Le Fashion Program du Palais de Tokyo

Écrit par Emilie Hammen, images collection Galliera.

Le Palais de Tokyo propose depuis le mois de septembre son Fashion Program, soit une programmation laissant la part belle à des « expériences inédites dans le domaine de la mode ». Qu’un lieu dédié à l’art contemporain sous toutes ses formes intègre la mode à son éventail de créations est très réjouissant. Deux manifestations inaugurent ce projet prometteur.

L’exposition Chloé. Attitudes investit quelques salles du désormais gigantesque Palais de Tokyo. A-t-on vu assez d’expositions monographiques mettant en scène le patrimoine des marques de mode cette année ? Est-ce devenu un passage obligé pour toute griffe voulant garantir son héritage stylistique par le sceau du musée ? En visiteur averti, sans doute désormais plus exigeant, on éprouve une certaine lassitude à se plonger une nouvelle fois dans le discours maîtrisé d’une opération de promotion.

L’exposition est néanmoins plaisante : des tirages de Guy Bourdin aux extraits de Vogue, le destin de cette maison fondée en 1952 par Gaby Aghion est plutôt charmant. La marque colle à l’époque, suit les mouvements, les ruptures et révolutions de la culture populaire de la seconde moitié du XXe siècle pour composer une garde-robe féminine et décontractée. Se succèdent à sa direction artistique, Martine Sitbon, Karl Lagerfeld et plus récemment la fille de Paul McCartney qui s’y est fait un prénom : Stella.

Mais peut-être l’absence réelle de problématique, l’exposé un peu trop littéral des soixante années de création, trahissent-ils un travail sur les archives de la maison entamé il y a tout juste un an, pour coller à la date anniversaire de la griffe. À l’occasion de cet anniversaire, la maison réédite seize pièces de ses archives. Présentes dans le parcours de l’exposition et également en boutique : la démarche ne fera pas mentir Andy Warhol sur la confusion entre boutiques et musées [1].


Au Bon Marché, Corsage de Cléo de Mérode, vers 1900, Collection Galliera

Après l’impossible conversation entre Miucca Prada et Elsa Schiaparelli, place à l’impossible garde-robe : Olivier Saillard, directeur du Musée Galliera, musée de la mode de la ville de Paris, et l’actrice Tilda Swinton proposent une œuvre à quatre mains. Produite par le Festival d’automne la performance est réalisée à partir des archives du musée parisien. Présentée trois soirs consécutifs (du 29 septembre au 1er octobre) au Palais de Tokyo, elle fait aussi l’objet d’un film et de photographies réalisés par Katherine Jebb.

Le vêtement-archive est tel un paradoxe : soumis aux règles très strictes de la conservation, la pièce destinée à être portée et incarnée est réduite à l’immobilité à cause de la fragilité des fibres textiles. C’est pour conjurer ce mauvais sort jeté aux riches collections du musée qu’Olivier Saillard pense cette impossible et importable garde-robe.


Sans griffe, Collet du soir, vers 1898, Collection Galliera

Le dispositif de la performance emprunte tous les codes du défilé de mode : un podium puissamment éclairé, plusieurs rangés de bancs où se placent, par ordre de prestige et d’importance, les invités. Au bout du podium, à la place de l’habituelle masse de photographes, le commissaire a placé un miroir. Une mode qui se reflète, qui ne se regarde qu’en huis clos, non de celle dont les images inonderont en temps réel les rédactions aux quatre coins du monde.

Les coulisses sont visibles : le conservateur entouré de ses assistants manipule avec précautions et en gants blancs, les pièces de la collection. Tilda Swinton vêtue d’une blouse blanche s’élance alors dans un défilé fantôme : 40 minutes, une cinquantaine de passages. Chaque pièce est surtitrée, à la manière d’un opéra, et le bandeau lumineux nous annonce à chacune son cartel. L’actrice, sans jamais porter les vêtements-archives les habite le temps de descendre le podium.


Chanel, Deux tailleurs, 1963, Collection Galliera

Enfilée sur un bras, une jupe Schiaparelli prend des airs de tauramachie, les bas de soies de Daisy Fellowes sont manipulés avec la délicatesse et la préciosité que l’on accorderait aux reliques, l’habit d’apparat de Napoléon Ier défile avec droiture. Un défilé s’attache en principe à présenter une collection dans une unité de temps bien définie : collection femme été 2000, collection homme hiver 2010... Ici, c’est toutes les saisons qui sont convoquées, c’est une histoire de la mode sans queue ni tête, dictée par le seule plaisir des pièces. Olivier Saillard nous livrait déjà à travers deux expositions et un livre, son Histoire idéale de la mode contemporaine [2]. De nouveau, on se laisse porter par le regard subjectif et éclairé du commissaire qui compose au gré de ses envies et au nom de cet idéal très personnel, une singulière histoire. Pièces anonymes portées par d’illustres personnalités, illustres griffes portées par des clientes anonymes : la paire de tailleurs Chanel succède aux chaussures de Mistinguett.

La performance pose ainsi un regard nouveau sur les archives, les collections et leurs rôles : un questionnement qu’Olivier Saillard à déjà plusieurs fois abordé. Avec Christian Lacroix et ses Histoires de mode [3], celles du Musée des Arts Décoratifs étaient présentées en miroir des créations contemporaines du styliste arlésien, autour de thèmes (pois, rayure, noir, blanc,...). Plus récemment avec une exposition aux Docks en Seine, Saillard révélait avec la sobriété d’un dispositif propre aux réserves des musées, la riche collection personnelle de Cristobal Balenciaga.

Il y a dans l’environnement clinique d’une réserve, dans l’infinie répétition des gestes garant du patrimoine, tous deux mis en scène dans la performance, une certaine monotonie. Le conservateur nous invite à regarder autrement, à saisir le plaisir poétique de l’inventaire. Il parvient avec intelligence à mettre en vie ces corps qui n’y sont plus sans jamais tomber dans l’artifice de la reconstitution. En jouant des contraintes inhérentes à la conservation, il nous livre une réflexion pleine d’élégance sur l’absence et la disparition.


Sans griffe, Collet du soir de Sarah Bernhardt, vers 1900, Collection Galliera


Exposition Chloé.Attitudes présentée jusqu’au 18 novembre 2012 au Palais de Tokyo.

[1« When you think about it department stores are kind of like museums », A.Warhol, America, Harper and Row, 1985, New-York. (« Quand on y songe, les grands magasins sont un peu comme des musées »).

[2O. Saillard, Histoire idéale de la mode contemporaine, éditions Textuel, Paris, 2009, publié lors de l’exposition éponyme présentée en deux volets au Musée des Arts Décoratifs à Paris, 2010-2011.

[3Exposition au Musée des Arts Décoratifs, Paris, 2007-2008.

texte : creative commons.

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