Très attendue depuis sa présentation au festival d’Avignon en juillet dernier, D’après une histoire vraie, du chorégraphe Christian Rizzo, était présentée du 9 au 11 avril au Théâtre de la Ville à Paris.
Il est des pièces qui vous étonnent, d’autres qui vous captivent, vous bouleversent ou vous émerveillent. D’après une histoire vraie réussit l’exploit de convoquer à forces égales ces quatre émotions en à peine plus d’une heure de spectacle. Chose précieuse et peu courante, à la hauteur de ce que l’on avait autrefois pu ressentir devant Rosas danst rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker ou plus récemment devant Le Roi Lear – Prologue de Vladimir Troitskyi, présenté en décembre 2012 au Théâtre Monfort.
Les arts vivants – et plus particulièrement la danse – font partie de ces formes artistiques devant lesquelles il est difficile de rester de marbre. Le spectateur, rarement catégorique dans sa critique, y puise toujours matière nutritive, y trouve peu ou prou quelque chose qui correspond à ses attentes, qui l’interpelle, l’intéresse ou l’enthousiasme. En effet les productions d’Arts vivants forment la réunion de nombreux talents et disciplines : scénographie, chorégraphie, son, lumière, costumes, mais aussi prouesses techniques, justesse de l’interprétation... Il est ainsi généralement aisé de trouver des qualités à l’une, l’autre ou plusieurs de ses composantes. Très rares sont cependant les pièces qui vous comblent en leur ensemble et vous émeuvent. D’après une histoire vraie est l’un de ces trésors.
Cela tient déjà certainement simplement au fait que Christian Rizzo est un artiste pluriel : chorégraphe, scénographe, musicien, costumier et plasticien, il fût également styliste, pétri au rock et à la culture underground. Il collabore aujourd’hui encore avec des stylistes tels que Walter Van Beirendonck, Bernhard Willhelm et Jean-Paul Lespagnard ou avec d’autres chorégraphes dont Mathilde Monnier et Emmanuelle Huynh. Avec une vingtaine de pièces à son actif et un parcours riche en rencontres, collaborations et expérimentations tous azimuts, Christian Rizzo sait s’entourer avec pertinence. Il possède un bagage pluridisciplinaire et une maîtrise lui permettant d’embrasser d’un seul regard l’ensemble de sa pièce et d’en régler et contrôler les moindres replis. Unité de regard.
Son parcours atypique lui confère également un rapport particulier au métier de chorégraphe et donne à ses créations la fraîcheur d’un souffle buissonnier.
Propos recueillis par David Herman pour le magazine Standard.
« Je n’avais effectivement pas cette formation au départ. Au moment où j’ai abordé la danse, je ne l’ai pas prise comme une pratique, mais comme un espace. J’y ai retrouvé les éléments dans lesquels je me reconnaissais : le rapport à la surface, la temporalité, la musique, la lumière, les vêtements, les mouvements et, surtout, la construction de l’imaginaire. Je ne me suis pas dit que j’étais en train de faire de la danse mais que mon travail consistait en une écriture scénique où toutes ces composantes venaient alimenter une partition globale. »
Mais le prodige de cette pièce tient enfin et surtout à son authenticité. Basée et construite à partir d’une émotion personnelle et immémoriale reliée aux origines même de sa discipline - un moment de danse folklorique - la pièce convoque et provoque le croisement des notions premières d’universel et d’essentiel.
« En 2004, à Istanbul. À quelques minutes de la fin d’un spectacle auquel j’assiste, surgit comme de nulle part une bande d’hommes qui exécute une danse folklorique très courte et disparaît aussitôt. Une émotion profonde, presque archaïque, m’envahit. Était-ce leur danse ou le vide laissé par leur disparition qui m’a bouleversé ? Bien que floue, cette sensation est restée depuis ancrée en moi. Le point de départ de ce nouveau projet est la réminiscence ou plutôt la recherche de ce que ce souvenir a déposé en moi ». [1]
Christian Rizzo invente et édifie une danse folklorique contemporaine et sans frontières : dispositif scénique simple et sobre, quasi clinique, corps familiers, tenues « normcore » et gestuelle dépouillée nous extraient de tout exotisme convenu ou catégorisation superflue.
Volontairement orpheline, issue d’aucune culture ou tribu identifiable, trace d’aucune histoire spécifique, sa danse nous transporte et provoque en nous des émotions similaires à celles ressenties devant certaines danses traditionnelles. Les rengaines de la batterie nous entraînent dans une transe d’un genre inédit, nous maintenant en état d’hypnose dans l’expectative de ce qui viendra après et nous fera voyager encore plus loin.
Pure expérience, D’après une histoire vraie n’a ni début ni fin. Elle ne raconte aucune histoire, ne présente aucune tentative de récit mais embarque le spectateur dans les méandres et les mystères des origines. En véritable démiurge, Christian Rizzo nous plonge dans un monde hors du monde, un état parallèle, jusqu’alors inconnu et pourtant profondément ancré dans nos corps.
A la sortie de la salle, les yeux encore emplis de larmes et le cœur étonnement apaisé, les spectateurs se retrouvent dans une joie et une énergie contagieuses et débordantes.
♦ D’après une histoire vraie
Conception, chorégraphie, scénographie et costumes : Christian Rizzo
Interprètes : Fabien Almakiewicz, Yaïr Barelli, Massimo Fusco, Miguel Garcia Llorens, Pep Garrigues, Kerem Gelebek, Filipe Lourenço et Roberto Martínez
Musique originale et interprétation : Didier Ambact et King Q4
Lumières : Caty Olive
♦ En tournée :
11 et 12 juin 2014 / Opéra de Lille , 27 juin 2014 / Biennale de Venise, 4 octobre / Le forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil, 7 octobre / L’onde - Vélizy , 12-13 novembre / Le lieu unique – Nantes… (autres dates ici).
♦ Ou pas :
Christian Rizzo et Caty Olive imaginent une installation à la Friche Belle de Mai à partir des 3 500 costumes du Ballet National de Marseille. Du 19 mars au 29 juin 2014.