Alors que l’ensemble des sciences et des arts semblent prendre un important "tournant cartographique", revenons un temps sur le Projet de globe terrestre au 100 000e du géographe anarchiste Élisée Reclus (1830-1905). Le livre publié par les éditions B2 sur ce projet questionne la notion d’universalisme et sa formalisation en espaces, outils et images.
Plus connu pour avoir écrit les 19 tomes de la Nouvelle Géographie Universelle, à la fin du XIXe siècle, Élisée Reclus avait pour ambition de présenter à l’Exposition Universelle de 1900, un imposant globe terrestre de 160 mètres de diamètre, disposé au sommet de la colline de Chaillot, en face de la Tour Eiffel. Le globe devait être composé de trois sphères logées les unes dans les autres : une couche extérieure en verre et dentelle métallique, puis un deuxième globe en relief, suivi d’une voûte céleste. Un système complexe de galeries, couloirs et ascenseurs aurait permis aux visiteurs de naviguer à l’intérieur du paysage terrestre.
L’essai de Nikola Jankovic, qui précède le cahier des charges écrit par Élisée Reclus, situe le globe entre le jardin géographique, un modèle réduit du monde dans lequel le visiteur peut flâner, et le géorama, représentation inversée de la terre à l’intérieur d’une sphère concave. Pour Reclus, l’expérience du lieu devait se rapprocher d’un voyage mental au centre de la terre ou de la visite d’un palais de la découverte. Reclus avait en effet imaginé des espaces de consultation de dessins et gravures du paysage ou de photographies de Terriens, et ce, directement sur le second globe en relief.
Un véritable “Google Earth analogique en open source” comme le dit Jankovic.
Dessins du projet de Reclus pour l’exposition universelle de 1900. Dessin de gauche
non signé, dessin de droite de Louis Bonnier.
En collaboration avec le cartographe Charles Perron, Élisée Reclus conçut différentes versions du projet entre 1895 et 1898. Trop ambitieux, le projet ne fut jamais réalisé pour principalement trois raisons. La première était son prix exorbitant : 20 millions de francs, soit environ 76 millions d’euros. Reclus subit ensuite la rude concurrence de nombreux projets similaires concourant eux aussi à l’Exposition Universelle de 1900. Enfin, le géographe refusa de concevoir le globe dans un but de pur divertissement et de profit : pour lui, cette sphère serait un objet tourné vers la science, un véritable “instrument de travail” [1] pour le voyageur, le cartographe et le géographe.
De nombreux inventeurs au XXe siècle tentèrent de créer leur Tour de Babel afin de faciliter la mobilité des biens et connaissances. Dans les années 1920, Paul Otlet confia à Le Corbusier les soins de dessiner les plans d’une Cité Mondiale, une ville d’un million d’habitants créée pour favoriser communication et paix entre les peuples. L’artiste Marino Auriti construisit dans les années 1950, la maquette d’un palais encyclopédique, lieu de sauvegarde des travaux et découvertes du monde. Mêlant prospective et écologie politique, Buckminster Fuller théorisa dans les années 1970, un jeu de logistique pour permettre la circulation des ressources mondiales, celui-ci devait être spatialisé sur une carte Dymaxion (Giga ou non) et réactualisable à souhait.
Un autre projet, celui-ci véritablement réalisé à l’exposition de 1900,
le Cosmorama de l’architecte Albert Galleron.
Le choix du globe et non de la carte était pour Reclus une volonté de rendre compte du monde de la façon la plus réaliste possible, c’est-à-dire sans projection cartographique, avec pour ambition de relativiser la position des continents : l’Orient et l’Occident ne sont que des constructions culturelles, le monde est un tout. Le Projet de Globe au 100000e aurait permis de rendre visible et consultable la Terre, de la circonscrire pour la tenir dans ses mains.
Élisée Reclus, Projet de Globe au 100 000e (Introduction de Nikola Jankovic), Éditions B2, décembre 2011.
POUR ALLER PLUS LOIN :
• Redécouvrir notre saison sur la subjectivité cartographiée.