Joseph Popper : The One Way Ticket

Propos recueillis et traduits par Mathilde Sauzet, les Commissaires Anonymes.

Le mythe du progrès, quelque peu ébranlé après un siècle d’autorité, laisse la place vacante à de nouveaux fantasmes de société. Le petit téléviseur du salon ne dit plus rien de la course aux étoiles, faut-il pour autant cesser de rêver le devenir de nos sociétés ? Joseph Popper, jeune artiste londonien, diplômé de la section Interaction Design du Royal College of Art, propose The One Way Ticket, un scénario spatial solitaire dans les profondeurs de la galaxie. Seul détail problématique : cette expédition ne comprend pas de retour sur Terre. Des volontaires ?

Strabic : La conquête spatiale a été l’un des principaux moteurs de la recherche scientifique durant le XXe siècle. Particulièrement médiatisée dans le contexte politique de la guerre froide, elle a participé à la glorification populaire de la technologie. Pourquoi, en tant qu’artiste du XXIe siècle, as-tu choisi de travailler sur ce sujet ?

Joseph Popper : J’ai tout d’abord été attiré par l’extraordinaire imagerie de la conquête spatiale : l’humanité réalisant d’incroyables exploits technologiques et le spectaculaire théâtre que cela créait. Je travaille beaucoup avec l’espace comme sujet mais pas seulement. C’est devenu une thématique récurrente car la conquête spatiale est un sujet idéal pour toucher mon plus vaste intérêt pour l’exploration des hommes, leurs tentatives ; comprendre comment nous imaginons et examinons de l’inconnu.

Je suis arrivé au projet The One-Way Ticket en cherchant ce que la conquête spatiale pouvait représenter au XXe siècle, à quel point notre perception de l’espace était différente de celle de la génération de nos parents. Le cosmos reste une zone de frontière pour les découvertes et les possibles, nous l’abordons seulement différemment, depuis une situation tout aussi difficile mais avec de nouvelles motivations, parfois en opposition avec celles du passé.

Tu évoques l’idée que nous n’avons plus aujourd’hui aucun territoire à découvrir. Les profondeurs de l’espace seraient en quelque sorte l’unique territoire inconnu qu’il reste à l’homme pour fantasmer.
Penses-tu qu’une expédition spatiale sous la forme de One Way Ticket ait un réel intérêt pour la science ou ce scénario est-il plutôt un support de réflexion sur notre rapport à la technologie ? Sur la finitude humaine ?

Le projet reflète certainement des choses sur notre relation à la technologie. Il est inspiré au départ par l’idée de la fin de l’exploration de la surface de la Terre : le progrès technologique nous amène-t-il, en quelque sorte, à limiter notre imagination et notre curiosité du monde ? Nous avons encore l’univers à découvrir mais la technologie actuelle ainsi que l’espérance de vie limitent nos perspectives, dans le futur proche tout au moins. Je pense que cette actuelle absence de territoire inconnu provoque une étrange situation de malaise.

Cependant, au-delà des questions de représentation, un voyage sans retour dans les profondeurs de l’espace représente également un intérêt scientifique. Le non-retour ouvre un scénario exceptionnel pour un grand nombre d’investigations tournées vers le futur, comme celle de l’exploration de longue durée.

Image : Joseph Popper

Image : Joseph Popper

Même si aux premiers abords l’effet est incroyable, on entrevoit au fur et à mesure les astuces de confection – fils de pêche, couvercles plastiques et plaques de polystyrène. Pourquoi laisser transparaître cette économie de moyens ? Est-ce une forme de mise à distance de la technologie ? Une posture critique ?

Très tôt dans le projet, j’ai adopté la méthode du « zéro gravité, zéro budget », une esthétique de making-of qui s’est prolongée dans le décor final puis dans le film.

Tout au long de ma recherche sur ce que signifie un voyage sans retour, j’ai fabriqué divers accessoires et dispositifs pour traduire cette expérience à la caméra. Utiliser des matériaux simples me permettait de tester des idées de manière non précieuse et ce processus a influencé la globalité du projet. J’ai décidé de ne pas cacher ma méthode car c’était important de conserver mon approche – celle d’un artiste – imaginant et stimulant un scénario à grande échelle avec les petits moyens à ma disposition.

Image : Joseph Popper

L’astronaute prend ses marques dans la capsule, il regarde par le hublot les planètes et mange une banane. Pourquoi avoir donné à ton personnage une attitude aussi flegmatique et si peu expressive ? Pourquoi avoir imaginé qu’il mange uniquement des boîtes de thon John West ?

Le film comprend une série d’épisodes à bord d’une capsule spatiale, définis par les conditions essentielles et les étapes clés du voyage - alors que le dernier fruit frais ou la planète Terre disparaissent... Je joue un astronaute assez flegmatique, comme tu dis, mais j’étais satisfait d’incarner un rôle sobre en lien avec la nature des images que j’étais en train de réaliser : davantage focalisées sur les actions d’« habiter » une capsule spatiale.

L’existence de cet homme est importante mais pas nécessairement passionnante au jour le jour. Je voulais transmettre la désorientation, l’ennui, l’isolation et la monotonie d’une existence de 732 jours dans une petite cabine. La scène de la boîte de thon est un des signifiants de ce désespoir même si l’image peut être amusante – l’astronaute a mangé tout ce qui était intéressant et se retrouve avec ce qu’il reste, jusqu’à la fin.

Image : Joseph Popper

Si toute conquête contient toujours le risque du non-retour et de la mort, elle est avant tout fondée sur l’espoir de la découverte. Dans ce modèle d’exploration, le non-retour est une des conditions de l’expérience. Pourquoi est-il si déterminant ? À défaut de revenir, l’astronaute pourra-t-il rendre compte à la Terre de ce qu’il découvrira ? Ce scénario est-il plus proche d’un sacrifice pour la science ou d’un suicide poétique et héroïque ?

Le présupposé de la mission d’un astronaute est bien celui d’aller toujours plus loin dans l’espace ; l’ambition alternative, plus familière et plus humaine, reste d’atteindre la prochaine frontière. La condition du non-retour est à ce point déterminante car elle est probablement la solution la plus efficace, technologiquement et financièrement. La trajectoire de cette mission serait basée sur des planifications existantes, des missions spatiales précédentes – mais dans l’esprit de la découverte de demain.

Mais surtout, une mission sans retour crée de nouvelles possibilités et de nouvelles considérations de l’expérience humaine. Le sacrifice est une part de l’équation mais seulement une part. « Ne pas revenir » est le scénario d’une tentative humaine, à la dimension merveilleusement poétique, chose qui semble disparaître actuellement.

Image : Joseph Popper

Image : Joseph Popper

La conquête spatiale peut-elle encore être une stimulation pour l’imaginaire à l’échelle d’une société ? Est-elle selon toi une fiction porteuse d’utopie ?

Oui, je crois que l’espace est incroyablement stimulant ; cependant ce qui rend maintenant les futures expéditions dans l’espace si intéressantes pour l’imaginaire collectif et individuel, ce sont les différentes conquêtes qui se développent : privées, scientifiques, entrepreneuriales, touristiques, les entreprises spatiales sont à la fois en compétition et en coopération avec les programmes étatiques internationaux. Le XXIe siècle oppose ses diverses « courses à l’espace » à l’évidente conquête spatiale du XXe siècle. S’ouvre le champ des fictions et des utopies, comme tu les appelles, même si elles ne concernent pas nécessairement chacun.


Images : Joseph Popper

tweet partager sur Facebook


Vous aimerez aussi :