La Folie Kilomètre
Slow and Furious

Propos recueillis par Margaux Vigne et Tibo Labat, images © La Folie Kilomètre.

En une journée estivale, nous avons rendez-vous dans un bar place des Fainéants avec La Folie Kilomètre, « collectif de création en espace public ». Nous voilà face à 4/8e du collectif, c’est-à-dire Abi, Arnaud, Jérémy et Elsa. On doit parler fort pour couvrir le bruit de la route et des clients de la terrasse du bar, les pacalos (ou Pac à l’eau) s’enchaînent au fil de la discussion à six voix ; il fait chaud, on est à Marseille.

« Le premier champion du monde Ionuts Pergolitch, natif du Danemark, était si adroit qu’il pêchait les saumons au galet. On dit que pour témoigner son amour à sa femme, le jour de leur mariage il fit rebondir son galet 23 fois avant de toucher un saumon royal qu’il offrit comme plat de résistance pour la cérémonie. 23 était l’âge de sa douce. Certains des convives ont dit même que le saumon pesait 23 kg mais personne n’a pu vérifier ce fait.  » [1]

Strabic : Donc, vous êtes La Folie Kilomètre ?

Arnaud : Oui, mais il manque Charlotte qui est à Dunkerque, Maël qui part à Grenoble, Lucie qui est en Bretagne et Julien qui revient des Pays-Bas.
Abi : Il faut peut-être qu’on commence par présenter le collectif, non ? Pour savoir de quoi on parle !

Elsa : On pourrait faire un cadavre exquis…
Abi :
Alors d’abord la convivialité c’est important…

Arnaud : … et ça commence par l’apéro !
Elsa :
On existe...

Abi : … depuis 2 ans…
Arnaud : … et nous avons un atelier depuis un an dans le quartier du Canet…
Abi :
… avec d’autres gens.

Arnaud : On s’est retrouvés autour de deux choses, le professionnel et l’amical. Certains d’entre nous sont issus de la même formation, la FAI AR, et l’autre partie du collectif est issu d’un réseau d’affinités. On s’est d’ailleurs plutôt fédérés autour de la Cité des arts de la rue, en tant que lieu où nous avons tous travaillé, étudié, vécu, que vraiment autour de la FAI AR en tant que formation.

Abi : Nous sommes organisés en association, avec huit membres actifs (Elsa Vanzande, Arnaud Poupin, Jérémy Garniaux, Lucie Corouge, Julien Rodriguez, Charlotte Ducousso, Maël Palu et Abigaël Lordon) et un bureau associé. On a choisi de s’appeler collectif alors que souvent dans le spectacle vivant on dit compagnie ; on trouvait ça trop identifié théâtre alors que collectif laisse d’avantage d’ouverture à la pluridisciplinarité.

Strabic : Le choix du nom et du statut juridique ont l’air d’être en lien avec l’organisation du travail, non ?

Elsa : Oui, nous voulons surtout éviter d’être mis dans une case. Il y a parmi nous des gens qui viennent du spectacle, des arts plastiques, de la scénographie ou du design d’espace, mais aussi de l’aménagement du territoire, de la géographie ou du paysagisme… même si ce sont rarement des parcours en ligne droite,
car on est plutôt du genre à faire des virages,
chacun à notre manière. La Folie Kilomètre c’est un endroit où ces trois types d’approche (spectacle vivant / arts plastiques / territoire) se mélangent et se rencontrent.

Strabic : Vous employez le mot création, dans d’autres milieux on entendrait projet. Est-ce qu’il y a une différence ou est-ce juste une histoire de vocabulaire différent selon les milieux ?

Elsa :
Collectif, c’est vraiment le choix d’un fonctionnement…

Arnaud : … et création signifie aussi une création de fonctionnement ! Chaque projet mobilise une équipe spécifique, chaque cadre est différent, chaque organisation demande à être repensée.
Elsa : En effet, ne pas être dans une case nous permet d’arriver comme une espèce d’OVNI et cela rend plus de choses possibles parce que l’imaginaire et le projet ne sont aussi pas préformatés. Ça nous permet de travailler avec des partenaires variés qui ont des objets différents.
Arnaud : Un autre point fondateur est qu’on privilégie des formes où le spectateur est en mouvement : c’est aussi pour cela que nos projets prennent place dans l’espace public, pour toucher les gens là où ils sont et faire avec eux. On essaye toujours de faire quelque chose lié à l’endroit où on est, c’est aussi ce qui rend les projets uniques.

Strabic : Justement, pourriez-vous expliquer rapidement ce que sont ces projets ?

Elsa : Concrètement nous faisons des spectacles (le Championnat du monde de ricochets fluorescents ; la Canopée), des promenades (les Balades picturales), des expéditions, des ateliers (la Ligne 70), et des projets transversaux comme Jour inondable.


Jour inondable

Strabic : Vous ne travaillez qu’à Marseille ?

Abi : Non pas du tout,
mais ça c’est propre au spectacle vivant, une création itinérante, « en résidence », qui se déplace dans des villes différentes.

Strabic : Comment tout cela a-t-il commencé ? Y a-t-il un projet fondateur ? Et comment naissent les projets ? Vous répondez à des commandes ?

Elsa : Quand on a fondé La Folie Kilomètre, il y avait déjà trois projets en route, c’est donc de l’action qu’est venue la nécessité de s’organiser. Sinon, ça dépend des projets : soit on a une idée, une envie, et on va chercher des partenaires ou des lieux pour la faire exister (par exemple la Canopée ou le Championnat du monde de ricochets fluorescents) ; soit c’est une idée de base qu’on va décliner selon le contexte (c’est le cas des Balades picturales et de la Ligne 70) ; soit on répond à une commande avec des créations très spécifiques (comme Jour inondable).

Arnaud : Après il y a la part d’ombre du collectif, totalement autonome, que sont les événements informels et conviviaux : la Boom-transhumance, ou l’apéro-pétanque
Elsa : … ça, ce sont des choses qu’on fait en dehors de tout cadre de production, mais c’est important pour nous de rester force de proposition dans des choses simples…

Abi : Comme on fonctionne par équipes sur des projets éclatés sur le territoire on n’est pas tous le temps ensemble ; ces formes festives et conviviales qu’on met en place à Marseille,
c’est aussi parce qu’on a besoin de ces moments où on se retrouve, et où on peut inviter les Marseillais et investir des lieux très localement ; c’est une sorte d’ancrage indispensable.

En plus de ces événements, qui sont publics, on a des retrouvailles régulières entre membres du collectif.

On se voit tous les deuxièmes mardis du mois, ça s’appelle les mardis fous et c’est un temps d’information et de décision.

Arnaud : Il y a aussi les mardis super-fous !
Ce sont des moments plus longs, tous les trimestres, centrés sur le fonctionnement du collectif, autour de réflexions qui peuvent être artistiques mais aussi éthiques, structurelles…
Abi : Du style : « Qui on est ? Qu’est-ce qu’on fait ? »

Strabic : Comment êtes-vous organisés en interne ?

Jérémy : On a mis en place une organisation par pôles : un pôle gestion qui prend en charge l’administratif ; un pôle visibilité qui s’occupe de la communication ; un pôle perspectives qui est plutôt chargé d’une vision d’anticipation et d’un travail de veille ; et un pôle ressources qui est encore en cours de définition, mais qui est né d’une décision collective de formaliser un temps de recherche. On a décidé qu’il y aurait deux personnes par pôle et que ça tournerait tous les ans, mais on ne l’a pas encore fait, c’est pas évident car il y a quand même beaucoup de transmission nécessaire à chaque fois !
Abi : Ce qui nous relie et nous intéresse c’est justement comment on se crée et on gère des cadres de travail, une structure, juridique, professionnelle qui corresponde à nos besoins et nos envies.

Strabic : Comment gérez-vous les autres activités que vous menez chacun de votre côté ? Est-ce que, si on caricature, il y en a une qui vous nourrit concrètement et une qui vous nourrit spirituellement ? Personne n’est salarié de La Folie Kilomètre ?

Elsa : Non. Et il n’y a personne dont c’est l’unique activité.
Abi :
Mais être salarié du collectif ce n’est pas une envie ni un objectif pour nous.

Elsa : On est payés quand on bosse sur un projet de La Folie Kilomètre, on ne le fait pas bénévolement, mais ce n’est pas l’enjeu principal pour nous. Concrètement on est tous dans le système de l’intermittence et on n’est pas coincés entre rendre La Folie Kilomètre viable « ou » gagner de l’argent ailleurs ; en fait, on fait les deux à la fois, et dans notre milieu c’est totalement possible et même normal,
la différence vient des statuts. Et puis, on fonctionne par projets.

Autant au sein de La Folie Kilomètre qu’au sein des autres structures (compagnies KMK, Ici-Même, Ilotopie…), du coup ce sont essentiellement des questions d’agencement de planning.

Strabic : Mais qu’est-ce qui différencie dans ce cas votre implication dans les différentes structures ?

Elsa : La Folie Kilomètre c’est nous, c’est différent.
Jérémy :
On n’est pas au même endroit dans le collectif, ça n’a pas le même sens.

Elsa : Et les autres compagnies ne sont pas forcément des collectifs dans leur fonctionnement.
Abi : Dans les autres compagnies on vient en tant que forces vives, on ne porte pas la production ; mais c’est riche de travailler avec d’autres structures, on partage nos expériences, ça nous aide aussi à nous construire.

Il y a autre chose de très important qu’on n’a pas dit, c’est que nous :
on aime bien tout faire.
C’est une forme de pluridisciplinarité mais surtout une polyvalence des personnes au sein du groupe, ainsi qu’une autonomie du collectif du début à la fin d’un projet et dans toutes ses dimensions : comment on monte un projet, comment on le fait vivre et comment on le termine. On n’a pas du tout envie qu’une tâche soit systématiquement attribuée à une personne ou de sous-traiter certaines de nos missions. Quand on fabrique les choses nous-mêmes, on y met plus de valeur, car on a conscience de toutes les étapes. Et c’est un rapport différent au temps qui est pour nous fondamental : ne pas choisir la solution la plus longue, mais celle où l’on est le plus impliqué. C’est très important pour nous d’être poreux, c’est pour ça qu’il y a beaucoup de flou dans notre manière de travailler, c’est ce qui permet de nous reconstruire tout le temps.

On n’est pas sous cloche !

Strabic : Et le lien entre l’individu et le groupe ?

Abi : Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’il y a au départ quelque chose d’humain très fort, où les choses sont plus puissantes quand on est ensemble…
Arnaud : … moi, quand on s’est mis ensemble, ce dont je me souviens c’est surtout que je trouvais les personnes intéressantes,
il y avait de la curiosité…

Elsa : … et aussi de la confiance, de la complicité et l’envie de vivre l’expérience sans forcément savoir ce que cela va produire.
Arnaud : On est aussi assez complémentaires,
je trouve ça très important dans le sens où ça rebondit toujours [2]


Championnat du monde de ricochets fluorescents

Abi : C’est un phénomène d’entraînement !
Elsa : Souvent on entend dire que travailler en collectif c’est plus long, plus difficile, moins efficace… Au contraire moi je trouve que cette horizontalité peut nous rendre plus efficaces, on sent mieux où on a envie d’aller, on doute moins ; ça fait plus de forces qui vont dans la même direction !

Jérémy : C’est un vrai plaisir…
Abi : … même si c’est complexe.

D’ailleurs, vous connaissez la différence entre compliqué et complexe ? J’ai appris ça récemment ! Compliqué c’est comme faire voler un avion, il y a une logique interne, alors que complexe c’est comme un plat de spaghetti, tu peux pas comprendre.
Ça vous a paru clair ou… ?

[1site de La Folie Kilomètre

[2comme les ricochets !

Texte : Creative Commons, images © La Folie Kilomètre.

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