinitialiser le nerf olfactif, la méthode canadienne consiste à prendre un sac hermétique avec du grain de café. On inhale et on expire le contenu du sac en circuit fermé pendant quelques minutes et de cette manière le nerf olfactif est réinitialisé.
Lors des autopsies dans les instituts médico-légaux, à Garches par exemple, cinq corps sont autopsiés tous les jours. Les corps putréfiés ou noyés sont très malodorants. C’est très entêtant, l’odeur de mort ne plait à personne. Bon nombre de jeunes dans le métier font l’erreur de se mettre de la pâte de menthe type Vicks Vaporub sur les narines en pensant que ça va masquer l’odeur. Sauf que le nerf olfactif sent la mort, imprime qu’il sent la mort et quand ils iront aux sports d’hiver et qu’ils se mettront du Vicks, au lieu de sentir la menthe, ils sentiront l’odeur de mort. Donc je leur ai donné l’astuce du café.
J’utilise moi-même à mon domicile les même des produits de nettoyage que j’applique sur les scènes d’après-décès et il m’arrive que cela me rappelle une scène vécue. Si c’est le cas, je fais le rituel. Dans ma voiture, j’ai toujours le sac congélation rempli de grains de café.
S : Qu’est-ce que la propreté pour vous ?
BG : Mon métier consiste à décontaminer : on désinfecte et on nettoie. On traite l’après-décès mais on s’occupe aussi de la décontamination classique, des inondations, des incendies. Notre activité intègre aussi la destruction d’insectes, les frelons asiatiques essentiellement. Ce dont j’ai horreur, ce sont les scènes de crime. On en a fait deux en deux ans, donc c’est très rare. Nous ne sommes pas nettoyeurs de scènes de crimes mais spécialisés dans le nettoyage de sites d’incidents traumatiques, le post-mortem en fait partie. On peut être mort seul dans son studio parce que son cœur s’est arrêté ou par suicide, cela représente 90% de nos missions.
Pour moi, la propreté, c’est comme le crime parfait, ça n’existe pas. La propreté est visuelle, tandis que la désinfection est un principe d’action. La propreté est l’absence de salissure, incluant poussière, tache, et mauvaises odeurs. Elle implique des procédés de nettoyage.
La désinfection est une opération par laquelle on élimine les germes pathogènes d’une zone, d’une surface.
S : Quel est alors le niveau de désinfection acceptable ?
BG : C’est un appareil appelé l’ATP-mètre qui le détermine en fonction des surfaces et des contextes. Des normes existent pour certains environnements, comme la cuisine. Nous nous fixons nos propres normes car elles n’existent pas dans notre métier en France. Aucune norme ne nous dit qu’un funérarium ou qu’une scène d’après-décès ne doit pas dépasser tel niveau de bactéries.
Il faut savoir qu’en France aucun funérarium n’est décontaminé. On place nos morts dans des cases où sont placés d’autres morts depuis 25 ans. On nous dit : les morts sont morts. Sauf que ce sont les vivants qui les manipulent. Nous avons eu une mission pour une clinique parisienne qui nous a fait décontaminer son funérarium. Le technicien prend alors la place du mort dans la case du funérarium qu’il nettoie et désinfecte pour que ce ne soit pas vecteur d’éléments pathogènes. Pour certaines missions dans les funérariums, c’est nous qui déplaçons les corps.
S : Les funérariums ne nettoient donc pas leurs locaux eux-mêmes ?
BG : Non, la fiche de poste des employés des maisons funéraires n’inclut pas le nettoyage les cases réfrigérantes. Ils n’ont de toute façon pas le temps. On intervient souvent de nuit pour ne pas les gêner car des soins de thanatopraxie sont prodigués pendant la journée. Le plus grand funérarium que l’on connaisse dans une maison funéraire possède 40 places. L’institut Médico-Légal de Paris en comporte 400.
S : Quel rapport entretenez-vous aux esprits, aux âmes ? Êtes-vous croyant ?
BG : Quand vous êtes sur place, vous avez 400 corps autour de vous dans les frigos. Il y a une certaine ambiance. Et là en fonction de la sensibilité de chacun, on peut ressentir des choses. Ce n’est pas mon cas, mais ce n’est certainement pas anodin. L’approche des scènes est très particulière. Donc on se réunit une fois par mois avec l’équipe, et on fait des retours d’expérience où l’on revoit toutes les interventions faites pour pouvoir en discuter, encadrés par une psychologue et une neuro-coach de manière à évacuer toutes les scènes visuelles et la relation aux familles.
Cela fait bien longtemps que je ne suis plus croyant. Néanmoins, je prends en compte les fantômes, les âmes. Je suis ouvert, très ouvert. Chez Sang Froid, on a une personne qui purifie les lieux à la demande des familles, c’est une ressource externe. Six mois après une mission de décontamination, une personne pour qui nous avions travaillé nous a appelés en nous disant qu’elle voulait faire purifier les lieux. Alors je l’ai mise en relation avec un chaman avec qui l’on travaille.
S : Vous aviez déjà intégré la compétence d’un chaman à votre entreprise ?
BG : J’avais eu l’idée auparavant et je l’avais déjà rencontré. Il peut agir sur les personnes qui vivent dans l’habitat, sur l’environnement, sur l’âme ou les âmes ressenties. C’est de l’ordre du divin. On est sur une prestation sous l’égide de la société Sang Froid mais traitée par les ressources du chaman. Je ne communique pas là-dessus. En France, la mort est taboue. Le français considère qu’il est immortel.
S : En tant qu’usager du train mais surtout du métro, on est très régulièrement confronté aux « accidents de voyageurs », même indirectement. Peut-on parler de décontamination lorsque les scènes ont lieu à l’extérieur ?
BG : Nos interventions ne concernent pas forcément uniquement des habitats. Cette année, on a décontaminé un bateau et plus récemment, une voiture dans laquelle une personne s’était donnée la mort sur le siège conducteur. Quand vous avez un accident voyageur, oui c’est parfois à l’extérieur.
S : Un documentaire sonore des Pieds sur Terre sur France Culture est consacré aux conducteurs de train qui racontent les accidents de voyageurs. C’est très touchant, car cela dit aussi que le traumatisme ne touche pas uniquement celui ou celle qui percute la personne. La SNCF et RATP n’ont donc pas de service spécial de nettoyage ?
Non, les grandes entreprises de transports de voyageurs n’ont pas de service dédié pour décontaminer le quai, les voies ou le train. Nous avions d’ailleurs rencontré un responsable en charge de ces évènements, nous avions soumis la proposition de tester sur un secteur la décontamination après un accident de voyageur en faisant intervenir nos techniciens. Cela n’a pas abouti au prétexte du délai d’intervention et du temps d’immobilisation du train.
Les restes humains sont mis dans la bâche à cadavre par les transporteurs de corps. Le corps peut rester dans son intégralité mais pas toujours. Lors de l’une de mes dernières interventions dans la police scientifique, il nous manquait un avant-bras qu’on a dû chercher. Il était planté dans le grillage et tenait tout seul, avec la montre, les bagues. C’est visuellement impressionnant. En général, cela concerne de plus petits morceaux, notamment le crâne, que le transporteur de corps va devoir ramasser bout par bout. Mais il faut aller vite donc les services de propreté viennent avec de la sciure pour cacher les restes qui s’étendent souvent sur des centaines de mètres.
Chaque accident est différent, mais on retrouve très souvent du sang sur le pare-brise du train, du RER ou du métro. L’employeur qui est censé « préserver la santé physique et mentale » de ses salariés propose aux conducteurs de train de quitter leur poste suite à l’accident. Souvent ils acceptent. Et là un autre conducteur de train prend sa place. Politiquement, on se dit « on a fait son devoir, on a mis quelqu’un à la place de celui qui avait percuté malencontreusement une personne ». Sauf qu’on a une deuxième personne qui est derrière un pare-brise ensanglanté. Donc on a deux traumatisés à vie. Il faut savoir qu’un train qui percute une personne est ensuite vérifié au niveau mécanique. Quand les trains vont à l’atelier de mécanique, il n’est pas rare de retrouver des pièces anatomiques humaines dans les flexibles sous les motrices.
S : Quels sont les outils que vous utilisez ?
BG : Nous avons les perforateurs, burineurs, scies, tronçonneuses, marteaux, tournevis et ce qu’on utilise pour casser les dalles de béton. Ce sont des outils utilisés dans les travaux publics. Hier, on a découpé un canapé avec une scie, la semaine dernière, j’ai découpé une baignoire. Nous utilisons des équipements sanitaires, pour les mitigeurs, des bouchons pour pouvoir remettre l’eau sans provoquer de fuite. Dans les cas d’insalubrité, comme le syndrome de Diogène, des immondices sont souvent empilées, on a eu le cas d’une personne âgée qui gardait toutes ses couches. Nous avons donc aussi du matériel électrique pour faire des mesures préventives, couper l’alimentation par exemple. Nous utilisons le balai à plat, c’est un support à plat en velcro qui permet de nettoyer les surfaces, le plafond, les murs et qui possède un manche télescopique.
On utilise aussi un appareil particulier qui produit de la haute pression avec de l’eau très chaude à 8 bar qui permet à la fois de décoller et d’aspirer.
Nous avons aussi un appareil très particulier qui aspire les boues, un nettoyeur haute pression qui fonctionne au gasoil et qui produit de l’eau chaude. On s’en sert dans les cas d’incendies ou d’inondations.
Bien entendu nous utilisons beaucoup de filtres, la mono-brosse quand c’est très imbibé dans le sol, une machine qu’on appelle un samouraï et qui nous permet de pulvériser nos solutions à basse pression.
Du point de vue des équipements de protection individuels, en plus des bottes et des combinaisons, on se sert de masques intégraux sur lesquels se branchent des cartouches filtrantes de chaque côté.
Enfin, on dispose de moyens de communication (talkie-walkies) pour pouvoir communiquer discrètement avec l’équipe quand la famille est présente sur la scène.
S : Est-ce que vous avez inventé vos propres outils pour certains besoins spécifiques ? Comme la brosse à dent pour nettoyer des petits coins inaccessibles ?
BG : Il y a des trucs mais je ne pourrai pas les dévoiler car cela fait partie du secret professionnel. Mais j’ai un outil pour décoller et nettoyer entre les lattes du parquet massif car aucun outil n’existe pour cela. On a dérivé l’outil de son usage classique pour nettoyer le sang séché.
S : Dans Nikita le film de Luc Besson, le « nettoyeur » joué par Jean Reno est le personnage qui fait disparaître les corps. On se rappelle de cette fameuse scène de Pulp Fiction de Tarantino et de l’arrivée de “The Wolf” qui va donner des instructions pour nettoyer la scène. Les ghostbusters quant à eux chassent plutôt les fantômes. Quelle est votre référence cinématographique ultime ?
BG : The Cleaner, joué par Samuel L. Jackson, en 2008. C’est l’histoire d’un nettoyeur dont la compétence technique est dérogée par la mafia puisqu’il passe avant les services de police pour nettoyer les scènes de crimes.