La Révolution de Paris

Article écrit par Irène Laplanche.

Alors qu’est née la métropole du Grand Paris, quelques cinq ans après la consultation quasi éponyme du Grand Pari(s), les éditions Wildproject se sont faites remarquer en publiant la Révolution de Paris, après avoir été associées à l’Atlas du Grand Paris.

Le premier ouvrage, résolument personnel, est un carnet de promenades écrit par Paul Hervé Lavessière, géographe parti à la rencontre de la capitale. Il y raconte la boucle de 130 kilomètres qu’il a effectuée en trois week-end avec Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject et concepteur du sentier métropolitain GR 2013 à Marseille.

Le second ouvrage est le fruit d’une collaboration académique entre l’Atelier Parisien d’Urbanisme (APUR) et quelques stars de la question métropolitaine, Michel Lussault et Frédéric Gilli, géographes, Alexandre Labasse et Paola Vigano, architectes. Cette lecture cartographique du territoire parisien invite, par l’association et la comparaison de données géographiques, démographiques, économiques, voire architecturales, à s’interroger sur l’identité du « grand Parisien ».

Explorateurs métropolitains

Chacun des ouvrages invite à la pérégrination, que ce soit par la carte ou le récit de balade. La “révolution” se revendique de l’héritage des journalistes-voyageurs, tels François Maspero ou Jean Rolin. Ces explorateurs métropolitains avant l’heure sont les auteurs de nombreux récits de balades qui ont marqué les années 1990, et contribué à l’évolution du regard sur la banlieue, des Passagers du Roissy-Express, à Balkans-Transit pour Maspero, en passant par les Zones ou le Terminal Frigo de Rolin. Paul Hervé Lavessière pose ainsi sur la métropole le regard bienveillant de celui qui y trouve ce qu’il cherche à y voir.

On est loin de l’affreux “magma des banlieues des grandes villes” dans un livre qui s’émerveille des architectures routières et de leurs “jus de route”, au point de leur trouver de l’érotisme.

L’atlas, pour sa part, applique sur la métropole un couperet pragmatique en croisant un arsenal conséquent de données statistiques. Les camaïeux des cartes offrent un tableau disparate de la métropole. On y distingue les aires du vide, les formes urbaines et leur géomorphologie, les inégalités de tissus, des plus bourgeois aux plus défavorisés… Et l’agence d’urbanisme de nous livrer sa définition de la métropole : un “territoire mosaïque” complexe et composite.

Ainsi, ces mêmes endroits que les uns traversent, avides de rencontres et fascinés par les édifices votifs et les irrégularités topographiques sont les carreaux “témoins” de 400 mètres par 400 mètres, qui servent de support d’analyse aux autres.

400 mètres, c’est la distance que l’on parcourt en 5 à 10 minutes à pied. C’est également la distance qui sépare deux stations de métro dans Paris. 400 mètres en banlieue ne suffisent généralement pas à sortir d’un lotissement, d’un grand ensemble, ou atteindre la station de RER. “400 mètres nous donnent à voir à la fois des familles de paysages et de tissus urbains” explique Christiane Blancot, architecte-urbaniste à l’APUR. Et chacun de montrer la diversité des dispositifs urbains de la ville, laissant apparaître les grandes constantes comme les exceptions territoriales.

Il est intéressant de constater que les territoires défavorisés que trahissent les données statistiques, ceux-là mêmes qui ont marqué les Passagers du Roissy-Express ou le promeneur de Zones, restent encore les plus intéressants, pour ne pas dire pittoresques, au regard des marcheurs. À propos de leur deuxième promenade, reliant Créteil à Versailles, P. H Lavessière écrit “contrairement au voyage Saint-Denis-Créteil, nous nous sommes parfois ennuyés pendant ces deux jours”.

Le Saint-Denis cosmopolite a ainsi “la cote” malgré les arrêtés de péril qui pèsent sur le centre-ville et la misère, quand les pavillons du sud parisien demeurent insipides pour ce qu’ils offrent de cossu et de lisse. François Maspero écrivait déjà, à propos de Sceaux : “La gare de Sceaux est agréablement vieillotte, Sceaux est agréablement vieillot. Mais chic. Très chic. Ça se sent tout de suite. Riche. Villas de riches. Chiens de riches. Commerces de riches. Hôtels de riches, hélas. Un luxe de vacances”. (in François Maspero, Les Passagers du Roissy-Express, éditions du Seuil, 1990, ISBN 202012467X.)

L’atlas figure par ses cartes et ses interprétations un grand Paris géo-référencé, architecturé, urbanisé, métissé. La révolution raconte d’abord ses habitants, ceux qu’il faut intégrer dans ce pari métropolitain. Ces propositions restent somme toute sans grande surprise. Le défi posé par les banlieues, en terme d’intégration comme d’inégalités urbaines, Roland Castro en avait déjà entretenu le gouvernement en 1983.

Regards sur les horizons urbains

L’un et l’autre offrent sur le vide en ville un regard rafraîchissant, insistant conjointement sur ses vertus, et ce qu’il offre de pénétrant pour la grande ville. Michel Lussault écrit ainsi : « L’espace est une marqueterie de pleins et de vides variés, mais une marqueterie sans “patron”, sans plan préconçu. Tout cela sent le bricolage, l’auto-organisation permanente, le jeu combiné d’acteurs multiples (les habitants en premier lieu) qui composent les fractions d’espaces qui se raboutent parfois harmonieusement et efficacement, parfois (souvent) au petit bonheur la chance. Ces vides […] si on les suivait à la pointe d’un crayon pour en tracer les limites, on dessinerait une sorte de rhizome d’une incroyable densité, qui fourmille de bifurcations, d’impasses, de contresens. Ce rhizome en négatif, en creux, est le système de respiration de la métropole ».

Les deux ouvrages s’attardent sur les points de vue, les parcs, les périmètres de respirations qui tissent entre eux les lieux et banlieues : points d’achoppement sur lesquels s’appuyer pour proposer une vision d’ensemble, une proposition retrouvée du département de la Seine. Faisant apparaître les aires du vide, en prenant soin de les nommer, les opus dressent un portrait moins commun de ce territoire, dans lequel le lecteur pénètre, au fil des pages et des images. Associés l’un à l’autre, les deux forment un tout cohérent. Chaque lecteur trouvera de quoi s’attarder sur la représentation colorée d’un carreau de l’atlas qu’il a parcouru, dans lequel il a vécu, ou qui l’intrigue. Il saura également trouver des propositions d’évasion dans le récit, réel, bien que romancé, des deux marcheurs passionnés. Et, pour peu que le charme opère, chacun est invité à rejoindre le tracé dessiné par les promeneurs.

• Paul Hervé Lavessière, La Révolution de Paris, Éditions WildProject, février 2014.
L’Atlas du Grand Paris, Paris Projet n°43, APUR, novembre 2013.

texte : creative commons

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