« Situé au centre de la ville, le cimetière de Montfort-L’Amaury – l’un des trois charniers du XVIe siècle conservés en Île-de-France – ne pouvait être agrandi dans des proportions suffisantes. Une partie nouvellement aménagée fut alors équipée d’enfeux (niches où sont déposés les cercueils) qui, superposés, permettent un premier gain d’espace. La législation réduisant par ailleurs les concessions à la durée nécessaire à l’élimination des chairs (c’est-à-dire à cinq ans), les ossements sont ensuite transférés soit dans des ossuaires individualisés pour ceux qui tiennent à honorer « leurs » morts, soit dans des ossuaires collectifs. Certaines villes ont adopté des solutions encore plus radicales.
Ainsi, Rozzano, petite bourgade du nord de l’Italie, voyant sa population passer de deux mille à cinq mille habitants sous le flux de l’immigration du sud, ne possédait pas les espaces nécessaires à l’implantation d’un cimetière à sa mesure. Une jeune architecte, Nanda Vigo, proposa alors la construction de ceme-towers (cimetières-tours). Le projet, présenté en 1966, prévoit deux tours identiques de vingt-cinq de haut, comprenant chacune vingt étages. Le monument peut ainsi offrir 14 480 « résidences quaternaires ». Nanda Vigo précise clairement son désir d’éliminer tout élément caractéristique du cimetière traditionnel :
"Ceme-towers", Newsweek, 14 mars 1966.
« Plus de trous à creuser, plus de sueurs… plus de grandes et laides sculptures à vous arracher les larmes, plus de fleurs fanées, plus de fer rouillé, plus de mauvaises herbes envahissantes… »
Nanda Vigo, "Torri Cimitriali", 1959.
"Grave Squeeze", Newsweek, 16 septembre 1968.
Confrontée au même problème du manque de place en raison de sa situation entre la montagne et l’océan, la ville de Rio de Janeiro s’adressa en 1968 à l’architecte Antonio Antunès qui proposa une tour de douze étages « construite pour l’éternité » et « pouvant recevoir 24 000 résidents ».
À Nantes et Marseille, les municipalités ont suivi l’exemple de Rio de Janeiro et fait construire des « cimetières-immeubles » (celui de Marseille a été baptisé la « Cathédrale du Silence »). Dans les ceme-towers, la surface réservée au repos des défunts est réduite au minimum. Construits « pour l’éternité », ces monuments ne devraient pas avoir à subir de nouveaux aménagement pour faire face aux besoins futurs. Par ailleurs, la proximité du centre de la ville évite les problèmes de déplacement. Enfin, la circulation intérieure est simplifiée :
"Ceme-towers", op. cit..
il suffit « d’appuyer sur le bouton de l’ascenseur et de sortir à l’étage désiré ».
Le coût de la concession, fixé une fois pour toutes, se révèle généralement plus abordable que celui de la concession traditionnelle. (Ainsi, pour trois cents dollars U.S., Rozzano offre une « résidence pour l’éternité », tandis qu’au Monumentale de Milan, la moindre inhumation revient à deux mille dollars.)
Robert Auzelle.
Certains ont été jusqu’à envisager des solutions à l’échelle nationale. L’ensemble des défunts du territoire serait ainsi inhumé dans un même lieu, « le lieu de la dernière demeure n’ayant plus rien à voir avec le territoire communal des défunts et encore moins avec leurs paroisse ».
Situé dans une région peu peuplée, et disposant de vastes espaces acquis à bas prix, ce cimetière national pourrait offrir des concessions gratuites à perpétuité. Le choix du site devrait favoriser la création de magnifiques projets de cimetières-parcs paysagers, auxquels seraient rattachés des bâtiments administratifs et commerciaux, ainsi que des services d’hébergement, de restauration, de transport, etc. »
Hélène de Nicolay, Emmanuel Servier, “Le cimetière : espace fonctionnel ?”, Traverses, n° 1, Paris, CCI, Centre Pompidou/éditions de Minuit, septembre 1975, p. 95-96. [Extrait].