Marie-Paule Nougaret, botaniste autodidacte, écrit en tant que journaliste depuis de nombreuses années. La Cité des Plantes, publié par Actes Sud, est son premier ouvrage. Foisonnant d’informations, de faits, de chiffres ou d’anecdotes, ce livre parle de la présence des plantes dans nos villes, et plus précisément du rôle de ces plantes dans nos villes et dans l’écologie urbaine en général.
Corrigé par Francis Hallé [1], célèbre botaniste et préfacé par Jean-Marie Pelt [2], précurseur du concept d’écologie urbaine, cet ouvrage est à la croisée de nombreux domaines de recherche touchant à l’écologie, tous récents et en évolution constante. L’écologie étudie les interactions entre les êtres vivants et leur environnement. L’écologie appliquée prend plus particulièrement en compte l’homme et son action. L’écologie urbaine étudie quant à elle les écosystèmes urbains et la biodiversité en ville. Enfin, l’écotoxicologie étudie les substances polluantes et la manière dont elles affectent la biosphère et la santé des hommes.
Comment situer le livre de Marie-Paule Nougaret ? Une chose est sûre, l’auteur se passionne pour les plantes.
« Le monde se partage entre ceux qui aiment les plantes et ceux qui ne les voient pas. »
L’objectif de ce livre est plus précisément de démontrer « l’utilité » des plantes en ville dans la lutte contre la pollution, et notamment dans la préservation de la santé des hommes.
L’écologie pour les nuls ?
Marie-Paule Nougaret se dit elle même « maniaque de l’information » et son livre nous le confirme ! Le lecteur non écologue est facilement perdu par le manque d’unité de l’ouvrage et vite noyé par la quantité d’informations à assimiler, à comprendre et à relier entre elles. On ne comprend pas très bien si l’auteur a un propos précis à défendre, mais cet aspect justement est parfois appréciable : pas de « il faut », pas de théorie, seulement des constats et des conseils. L’écologie n’est pas une idéologie mais une science et c’est ce que défend Marie-Paule Nougaret : non pas des idées mais bien des faits.
Comme l’indique le sommaire, le livre traite des pollutions et des plantes à toutes les échelles, de la planète entière à notre appartement, en passant par les villes et les jardins, et en allant jusque dans l’espace ! Il sera donc sujet de tout ou presque : de la photosynthèse aux allergies, de la déforestation à la climatisation, des plantes médicinales aux astronautes, des pollinisateurs aux lignes hautes tensions… la liste exhaustive serait longue.
Le plus difficile est de savoir à quel public le livre s’adresse. L’auteur alterne entre des styles très différents : passages spécialisés (que seuls les chimistes comprendront ?), statistiques chocs et révélations à sensations sur la pollution (où le lecteur ne peut qu’être désespéré par cette apparente fin du monde inexorable), morceaux de vulgarisation très didactiques (à saluer), et enfin, conseils domestiques très terre-à-terre sur l’utilité des plantes au quotidien (qu’on s’attendrait à trouver dans un forum quelconque).
Malgré cette étrangeté, le ton qui se dégage est toujours le même et semble bien propre à l’auteur : une sorte de dédramatisation objective, qui cherche à faire voir et comprendre des choses qui lui semblent évidentes et simplissimes. Il semble, à la lire, que réduire les pollutions urbaines pourrait être bien plus facile qu’on ne se l’imagine ! On peut donc apprécier cet optimisme tranquille et la douceur avec laquelle elle communique son admiration du monde végétal.
On apprendra ainsi que le trou dans la couche d’ozone provoque, en Australie, au Chili et en Afrique du Sud, une augmentation des cancers mais aussi une amélioration de la qualité du vin, car la vigne aime les ultraviolets que craignent les peaux blanches.
Que la lueur de la ville la nuit désynchronise les dormeurs. Qu’il faut planter des arbres sur les parkings pour éviter les émanations d’essence des moteurs éteints chauffant en plein soleil. Que la règle de l’urbanisme haussmannien sur la largeur des rues préconisant que la lumière devait arriver jusqu’au rez-de-chaussée a été abolie dans les années 1980. Qu’il suffit parfois de faire attention au sens du vent et de changer de trottoir pour respirer 80 % de moins de CO2. Que la douche produit des ions positifs qui apaisent les enfants, tandis que le vent assèche l’atmosphère et produit des ions négatifs qui rendent nerveuses les personnes âgées. Et plein d’autres grandes et petites choses !
On pourrait taxer d’utilitarisme la manière dont l’auteur ramène souvent tout à l’usage quotidien des plantes pour le lecteur, comme si c’était le seul moyen de vraiment le toucher en lui prouvant qu’elles peuvent lui servir directement. Mais il s’agit plutôt d’une tentative louable de rapprocher l’écologie du quotidien des gens, et de chercher par là à retrouver (recréer ?) une part de ce rapport ancestral perdu qui reliait directement les hommes et les plantes (se nourrir, se soigner…).
Pas vraiment de théorie, pas vraiment de science, pas vraiment de politique. Ce livre se propose plutôt de convaincre par l’évidence, en se contentant d’exposer des faits et de les expliquer. De plus, le lecteur curieux peut, à la fin de l’ouvrage, trouver toutes les sources convoquées, mais aussi de quoi aller plus loin s’il le désire dans sa recherche d’informations.
Le concept de synergie
Nous vivons dans un monde complexe d’interdépendances. Sur la planète comme système fermé, chaque action a une conséquence et les organismes ne vivent que les uns en interaction avec les autres. On l’oublie aujourd’hui trop souvent :
« Les plantes comme les humains dépendent totalement d’un partenaire microbien, partie intégrante d’un fonctionnement normal. Les dé-coupler de cette enveloppe (par l’épandage d’engrais) revient à nourrir quelqu’un par intraveineuse plutôt que de laisser faire le travail aux intestins [3]. »
Puisque nous sommes ainsi tous liés, la logique serait donc de travailler "ensemble". Le concept de "synergie" est très important dans l’ouvrage, qui cherche à prouver que l’humanité gagnerait à travailler de concert avec le végétal, en montrant concrètement tout ce qu’il peut lui apporter. L’auteur va même plus loin, comme si le seul "salut" se trouvait dans cette coopération raisonnée et lucide avec le monde vivant. Ce qui est proposé c’est un autre rapport à la nature. La biodiversité a été jusqu’aujourd’hui quelque chose dont nous "exploitons les ressources", quantifiables et monnayables. L’auteur explique qu’il nous faut maintenant réaliser que la biodiversité est en réalité quelque chose avec quoi nous "échangeons des services".
« L’approche change tout, une approche de partage avec le monde vivant. »
Ce propos de botaniste fait écho en politique à la notion de "global commons" ou "biens publics mondiaux", désignant les biens qu’on ne peut pas détruire chez l’autre sans y perdre soi-même (notamment l’air et l’eau). Et Marie-Paule Nougaret explique que cela s’applique bien sûr entre les hommes, mais aussi entre les hommes et l’ensemble du monde vivant (animaux, végétaux, sols).
Penser la ville en parlant d’écosystème urbain revient à contextualiser la pensée écologique, et à considérer les grandes villes comme des milieux de vie (au sens biologique) comme les autres. C’est dire aussi que les villes ont aujourd’hui un grand poids sur l’écosystème planétaire et donc aussi un grand pouvoir :
« Beaucoup dépend du comportement des villes, de leurs choix politiques, de leur consommation. »
Au fond, ce livre veut nous faire regarder les plantes avec humilité. L’auteur montre bien comment les plantes, à la fois s’adaptent au milieu, et le transforment selon leurs besoins. Elles créent, en réaction à l’environnement, des principes actifs nommés en biologie des "métabolites secondaires", par exemple pour éloigner les herbivores ou pour attirer les pollinisateurs. On oublie que même le jaunissement des feuilles à l’automne, pourtant bien connu, relève de ce phénomène : c’est une pigmentation, qui protège des UV les feuilles déjà fragilisées par le froid, ralentissant ainsi leur vieillissement et leur chute, afin que la feuille continue à produire des sucres pour l’arbre.
Le monde végétal possède cette capacité d’évolution pour survivre dans les milieux les plus hostiles.
Et le propos, en filigrane, est de souligner que la nôtre est bien moindre et qu’une des premières victimes de la pollution, c’est bien l’homme. Pouvons-nous apprendre à mieux connaitre et à mettre à profit cette capacité inouïe de défense des plantes contre la pollution ? On découvre encore énormément de choses chaque jour, mais le savoir accumulé sur les effets bénéfiques des plantes pour l’homme et l’écosystème, permettrait dès maintenant, s’il était utilisé à bon escient, une lutte efficace contre les pollutions modernes.
Le livre nous prouve par milles raisons que nous avons besoin des plantes… Même si Marie-Paule Nougaret se défend de vouloir se comparer à Francis Hallé, on peut dire que l’ouvrage est à sa manière un bel "éloge des plantes", un peu désordonné, certes, mais riche et foisonnant comme l’est le monde de plantes.
La Cité des plantes, en ville au temps des pollutions, Marie-Paule Nougaret, Actes Sud, 2010