La Paillasse
De la bactérie à la galaxie

Propos recueillis par Camille Bosqué en septembre 2014 et illustré par Vincent Gebel.

Marc Fournier est le co-fondateur de La Paillasse, un biohackerspace implanté en plein cœur de Paris. Après des études d’ingénieur et un passage par les sciences de la matière, l’environnement et la maîtrise de l’énergie, Marc partage son temps entre des bureaux d’étude sur les énergies renouvelables et des start-ups de robotique. Autour de lui à La Paillasse, une petite équipe imagine un bioréacteur do it yourself qui pourrait un jour permettre de se transporter de la bactérie à la galaxie.

Strabic : Dans les projets actuels développés à La Paillasse, on trouve les plans d’un bioréacteur open source. Peux-tu nous en dire plus ?

Marc Fournier : Le suffixe "réacteur" peut être trompeur. Rien à voir avec une quelconque propulsion ! Les usages "terrestres" sont très variés : la mise en culture de micro organismes (bactéries, levures, algues que permet cet outil est en passe de devenir aussi incontournable que l’imprimante 3D dans son domaine. Cela peut conduire à la production de biocarburants, de cosmétiques, d’algues à usage alimentaire, de levures pour la bière, de ferments, de médicaments…

Nous pouvons aller jusqu’aux projets les plus récents de la biologie de synthèse, qui visent à reproduire du lait sans animaux, uniquement à partir de micro organismes. La réalisation d’un bioréacteur open source est aujourd’hui un enjeu majeur pour permettre au grand public et aux entrepreneurs de pouvoir s’approprier ce type de cultures, ces outils coûtant à l’heure actuelle un minimum de 15 k€. Notre premier prototype vise à réduire ce coût d’un facteur 10.

Plus globalement, le do it yourself vise à cet abaissement fort du coût de machines industrielles pour permettre à un plus grand nombre de gens de faire et donc de comprendre.

Concernant les usages les plus courants, les niveaux de précision requis par le domaine de la recherche ne sont pas nécessaires. Partant d’une approche dite bottom up et ayant une visée fonctionnelle (en construisant l’objet à partir de sa fonction et non l’inverse) on peut souvent abaisser d’un bel ordre de grandeur le coût des machines parfaitement adaptées. Beaucoup reste encore à faire en biologie. La prise en compte depuis le prototype jusqu’à la production de composantes liées à l’écodesign, à l’équitabilité sociale et à la dimension locale du projet est un apport d’autant plus important au bien commun.

En quoi le projet de bioréacteur de La Paillasse concerne-t-il l’espace ?

Au-delà de la réalisation de milieux de cultures (serres, bioréacteurs, fermenteurs) pour la production alimentaire ou de médicaments, on peut chercher à produire ou recycler des gaz nécessaires à la survie dans les stations ou vaisseaux spatiaux, travailler la dégradation/transformation des matières organiques et d’une manière plus générale le bouclage des cycles (azote, phosphate...). En microgravité, dans l’espace, les problématiques physiques, comme la dynamique des fluides ou la visquosité, ne sont pas les mêmes que sur Terre. Cela pourrait constituer une adaptation spécifique par rapport au projet actuel de l’Openbioréacteur. Mais sur des planètes comme Mars, beaucoup de conditions s’approchent de celles de la Terre.

Tu es toi-même membre du Mars Society France, peux-tu nous en dire plus ?

Adhérent pour la seconde année, je crois fermement à la nécessité scientifique d’une exploration et d’une implantation permanente sur Mars. Le programme de l’association est ambitieux et il a un caractère international. Le côté pratique et pragmatique de l’approche et le haut niveau d’expertise sont garantis par la présence d’anciens contrôleurs de mission NASA et d’ingénieurs en propulsion spatiale. Ce sont des ingrédients très séduisants ! Un de leur programme consiste à faire réaliser des tests sur Terre durant un an en autonomie à dix personnes en Antarctique pour étudier certains aspects pratiques, scientifiques, physiologiques et psychologiques d’un long voyage et d’une mission sur Mars. Les précédentes missions ont pu apporter une quantité de données et de projets associés (en robotique notamment) contribuant à réduire le risque d’un premier voyage. Mon objectif au sein de cette association est d’ouvrir ces défis à une communauté encore plus large afin de faire remonter des propositions originales et libres.

Le projet Space Gambit rejoint la culture du libre et les questions spatiales. Pourquoi voit-on aujourd’hui se multiplier ce type d’appels à projets ?

Les agences spatiales cherchent aujourd’hui à communiquer avant tout sur les projets pouvant avoir un impact direct sur Terre afin de pouvoir être plus compréhensibles auprès des politiques et de leurs électeurs. Le projet SpaceGambit, géré par Alex Cureton-Griffiths et Jerry Isdale et soutenu par la NASA, s’inscrit dans cette démarche. Il a pour but de financer et de fédérer des initiatives open source dans les espaces d’innovation ouverts et collaboratifs, tels que les les hackerspaces et makerspaces. On aime tout particulièrement le projet Biomostaaar des amis de Biocurious. Ils travaillent à construire un bioréacteur open source qui est un guide méthodologique sur le DIY et l’espace. Ils mènent également le projet "Hackerspace Earthship"

Comment fonctionne votre bioréacteur ?

On peut le penser comme un environnement hermétique et contrôlé dans lequel on va surveiller un certain nombre de paramètres (température, Ph, oxygène dissoute...) et les modifier afin qu’ils soient le plus adaptés à la croissance des micro organismes que l’on souhaite mettre en culture. Les volumes sur lesquels nous travaillons plus spécifiquement sont de quelques litres mais les volumes peuvent être beaucoup plus importants, jusqu’à plusieurs centaines de milliers de litres.

Comment le projet a-t-il démarré à La Paillasse ? Qui fait partie de l’équipe ?

Le projet a été initié par Loic Laureote avec une mise en culture d’algues en milieu ouvert. Rapidement, la question de la stérilité du milieu s’est posée et la temporalité de l’appel à projet de SpaceGambit a convergé avec une envie collective de développer cet outil en open source. J’ai décidé alors de monter un dossier : notre premier appel à projet, ficelé essentiellement la nuit et en 20 heures environ.

Avec le recul, ce n’est pas notre plus grande réussite mais nous avons été le seul projet sélectionné en Europe !

L’aventure s’est alors construite de manière opérationelle à plusieurs dans les locaux du /tmplab, le hackerspace qui hébergeait La Paillasse jusqu’à notre récent déménagement. Pour ce qui concerne l’équipe du projet, je suis en charge du pilotage général, à l’interface avec des spécialistes. Je m’occupe de la plateforme Web, des rapports techniques et financiers ainsi que du sourcing et du montage mécanique et électronique de notre affaire. Loic Laureote est impliqué sur les aspects du logiciel de commande, de contrôle, le monitoring et le pilotage Web ainsi que le design final basé sur l’upcycling et la récupération. Thomas Landrain, qui est le président de l’association intervient sur des question de design général et des questions administratives.

Cela a notamment permis de faire évoluer le contrat dynamiquement afin qu’il n’y ait plus de "leader" sur le projet mais un travail d’équipe en autogestion. Nous travaillons également avec une belle équipe de designers sur la conception et la production de documents iconographiques et vidéo. Plus particulièrement, nous avons associé Axel Delbrayere, Helene Gaulier et Marie-Sarah Adenis de l’Ensci-Les Ateliers. Julien Couaillier, qui est ingénieur agronome, travaille sur les interactions possibles avec la production agricole. Martin Borch du réseau DIY Europe au Danemark nous épaule pour des conseils en bioproduction. En plus de cela, une bonne partie de la communauté de La Paillasse nous offre de sérieux coups de pouces, plus spécifiquement Philippe Gategno qui travaille actuellement à des projets d’aquaponie. Ce réseau s’agrandit maintenant, et nous connaissons de nombreux curieux et spécialistes qui souhaitent continuer de faire progresser le projet. C’est bien là le propos des hackerspaces, tout le monde peut participer, avec un peu de méthode et d’entraide.

En dehors des recherches “terrestres”, La Paillasse ambitionne de prendre part à un vol collectif dans un “Cubesat”. Qu’est-ce donc ?

Le Cubesat est un format de satellite miniature de 10x10x10 cm né du constat que les vols spatiaux commerciaux avaient de nombreux petits espaces perdus. Embarquer du matériel dans une fusée avec un coût extrêmement réduit, c’est ce que permet Cubesat depuis des années. Des initiatives de plus en plus nombreuses existent pour élargir le nombre de lancements et ses champs d’action. Un certain nombre de propositions récentes vont dans le sens de Cubesat autour de Mars. L’initiative "pocketsatellites" vise à mettre des milliers de robots cylindres très fins dans un cubesat qui les libérera autour de la Lune afin qu’ils renvoient un nombre important de données. Il est possible de designer et de personnaliser la nature des capteurs et des fonctions de son satellite et d’avoir un retour de données pour moins de 1000 €. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre et nous souhaitons participer à l’aventure pour véhiculer le message que l’exploration spatiale est en train de devenir accessible !

Comment un hackerspace peut-il imaginer se tracer son chemin vers l’espace ?

Les initiatives fleurissent et des discussions sont engagées sur ce point au CCC (Chaos Computer Club, grande réunion de hackers/makers) depuis des années. À ce jour, l’initiative la plus impressionnante a certainement été celle du Copenhagen Suborbitals au Danemark avec le lancement de fusées à basse altitude. Le programme SpaceGambit est lui même né du hackerspace Mauimaker à Hawai. Le lancement des satellites Cubesat open source Ardusat 1 et Ardusat X depuis la Station Spatiale Internationale a aussi été un grand succès. Ils ont été financés en partie par une campagne de crowdfunding pour permettre à tous d’utiliser les capteurs pendant un temps défini. Les initiatives retentissantes se multiplient. Le très médiatique Ellon Musk, patron de Space X a ainsi décidé de documenter un grand nombre de ses moteurs, cargos et lanceurs spatiaux. La NASA, de son côté, passe des appels à la communauté pour la résolution de problèmes complexes. C’est le cas avec le Longeron challenge, pour l’optimisation de l’orientation des panneaux solaires de l’ISS. Il y a un bel avenir pour les hackerspaces et l’open source dans l’espace, c’est certain.

Texte : creative commons - Images : Vincent Gebel

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