The Palmtree
Matchbox #2 : l’empire suédois

Article écrit par Axel Benassis

L’histoire des boîtes d’allumettes, comme celle de tout objet quotidien, est chargée de péripéties. Au-delà des questions d’usages, les mutations de leurs formes et des signes graphiques associés coïncident toujours avec d’importants bouleversements économiques et culturels. Seule une bonne connaissance de leur provenance permet de prendre la mesure de leur intérêt graphique et historique. Axel Benassis, à l’origine du projet "Graphisme & Philuménie", nous propose d’explorer cette histoire en mettant en lumière quelques perles de sa collection personnelle. Aujourd’hui : un célèbre palmier suédois.

Bien évidemment, la France n’est pas le seul État à produire et distribuer des allumettes. L’invention de l’allumette à friction est anglaise et la Suède, qui a vu naître Gustaf Erik Pasch l’inventeur des allumettes de sûreté (fameuses "suédoises" présentées dans notre précédent article), s’est imposée durant des années comme le premier exportateur mondial d’allumettes – et donc de boîtes d’allumettes.

Au commencement de l’histoire de la production des allumettes, alors qu’elles étaient encore complètement artisanales, les boîtes ne présentaient pas de marque à proprement parler. Seules mentions visibles : le nom de la manufacture qui les produisait ainsi que son adresse. Ce schéma, souvent repris, a forgé l’image des boîtes d’allumettes suédoises à une échelle internationale. Ainsi a été défini ce à quoi devait ressembler une boîte d’allumettes. Les évolutions qui ont suivi sont principalement dues à des avancées techniques et au marketing.

La typographie, par exemple, a suivi les modes, passant des didones aux grotesques, selon un impératif de lisibilité.

Les typographies à empattements, surtout celles qui disposent d’un fort contraste entre pleins et déliés, se sont avérées insatisfaisantes. La petite taille de ces ephemera, leur nombre croissant d’exemplaires et surtout la vitesse à laquelle celles-ci devaient être produites ne permettaient pas l’impression de fines courbes. Les typographies linéales restaient lisibles après une impression de qualité moindre et permettaient donc un tirage à faible coût.

La concurrence et l’expansion des zones de vente ont petit à petit fait disparaître des étiquettes le nom et l’adresse de la manufacture. À leur place : un nom et une illustration savamment choisis pour s’imposer en tant que marque.

Nom : The Palmtree
Description : « Impregnated Safety Match Manufactured in Sweden »
Année : Contemporaine
Distribuée par : Sakanal, Afrique occidentale
Taille : 53x37x15mm
Grattoir : Strié large 5.2 points/cm, 2 cotés
Matériaux : Carton
Impression : Offset

Cette boîte d’allumettes de la marque "The Palmtree" date du XXIe siècle, comme nous le laissent entendre ses techniques de fabrication et d’impression. Cependant, le dessin original date de 1884. On le retrouve sur les toutes premières étiquettes de la marque.

À la fin du XIXe siècle, durant l’ère victorienne, les représentions exotiques étaient en effet très en vogue. L’intérêt victorien pour le voyage était très fréquemment exploité sur les boîtes d’allumettes afin de donner à voir aux utilisateurs des mondes qui leur étaient alors totalement inconnus. Les représentations botaniques avaient l’avantage. Généralement attractives, fortement adaptées à l’exportation, elles permettaient surtout d’éviter toute mauvaise interprétation. Cette image a donc largement été diffusée pendant plus d’un siècle en Europe et en Afrique. Elle n’a pas vraiment changé au fil des décennies. Le dessin s’est affiné et est passé en trichromie, quelques mentions ont été ajoutées.

Il n’est pas étonnant de retrouver aujourd’hui de nombreuses variantes tant dans le champ du commerce d’allumettes que dans divers milieux culturels.

À gauche : Flyer pour les soirées « Jeudi DJ’s » de l’espace des Petites Pierres à Ouakam au Sénégal, 2012.
À droite : The Africana Safety Match.

Lamin Sanneh, Summoned from the Margin : Homecoming of an African, William B Eerdmans Publishing Co., 2012.

Cette image est ancrée dans le cerveau des consommateurs qui la côtoyaient, d’ailleurs l’historien Lamin Sanneh la mentionne dans son autobiographie. Selon lui, cette boîte, comme de nombreux autres packagings, lui a permis d’apprendre à lire. Il faisait ainsi le lien entre le mot "PALMTREE" et cette illustration. Celle-ci a été reproduite et modifiée à l’occasion d’un concert de musique électronique dans le quartier de Ouakam au Sénégal, pays où est distribuée cette boîte.

Cet objet met ainsi en avant l’importance du marché suédois des boîtes d’allumettes, mais aussi leur impact dans la vie quotidienne. Le fait qu’elle soit encore produite et distribuée aujourd’hui n’est pas anodin, cette boîte fait office de signe fort pour une localité en tant qu’objet usuel et convivial.

Cet article est issu d’une série de six livrets distribués à l’occasion de l’exposition Graphisme & Philuménie organisée à l’École Européenne Supérieure d’Art de Bretagne site de Rennes en 2015.

tweet partager sur Facebook


Vous aimerez aussi :