Une curiosité des éditions B2.
En 2002, Nicolas Bancel, historien de la colonisation, publie Zoos humains ; de la Venus Hottentote au reality show. Il décrit les spectacles zoologiques popularisés par le revendeur de bêtes sauvages Karl Hagenbeck qui a mis en scène des tribus indigènes au milieu d’une faune idoine. Ces pratiques relèvent à la fois de la fascination et de la crainte envers l’Autre. Elles interrogent notre rapport au parc animalier, notre définition de l’Ailleurs, et restent un sujet complexe à aborder aujourd’hui.
En 2012, Nikola Jankovic a choisi délibérément de ne pas s’intéresser à cette seule pratique, coloniale et révolue, avec l’ouvrage Trois zoos humains. Dépassant la complexité de la fascination anthropo-exhibitionniste, il propose de considérer trois autres « humanismes » du zoo. Il s’agit d’abord de la ferveur encyclopédique et de la rigueur scientifique dont faisaient preuve les zoos anthropologiques du XVIIIe siècle. Il s’agit ensuite du rapport à la condition animale interrogé par les zoos. Il s’agit enfin de celui d’un « jardin planétaire artificiel » qui cherche à faire disparaître les animaux sauvages, les rendant par là même plus humains. Un tel opus, alors que le nombre de zoos ne cesse de s’accroître (plus de 1200 parcs de grande taille dans le monde), force à s’interroger sur leur caractère politique et, surtout, sur ce que la pratique a de dérangeant.
Le zoo est un lieu où se définissent des identités et se hiérarchisent les vivants. Les humains passent et observent ; les animaux non humains sont observés et restent enfermés.
Curriculum Vitae
Nikola Jankovic a préféré aborder le zoo par l’histoire : il dresse un portrait de la pratique zoologique allant des travaux de classification anthropologiques naturalistes menés par Daubenton et Buffon, en passant par les expositions coloniales des années 1920-1930, pour parvenir aux zoos contemporains reproduisant les biotopes naturels (Parc zoologique de Korkeasaari, TN+ et Beckmann-N’Thépé, projet lauréat).
Il évoque l’évolution du zoo dans son appréciation, rappelant que de simples ménageries aristocratiques, les zoos sont passés par le stade de jardins d’acclimatation au caractère scientifique et curieux, pour devenir les parcs zoologiques évolutionnistes du XXIe siècle, offrant un miroir où s’observer après la cage des singes. Pourtant, s’il s’intéresse globalement à l’usage et la culture zoologique, c’est l’exégèse historique qui prend le pas sur les sujets polémiques véhiculés par les parcs.
Ce parti pris peut sembler troublant, quand le lecteur s’attend, quatrième de couverture et introduction aidant, à une dissertation sur l’humanisme, dont il ne comprendra la finesse qu’une fois l’ouvrage terminé. C’est aussi la grande force du bouquin : le caractère troublant et polysémique du zoo est dû tant à sa genèse qu’aux pratiques qu’il a générées, et surtout à l’attirance qu’il suscite.
Le carnaval des animaux 2.0 ?
Le zoo induit fascination et crainte, entretient une relation ambigüe entre l’homme et l’Ailleurs, qu’il rend à la fois proche (les animaux sont à portée de main des visiteurs, par d’habiles procédés qui rendent invisibles les barrières) et lointain (le parc ne fait que reproduire un milieu, en extrayant, à la manière de l’Arche de Noé, des spécimens représentatifs d’une race). Un zoo véritablement humain devrait, selon Jean Estebanez, auteur de la postface de l’ouvrage, prendre position sur les rapports humain/animal, afin de lever l’ambiguïté sur sa fonction (encyclopédique, voyeuriste, loisir…) et sur ce qui dans l’institution met mal à l’aise le visiteur. Le zoo humain devrait somme toute remettre l’humain à son rang d’animal et le positionner sur le même plan.
Aussi devons-nous nous poser la question de la cage, de l’enfermement, de notre rapport à l’espèce humaine, interroger la distance entre le parc zoologique, et les pratiques carcérales et expérimentales menées au cours du IIIe Reich. Pourrions-nous ainsi apprendre au zoo à « être un humain avec animaux, tout comme certains habitants des lieux deviennent des gazelles : définitivement transformés par les autres êtres vivants qu’ils fréquentent » ?
Le choix iconographique singulier accentue le sentiment de trouble provoqué par la lecture. Cette série d’images classées en ordre chronologique, évoque la bestialité, le désir assoiffé de classification des naturalistes du Jardin d’Acclimatation, la curiosité malsaine et pourtant bien compréhensible des visiteurs des reproductions faunistiques et tribales des zoos du XIXe siècle, la pangée 2.0 recherchée dans le zoo contemporain. Elle illustre merveilleusement l’ambivalence du propos, résumant à ceci la conclusion :
L’homme [est-il] vraiment un singe
affranchi de sa cage ontologique ?
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Nikola Jankovic, Trois zoos humains, éditions B2, 2012.