Typographie et Langage

Écrit par Sophie Cure

Du caractère à l’ESAD d’Amiens

Peu nombreux en France, mieux installés dans les pays anglo-saxons et aux Pays-Bas, les créateurs de caractères typographiques forment une confrérie restreinte dans le monde.

Ce constat que dresse Michel Wlassikoff explique certainement pourquoi en France on peut compter les formations en création de caractères sur les doigts de la main. C’est à L’École Supérieure d’Art et de Design d’Amiens, entre la monumentale cathédrale et un bras de la Somme, qu’est basée l’une d’elles : le post-diplôme « Typographie et Langage ». Cette formation créée en 2009 et entraînée par une équipe de dessinateurs de caractères confirmés (Jean-Baptiste Levée, Patrick Doan, Titus Nemeth et Sébastien Morlighem) accueille lors d’un cycle de 18 mois des étudiants de toutes nationalités.

Le mois dernier, le cru 2011-2013 a présenté ses créations typographiques devant un jury de professionnels convoqués pour l’occasion : Alice Savoie, créatrice de caractères engagée dans une thèse à l’Université de Reading, Hans-Jürg Hunziker, ancien collaborateur d’Adrian Frutiger et Thomas Huot-Marchant, nouveau directeur du renaissant Atelier National de Recherche Typographique.

Tour à tour, Sandrine Nugue, Thomas Bouville, Elisa Manente et Christina Somorjai ont commenté l’élaboration de leurs caractères, fruits d’une longue gestation, de corrections multiples et de réglages millimétriques.

Retour sur cette cérémonie initiatique

• À l’aube de leur apprentissage, les jeunes dessinateurs sont introduits à « la calli » (la calligraphie, pour ses initiés). Les caractères développés par Christina Somorjai et Elisa Manente sont issus de ces tracés au calame ou à la plume.

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• L’italienne Elisa Manente présente « Ambra, un caractère conçu pour la littérature et l’identité visuelle, » dans lequel on retrouve les inflexions et les déliés de ses dessins.

(Images : © Elisa Manente)

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• Christina Somorjai s’attaque à l’écriture arabe. C’est la seule des quatre étudiants de cette promotion à explorer des écritures non-latines et à s’interroger sur la question de la typographie multiscripte (c’est-à-dire la combinaison de caractères latins et non-latins dont la promotion précédente était particulièrement friande). Sa famille, le Rajah, associe une latine et un caractère dans un style appelé Naskh.

(Photo : © Sophie Cure - Image : © Christina Somorjai)

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• De son côté, Thomas Bouville s’émancipe du dessin calligraphique pour s’intéresser aux méthodes de construction géométriques à base de grilles ou d’éléments modulaires. Son Kelvin réunit dans une même famille – de « cousins-cousines plutôt que de frères et sœurs » précise-t-il – une version sans empattement (une linéale géométrique) et une version avec empattements (une Didone). Issus de squelettes pourtant différents, les deux caractères dialoguent en harmonie, grâce à de subtiles similitudes dans les détails de forme des lettres. Appliqués à l’écriture scientifique, ils présentent tout un attirail de glyphes bien spécifiques : des chiffres pour les structures de molécules, pour les fractions, etc.



(Images : © Thomas Bouville)

(Photo : © Michel Sabbagh)

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• Avec le Ganeau, Sandrine Nugue (bien connue des lecteurs de Strabic) a abordé la question des corps optiques. « One size never fits all » avertissent les créateurs de caractères américains Hœfler et Frere Jones. « Il est admis que plus le corps du texte est petit, plus le caractère doit être lisible, dégager du blanc, » précise l’étudiante. À partir de ces préoccupations de confort et plaisir de lecture, Sandrine a sculpté les trois corps du robuste Ganeau : de lapidaires incises pour le corps de titre et celui de légende ainsi que de vigoureux empattements triangulaires pour le corps de texte. Un bel hommage à François Ganeau, dont le travail typographique du caractère Vendôme fut une des sources d’inspiration de l’étudiante.



(Image : © Sandrine Nugue - Photos : © Sophie Cure)

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• Au terme de cette journée et des mois de labeur, leurs premiers caractères mis au monde, Sandrine, Elisa, Christina et Thomas, applaudis par leurs aînés, ont maintenant leur place dans la fameuse confrérie qu’évoque Michel Wlassikoff.

(Photo : © Michel Sabbagh)

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POUR ALLER PLUS LOIN :

Roger Excoffon, un Pastis typographique

Architectures (de) majuscules

texte : creative commons

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