L’aventure de la Maison tropicale construite par Jean Prouvé : un hommage stimulant.
L’exposition du bureau de l’usine Férembal aux Tuileries (adapté par Jean Nouvel), la Maison tropicale remontée sur une terrasse du Centre Pompidou : comment expliquer cet engouement pour les constructions de Jean Prouvé ? Un ouvrage du Centre Pompidou, modeste mais éclairant, revient sur cette dernière.
À première vue, le livre semble être un témoignage de l’histoire de la Maison tropicale de Jean Prouvé, suite au montage de celle-ci au 5e étage du Centre Pompidou de 2007 à 2009. Et plus spécialement un hommage, juste réponse du berger à la bergère, étant donné la relation de l’institution au constructeur nancéen. En effet, c’est Jean Prouvé qui fut désigné en 1971 président du jury du concours d’architecture qui choisira le projet de Renzo Piano et Richard Rogers pour le futur "Centre Pompidou". Par la suite, les successeurs de Jean Prouvé ont choisi de faire don des archives de celui-ci au Centre. L’estime est sincère et l’on craint au départ que l’éloge soit trop appuyé, d’autant plus que les articles sont signés par Olivier Cinqualbre, conservateur et chef du Service architecture du Centre Pompidou ainsi que par Robert M. Rubin, lequel a fait don de la Maison Tropicale à la Centre Pompidou Foundation, dont il est président.
Finalement, l’ouvrage efface nos inquiétudes. Les textes d’Olivier Cinqualbre esquissent le contexte de production de la Maison tropicale, certes sans grande nouveauté, mais avec clarté. Le rêve d’industrialisation du bâtiment de Prouvé d’une part et le développement des infrastructures dans les colonies françaises d’autre part, ont donc donné naissance à la réalisation de deux Maisons tropicales en Afrique.
Puis l’ouvrage devient plus stimulant en nous présentant un "catalogue des dessins" liés au projet : croquis d’études, dessins industriels, documents dactylographiés, croquis de l’intégration du mobilier, détails techniques, reportages photographiques ; tout concourt à réveiller en nous le "goût de l’archive" [1]. La formulation progressive du projet, le rôle du dessin dans la réflexion de Jean Prouvé, ses tâtonnements et rectifications sont lisibles au travers du riche fonds d’archives valorisé ici. En annexe sont aussi reproduites diverses coupures de presse de l’époque. La présentation de ces précieux documents aurait presque pu justifier, à elle seule, la publication.
Mais l’étude ne s’arrête pas là, et la partie la plus réjouissante vient clôturer le propos. La contribution de Robert M. Rubin, "La Maison tropicale de Jean Prouvé (Brazzaville, 1951) : conservation, présentation, réception", apporte une densité historique et politique à l’aventure de cette construction. Les raisons d’un renouvellement de l’intérêt porté au travail de Prouvé sont mises en perspective, ainsi que les rapports ambivalents de ces constructions avec le monde de l’art.
Le ton est engagé et le propos milite en faveur de la vertu pédagogique de l’architecture de Jean Prouvé. L’auteur dénonce violemment un marché de l’art qui s’est épris des productions "Prouvé" et ne cesse de les mettre en pièce, de les "cannibaliser". L’article met en parallèle ce processus avec le dépouillement des châteaux français après la Révolution, véritable dépeçage architectural.
La Maison tropicale a déjà voyagé, de Maxéville à Brazzaville, puis de l’université de Yale à Los Angeles avant d’atterrir sur la terrasse du Centre Pompidou. Et Robert M. Rubin espère que le mouvement n’est pas fini : "Il est possible qu’elle voyage à nouveau. Quoi qu’il en soit, les deux conteneurs sont prêts. On peut être en droit d’affirmer avec quelque satisfaction qu’une construction vagabonde de Prouvé a contrecarré les tendances décontextualisantes du marché du design et trouvé une identité cohérente sous la forme d’une architecture pédagogique itinérante."
Souhaitons-lui bonne route.
Olivier Cinqualbre (dir.), La Maison tropicale - Jean Prouvé, Éditions du Centre Pompidou, septembre 2009.